La surdité et les implants cochléaires (Pascal Barone)

Publié par Mathilde Chasseriaud, le 26 août 2016   6.2k

Voici la retranscription d'une interview de Pascal Barone à propos de sa présentation lors de la Semaine du Cerveau à Toulouse (2016) sur les implants cochléaires.

Propos recueillis par Solène Thomas, Ysia Clausse et Mathilde Chasseriaud

Montage : Mathilde Chasseriaud


"Bonjour Monsieur Barone, vous êtes chercheur CNRS, notamment à l’Institut du CerCo à Toulouse. Nous aimerions vous poser quelques questions quant à votre intervention lors de la Semaine du Cerveau.

Une première question : vous travaillez sur les implants de type cochléaire, que l’on ne doit pas confondre avec les audioprothèses. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre un implant cochléaire et une audioprothèse ?

Pascal Barone : Une audioprothèse est un système d’amplification du son en cas de perte auditive. Un implant cochléaire est réellement une neuroprothèse ; un dispositif qui va venir stimuler directement une partie de notre cerveau, notamment de la cochlée car elle est composée de cellules nerveuses (cellules ganglionnaires composant le nerf auditif). L’implant cochléaire va venir stimuler électriquement ces cellules nerveuses. Il est utilisé en cas de surdité profonde, bilatérale. Le son va alors être capté, transformé grâce à des processing algorithmiques se trouvant dans l’implant et l’information auditive est transformée en information électrique qui va stimuler les neurones de l’oreille interne et pouvoir réactiver toute l’information auditive.

Est-ce que ces implants cochléaires sont destinés à des personnes sourdes de naissance ou à des personnes qui vont le devenir au cours de leur vie ?

P.B : La prescription d’implants cochléaires dépend de l’étiologie de la surdité ; pour qu’un implant cochléaire puisse fonctionner, il faut un nerf auditif. Donc en cas de malformation ou d’atteinte du nerf auditif, un implant cochléaire ne peut pas être prescrit.

L’implant cochléaire peut être prescrit à n’importe quelle personne ayant une surdité acquise au cours de sa vie adulte. Si par exemple vous devenez sourde demain pour telle ou telle raison, on peut vous mettre un implant cochléaire et il réalisera très bien sa fonction principale qui est de restituer l’intelligibilité de la parole.

Si vous êtes sourde de naissance et que cela est détecté, on peut vous mettre un implant cochléaire très tôt (aux Etats-Unis, des enfants de moins de 2 ans voire 1 an sont opérés pour mettre en place ce genre de dispositif).

Si l’implant cochléaire est mis en place très tôt dans le développement de l’enfant, il va pouvoir apprendre le langage et avoir des performances de compréhension de l’intelligibilité de la parole et de production de la parole qui seront similaires à n’importe quel enfant normo-entendant.

Par contre, si vous êtes sourde de naissance et que cela est détecté tardivement et que pour tout un tas de raisons un implant ne peut pas être mis précocement (à l’âge de 7, 8, 9, 10 ans), l’implant fonctionnera toujours mais, s’il n’y a pas eu apprentissage du langage, vous aurez beaucoup de difficultés à comprendre le langage, car une des raisons du fonctionnement de l’implant résulte des capacités du cerveau à être plastique et à pouvoir s’adapter aux informations.

Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne un implant cochléaire ?

P.B : Dans la partie externe se trouve un micro qui va capter les sons.

Cette information auditive va être envoyée àun processeur/transducteur vocal qui va transformer cette information auditive en information électrique.

Cette information électrique va être à son tour transmise au niveau d’une électrode située dans la cochlée où sont insérées des électrodes qui vont stimuler les cellules ganglionnaires qui sont à la base du nerf auditif.

Toute la difficulté de l’implant cochléaire réside dans la transformation de l’information auditive en information électrique.

Quels sont les résultats actuels en matière d’implants et les innovations àvenir ?

P.B : Excellentes ! Les résultats sont excellents. Il y a certes de la variabilité en fonction de l’étiologie de la surdité des patients. Les patients adultes implantés arrivent à des capacités de récupération de 80% de la parole (80% des mots reconnus dans le silence). Chez l’enfant, les résultats sont aussi très bons.

P.B : Cependant, là où il y a des difficultés en matière d’innovations àvenir, c’est l’écoute de la parole dans un environnement bruité. Avec deux implants, on observe un meilleur traitement de l’information spatiale. Les avancées technologiques à faire vont être principalement dans ce domaine-là.

Est-ce qu’une personne avec un implant cochléaire pourrait assister à un concert ?

P.B : Non, il s’agit de la seconde avancée technologique à faire en matière d’implants ; il n’y qu’une vingtaine d’électrodes, ce qui veut dire que tout le spectre auditif très riche ne sera restitué que par 20 électrodes donc l’information donnée à l’implant cochléaire est appauvrie, d’où l’importance du cerveau pour restituer une information.

Les compagnies s’intéressent beaucoup à des algorithmes qui pourraient restituer l’information musicale, qui est une information riche. Il s’agit d’un des challenges des décennies à venir."