Le biométhane, une filière renouvelable à la croisée des chemins
Publié par Encyclopédie Énergie, le 24 mai 2023 2.3k
La filière du biométhane et des gaz renouvelables, apparue au début des années 2010, prend une part de plus en plus importante dans les mix énergétiques européens. Néanmoins, dans le contexte récent de crise énergétique, en lien avec la crise de la guerre en Ukraine et de l’approvisionnement en gaz russe, et de manque de visibilité à court et moyen termes sur le cadre économique, la mobilisation de tous les acteurs de la filière et des décideurs pour générer un nombre croissant de projets, favoriser leur accomplissement et développer de nouvelles filières innovantes est clé pour assurer la pérennité du développement de ce vecteur énergétique pour la transition.
1. Intérêt de la filière des gaz renouvelables et du biométhane
Le biogaz est du gaz, ou plutôt un mélange de gaz, qui a été produit par des sources biomasse. La méthanisation est le procédé le plus mature pour produire du biogaz. Plus précisément, il s’agit d’un procédé de dégradation par des micro-organismes de la matière organique animale et/ou végétale. Il produit un mélange gazeux saturé en eau et constitué de 50 à 65% de méthane et du dioxyde de carbone. La matière organique peut provenir de divers secteurs : agricole, industriel, déchets de restauration, déchets de collectivités, gaz issu des installations de stockage des déchets non dangereux, etc.
Le biométhane correspond à une molécule identique à celle du gaz naturel (CH4), produit par épuration du biogaz, ou par d’autres procédés encore en développement comme la pyrogazéification de ressource bois, la méthanation, la gazéification hydrothermale, etc. Quelle que soit l’approche retenue, toutes les méthodes de quantification des émissions de gaz à effet de serre convergent sur un aspect : le biométhane présente un impact carbone comparable aux autres énergies renouvelables, et permet de réduire de 80 à 100 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au gaz naturel (figure 1). C’est donc un vecteur clef à développer dans le cadre de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. De plus, beaucoup d’études prospectives confirment aussi que le verdissement du gaz est incontournable pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’échelle nationale, avec des coûts qui n’explosent pas. En effet, cela permet de continuer à utiliser du gaz dans tous les équipements actuels déjà existants, tout en limitant l’impact de la ressource sur l’environnement, du fait que les biogaz sont moins polluants que les combustibles fossiles traditionnels, et émettent moins d'oxydes azote NOx et pratiquement pas de particules fines.
Figure 1 : Ordres de grandeurs des facteurs d’émissions des énergies renouvelables – source : https://act4gaz.grdf.fr/le-biomethane-un-bilan-carbone-quasi-neutre-0
2. Historique
Compte-tenu de tous ces atouts, la production de biogaz fait partie de la stratégie de développement des énergies renouvelables en France depuis 2011. La Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) a fixé depuis 2015 un objectif de plancher de production représentant 10% de la consommation de gaz en 2030. Le comité « prospective » de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) avait conclu en 2019 que cet objectif était déjà réaliste et atteignable. Depuis la filière croît continument et double presque chaque année en termes d’installations, de capacités raccordées et de production de biométhane comme le montre la figure 2 ci-dessous.
Figure 2 : Chiffres clefs de la filière biométhane en France – source : panorama des gaz renouvelables 2022 – GRTgaz
En 2022, pour la seconde année consécutive, près de 150 sites de production de biométhane ont été mis en service, pour dépasser les 500 sites et un total de 9 TWh/an de capacités d’injection en fin d’année. La méthanisation pour injection de biométhane dans les réseaux de gaz est la seule filière d’énergie renouvelable française à être en avance sur les objectifs de la PPE (6 TWh de production à fin 2023). En Europe, il y a eu une production de biométhane de 40 TWh, sur 1 203 sites de production de biométhane en service à fin 2022.
3. Potentiels et prévisions à court terme
Ces bons résultats ne doivent néanmoins pas masquer le brutal ralentissement que pourrait connaître la filière dès 2024. En effet depuis la modification du cadre économique fin 2020, le nombre de nouveaux projets n’a qu’à peine compensé les projets abandonnés dans la file d’attente. Par exemple, il y a eu 250 nouvelles inscriptions au registre des capacités chaque année entre 2018 et 2020, et seulement 80 chaque année en 2021 et 2022. Pour relancer la dynamique, les gaz renouvelables ont besoin d’un cadre économique et réglementaire stable et sécurisant sur le long terme.
Pourtant les objectifs et les potentiels sont importants. Une estimation atteignable de production de gaz renouvelables et bas-carbone (hors hydrogène) est de 60 TWh dès 2030 et 320 TWh à l’horizon 2050 en France, soit presque une consommation de gaz entièrement renouvelable à cette date. Les objectifs européens sur le gaz renouvelable s’élèvent à 350 TWh en 2030 et 900 TWh en 2050.
Ces filières, implantées dans les territoires avec un potentiel et des usages disséminés partout sur le territoire, s'inscrivent complètement dans les politiques engagées localement dans les agglomérations et départements. Par exemple, à Grenoble, le futur tri des déchets Athanor, avec un site en cours de construction à Meylan, rentre dans le cadre du traitement des ordures ménagères d'origine organique qui constitue une source d'approvisionnement pour alimenter les méthaniseurs et réseaux de chaleurs urbains.
4. Solutions
Diverses solutions existent pour continuer le développement actuel du biométhane et assurer la pérennité de ce développement.
Poursuivre la visibilité de la filière pour éviter l’arrêt du développement des gaz renouvelables
Des mesures réglementaires ont été mises en œuvre en 2022 pour répondre aux effets conjugués de la crise du Covid et de l’inflation :
- Ré-indexation du tarif d’achat pour tenir compte de l’inflation et augmentation de la validité des contrats de 18 mois. En effet, il est nécessaire de réviser le tarif d’achat du biométhane qui a été mal calibré en 2020, et qui ne tient pas compte du contexte récent, et donc qui ne rend pas les installations de production de biométhane complètement compétitives.
- Parution du premier texte règlementaire actant de la mise en œuvre des Certificats de Production de Biogaz (CPB). La mise en œuvre des CPB devient une priorité. Le décret d’application est attendu pour fixer une trajectoire significative d’incorporation de gaz renouvelable dans le portefeuille des fournisseurs de gaz, et ce dès les premières années de son entrée en vigueur, et donc d’assurer une quantité fixée en avance par des objectifs réalistes et ambitieux de
- Lancement des appels d’offres pour tous les types de sites pour la méthanisation et les filières innovantes de production de biométhane
- Traduire l'objectif de 350 TWh de production de biométhane pour 2030 en un objectif obligatoire à l'échelle de l'UE garantira l'expansion rapide de la filière en Europe, et donc en France.
- Les projets de méthanisation doivent par ailleurs pouvoir profiter, tout comme les EnR électriques, du fonds de garantie sur les contentieux institué par la récente loi d’accélération des énergies renouvelables.
Financer les nouvelles filières de production de gaz renouvelables
La loi d’accélération des énergies renouvelables permet l’accès aux infrastructures gazières de l’ensemble des gaz renouvelables et bas carbone (biométhane, méthane de synthèse, etc.) quel que soit leur mode de production. Ce sont près de 70 projets déjà identifiés qui sont prêts à se lancer pour développer des technologies innovantes – power to gas, pyrogazéification, gazéification hydrothermale - complémentaires à la méthanisation. Ces technologies sont déjà opérationnelles en Europe (Suède, Pays-Bas, Grande Bretagne) et, en France, les premières injections de méthane de synthèse ont eu lieu dans le réseau de distribution en 2022. Ceci illustre que ces technologies arrivent à un stade de maturité suffisante pour leur déploiement, et qu’il faut accélérer la tendance.
Gabin MANTULET pour A3E
Articles de l’EEnr :
https://www.encyclopedie-energie.org/biogaz-biomethane-power-to-gas/
https://www.encyclopedie-energie.org/chaines-approvisionnement-biomasse-developpement-bioenergies/
Sources :
https://www.grtgaz.com/sites/default/files/2023-03/panorama-du-gaz-renouvelable-2022_0.pdf
Source photo d'illustration : https://www.lemonde.fr/energies/article/2018/06/14/le-gaz-renouvelable-nouvelle-production-agricole_5314564_1653054.html - auteur : PHR