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La santé des travailleurs sous-traitants dans le secteur du nucléaire

Publié par Matthieu Martin, le 13 novembre 2018   2.8k

Le 5 novembre, la Maison des Sciences de l’Homme de Grenoble a accueilli Marie-Aurore Ghis Malfilatre, doctorante au centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS) pour un séminaire portant sur la santé des travailleurs sous-traitants dans le secteur du nucléaire. Nous vous proposons un résumé de la présentation de l'étude ethnographique qu'elle a mené dans les camps de ces travailleurs installés à proximité de centres nucléaires.

De la prise de conscience à la reconnaissance

Si aujourd'hui la santé au travail peu apparaître comme un droit « naturel » des travailleurs, ce n’est bien qu'en apparence, car la construction des politiques publiques sur ce sujet n’est pas si évidente. Comment, par exemple, expliquer qu'au lancement du programme électro-nucléaire en France (dans les années 50) les principaux syndicats apportaient leur soutien, alors même que les risques sur l’exposition à la radioactivité sont connus depuis les années 30 ? Marie-Aurore Ghis Malfilatre nous montre à travers son étude que le développement que nous connaissons actuellement sur les questions de santé au travail dans le nucléaire résulte de configurations d’acteurs sociaux à un moment donné.

Si la question n’est pas d’actualité au moment de la création des programmes nucléaires, une prise de conscience apparaît progressivement. Des scientifiques spécialisés dans le domaine du nucléaire commencent à constituer des groupes de réflexion internes et se montrent critique sur la question des risques d’exposition. Le problème est ensuite peu à peu porté par certains acteurs syndicaux. Il faudra toutefois attendre 1997 pour voir une première vague de mesures gouvernementales, avec un décret pour l’interdiction du travail intérimaire et l’obligation de mettre en place un suivi pour les sous-traitants du nucléaire.

Malgré tout, cette question des risques des travailleurs reste peu visible dans le débat public et dans l’arène politique. Dans les années 2000, des travailleurs sous-traitant tirent eux-même la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail et les enjeux que cela comporte pour la sûreté nucléaire. Leur mobilisation débouchera en 2006 sur l’abaissement des seuils d’exposition et la création d’un haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).

Et dans la pratique ?

Ces mesures mises en place progressivement ont permis d’encadrer les risques encourus par les travailleurs sous-traitant du nucléaire, mais qu'en est-il des pratiques réelles ? Pour répondre à cette question, Marie-Aurore a mené une étude ethnographique avec parfois des obstacles de taille pour trouver son terrain. En effet nous dit-elle, certains acteurs du nucléaire comme EDF se montrent peu ouverts sur le sujet de la sous-traitance et les informations sont difficiles d’accès. 

Elle choisit alors d’aller au plus près des personnes concernées : les campings établis pour ces travailleurs. Lorsqu'un réacteur nucléaire est mis à l’arrêt, les travaux s’effectuent sur une durée relativement courte (quelques mois), et mobilisent entre 600 et 1500 travailleurs sous-traitants. Les travailleurs sont alors logés temporairement et à proximité des réacteurs. Ce qui ressort de l’étude de Marie-Aurore Ghis Malfilatre, c’est qu'au delà des mesures mises en place, le travail de sous-traitance est fait d’aléas, de « bidouillages », de non-dits. 

Malgré la médiatisation des questions portant sur les risques du nucléaire, la question de ces travailleurs sous-traitant et de leurs conditions de travail réelles restent très peu visible. D’après Marie-Aurore Ghis Malfilatre, tout semble concourir pour que les questions de santé du travail nucléaire ne deviennent pas un enjeu politique. Les médecins du travail restent parmi les principaux acteurs de lutte pour la protection de la sous-traitance. Mais eux-même se retrouvent dans une position paradoxale : chargés d’assurer la santé des travailleurs tout en étant payés par l’entité qui pourrait être à l’origine des risques encourus par ces travailleurs.

En conclusion, l’étude ethnographique d’un point de vue historique sur la santé des travailleurs du nucléaire met en évidence le poids des différents acteurs sociaux mobilisés à un moment donné. Elle fait également apparaître le décalage qu'il peut exister entre les mesures politiques, la médiatisation et les pratiques réelles des travailleurs exposés au risques de la radioactivité. La médiatisation n'apparaît donc pas comme une condition suffisante pour que les pouvoirs publics s’emparent de la question.