Le chrome et les tournesols
Publié par Esrf Synchrotron, le 26 mars 2019 3.2k
L’Unesco a déclaré 2019, année internationale du Tableau Périodique. Les éléments chimiques du Tableau Périodique sont omniprésents dans les recherches menées à l’ESRF, le Synchrotron Européen de Grenoble. Aussi, pour fêter cette année, l’ESRF a décidé de publier une série d’histoires sur différents éléments du tableau périodique, dont les applications sont souvent méconnues. Pour ce deuxième épisode, partons à la découverte du Chrome.
Marine Cotte et Hiram Castillo sont deux scientifiques travaillant sur la même ligne de lumière à l’ESRF. Ils ont tous les deux étudié des tournesols et le chrome mais, dans des domaines de recherche différents.
Marine collabore depuis plusieurs années avec Letizia Monico, scientifique à l’université de Perugia (CNR-ISTM) en Italie et à l’université d’Antwerp en Belgique. Elles étudient l’utilisation des jaunes de chrome par Van Gogh, qui s’en est en particulier servi dans son fameux tableau sur les tournesols. Hiram, lui, étudie la toxicité du chrome et d’autres éléments comme le plomb et le cuivre dans les plantes, les sols, les fleurs comme les tournesols.
Le jaune de chrome dans les tournesols de Van Gogh
En 2011 (dans une étude publiée dans Analytical Chemistry), Letizia Monico, Marine Cotte et une équipe de chercheurs internationaux ont résolu un mystère chimique vieux de près de 200 ans. Une énigme chimique mais aussi une source d’inquiétude pour les conservateurs de Musée : sur certains tableaux emblématiques de Vincent Van Gogh, et d’autres artistes de la fin du 19ème siècle, les jaunes s’assombrissent.
Eclatant sur la palette, le jaune de chrome, un pigment très utilisé au XIXe siècle, est en effet fugace et passe à la lumière, ou vire au marron. Le problème est connu depuis longtemps mais restait à en déterminer les causes. En utilisant les techniques synchrotron, les scientifiques ont mis en évidence le processus chimique à l'origine de la dégradation du jaune de chrome. Les chercheurs ont d’abord vieilli artificiellement des échantillons issus des restes de trois tubes différents de peinture de jaune de chrome de l’époque. Puis ils ont examiné des micro-échantillons provenant des zones affectées sur deux tableaux de Van Gogh, Vue d’Arles avec iris (1888) et Berges de la Seine (1887), exposés au Musée Van Gogh d’Amsterdam. L’examen de ces échantillons à l’ESRF a confirmé la réaction chimique de réduction du chrome (de Cr VI à Cr III). En cause, la lumière du soleil mais aussi les éclairages modernes à base de rayons ultraviolets.
Comme l’explique Letizia Monico, « l’intérêt de ces recherches est certes de découvrir l’aspect réel des peintures, mais surtout de savoir comment préserver ces œuvres pour les générations à venir. » En comprenant mieux les mécanismes de dégradation, l’enjeu est en effet de présenter ces tableaux dans une lumière et une atmosphère adaptées, pour stopper les réactions chimiques que subissent les pigments, comme le jaune de chrome.
La toxicité du chrome dans les sols
Vous souvenez-vous du film Erin Brokovich et de la contamination au chrome hexavalent ? Aujourd'hui, le chrome est utilisé dans des objets du quotidien, dans les peintures pour la protection contre la corrosion, dans les implants, mais aussi pour produire de l'acier inoxydable. Environ 35% du chrome dans les sols qui provient d'activités humaines est le Chrome VI, la forme la plus toxique. C’est tout l’objet des recherches d’Hiram Castillo, qui étudie la toxicité du chrome dans les plantes, sols, champignons et son évolution chimique.
D’où lui est venu cet intérêt pour le chrome ? "Je collaborais avec le professeur Guadalupe de la Rosa, qui vit à León, une région mexicaine abritant de nombreuses usines de tournesols et de tannerie. Les eaux usées de ces usines contiennent du chrome, et nous voulions vérifier si elles y avaient pénétré et sous quelle forme ".
Les études ont montré que les plantes peuvent transformer le chrome toxique (Cr VI) en son homologue non toxique (Cr III). Aujourd’hui, les chercheurs utilisent les techniques synchrotron de l’ESRF pour comprendre comment se fait cette évolution chimique, comment il est possible d’utiliser les plantes pour atténuer la toxicité du chrome grâce à leur capacité à changer de forme chimique et à les accumuler dans leurs tissus (racines ou tiges). De la même manière, les études montrent que les matières organiques atténuent la toxicité du chrome. Donc, le reboisement ou l'ajout de matière organique au sol (biomasse) pourrait être une solution pour diminuer la pollution des sols. Comme l’explique Hiram, "Pour atténuer le problème, il faudrait une plante très résiliente ou une composition très spécifique en matière organique, mais la vérité est que tous les sites pollués ne présentent pas les mêmes caractéristiques, nous devons donc nous adapter ." Les travaux ne font que commencer.
Pour retrouver l’histoire complète (en anglais) cliquez sur ce lien