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La sismologie citoyenne, une approche des sciences participatives autour d’un terrain de géothermie controversé : l’Alsace

Publié par Thomas Pellissier, le 29 novembre 2021   5.9k

Le 9 novembre 2021 a eu lieu la 6e et dernière séance du séminaire Sciences, société et communication, “Qui instrumente qui ? Construire et observer un réseau de sismologie citoyenne en terrain controversé”, présentée par Philippe Chavot, enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Strasbourg.

Pour commencer, petit flashback : en 2015, ce dernier est approché par des géologues impliqués dans des projets de géothermie industrielle profonde controversés et initiés dès 2010. Ce paradigme suscite alors l'incompréhension des scientifiques, mais aussi des acteurs publics et privés, car la géothermie est habituellement perçue comme un processus de production énergétique vert. Dans le cas présent, il s’agit de faire circuler de l’eau très chaude à 4-5 km de profondeur dans du granite, et c’est justement ce point qui cristallise l’opposition écologique. 

Philippe Chavot et son équipe ont alors suivi cette controverse et publié dessus dans le cadre d’une recherche intégrée dans le LabEx LISEC ; l’idée étant de garder leur indépendance vis-à-vis des industriels. En 2018, un projet de sciences participatives, SismoCitoyen, émerge de cette recherche ; Philippe Chavot est donc revenu sur le contexte de réalisation de celui-ci, ainsi que ses objectifs et premiers résultats.


Les sciences participatives : une réponse aux controverses scientifiques ?

Comme son nom l’indique, SismoCitoyen est un “projet pluridisciplinaire” et de sciences participatives qui “s’intéresse à la sismicité locale et la manière dont la sismologie est perçue par chacun” grâce au placement d’un certain nombre de capteurs sismographiques chez des Alsaciens (cf. SismoCitoyen : Découvrir le projet).

D’abord modeste, puis gagnant en envergure, l’initiative arrive dans un période de rupture marquée par des jeux d’acteurs complexes et de vifs débats ; l’un des objectifs est donc de capter les divers arguments portés dans l’espace public et de faire dialoguer les différents acteurs : associations de riverains, élus, DREAL, industriels et scientifiques. 

En 2019, un séisme situé à 5 km d’un lieu de forage, crée une des discordances dans le dispositif, notamment entre la DREAL, les industriels et l’expertise scientifique. Cette dernière est alors particulièrement contestée par les acteurs privés. De même, une série de séismes répertoriés de janvier 2020 à juin 2021 accroît la problématique et amène une mise en débat de la géothermie. 

Parallèlement, un projet bis à SismoCitoyen est mis en place en juillet 2021 (avec un début prévu pour 2022) autour de l’eurométropole de Strasbourg et des sites de forages du Nord de l'Alsace. Les recherches portent alors sur 3 zones particulières : l’Eurométropole de Strasbourg, Soultz-sous-forêt/Wissembourg (deux centrales de géothermie profonde) et la Faille bordière des Vosges. D’autres capteurs ont également été placés autour de Mulhouse (grâce à un financement du CNRS), en 2018, suite à des séismes à fort intérêt scientifique ayant eu lieu en début d’année. Des extensions du dispositif sont aussi prévues autour de Strasbourg d’ici 2022 grâce à un financement de type ANR. L’idée étant d'accroître, de manière quantitative, les données récoltées, mais aussi de constater les mouvements internes qu’ont potentiellement entraînés l’abandon de certains terrains miniers dans le territoire.

Source : http://sismo-citoyen.fr/ 

Sciences citoyennes, sciences participatives : quésaco ?

Les projets de recherche évoqués, notamment SismoCitoyen, amènent à questionner la notion de ”sciences participatives”. En se basant sur le rapport de François Houiller de 2016 sur la question, il convient ici de définir cette dernière comme la participation active et délibérée de citoyens, non-scientifiques, à une recherche scientifique. Ce rapport met en place une typologie en distinguant “sciences citoyennes”, “community based research” et “recherches participatives”. Suivant cette typologie, le réseau de SismoCitoyen est caractérisable comme de la “science citoyenne” puisqu’il amène à faire participer et réfléchir les citoyens aux processus de recherche en collaboration avec les scientifiques. 

Questionner les interactions sciences-société

Dans un second temps, le travail de Philippe Chavot et de son équipe consistait à dresser le profil de chaque participant, à rendre compte des usages du dispositif et comprendre le vécu de l’engagement citoyen dans les sciences. Pour cela, ils ont mené de nombreux entretiens.

Une de leurs premières hypothèses de travail s’est tournée vers la supposition que  la science citoyenne contribuerait à transformer des individus indifférents, voire hostiles à la science, en personnes sensibles à ces thématiques, ou, simplement, un petit peu plus enthousiastes qu'initialement.
Ils ont établi, pour répondre à cette question, un guide d’entretien en quatre axes : qui est le participant ? Comment perçoit-il son territoire ? Comment se représente la science ? Quelle est sa perception des aléas sismiques et de la sismologie ?

Ils ont ensuite mis un second guide d’entretien, pour questionner à nouveau les participants, dix mois après l’installation des capteurs chez eux : quelles ont été les utilisations du sismographe et des dispositifs en ligne ? Leur usage a-t-il modifié les attitudes et les comportements ? Quels ont été les usages privés et publics des infos collectées (en tant qu’individu) ? Bilan : le projet participatif a-t-il permis d’en apprendre davantage sur les séismes et de changer la perception des risques ? 

Tout ce travail leur a donc permis de questionner la notion d’engagement, inhérente aux sciences participatives.

Dans le cas du réseau SismoCitoyen, ce qui a frappé les chercheurs, c’est que les motifs et les perceptions de la science étaient très différents en fonction de chaque personne interrogée. Cela a impliqué un gros travail d’analyse, puisque des catégories “préformatées” ne convenaient plus vraiment à l’exercice. À l’avenir, il est prévu de mettre en place une analyse lexicale des discours des participants interrogés.
Grâce à leurs travaux, Philippe Chavot et son équipe ont pu définir une typologie des motifs de l’engagement, selon 3 axes définis : ceux qui s’engagent pour aider la science (1/2 des participants), ceux qui veulent aider et aussi tirer profit du dispositif, pour éduquer leurs enfants par exemple, les pragmatiques et les curieux.

Une typologie des types de participant a également été élaborée :

Globalement, le projet SismoCitoyen amène à questionner les interactions sciences-société, notamment la place des citoyens dans la production scientifique. Au-delà de la collecte de données, cette initiative permet aussi d’interroger de nombreuses notions qui gravitent autour de celle de “sciences participatives”, et, par extension, elle permet de percevoir la place des sciences dans nos sociétés, leur représentation, leur mobilisation et les différentes manières de les rendre plus accessibles. Un enjeu de poids pour le monde de la recherche et de la culture scientifique dans un temps de controverses multiples ? À méditer.


Article corédigé par Virginie Strohmeyer,  Alexandre Gros et Thomas Pellissier, étudiant.e.s en Master 2 Communication et culture scientifiques et techniques (CCST) à l'Université Grenoble Alpes.

Si vous souhaitez approfondir le sujet, vous pouvez retrouver la première séance de ce séminaire sur Twitter (#SSCgre) et via notre live-tweet :