La pollution de l’air intérieur : une problématique invisibilisée par les médias et la communication publique
Publié par Juliette Robert-Soriano, le 1 janvier 2025 170
Pour cette édition du séminaire "Sciences, société et communication", et dans le cadre de notre master en communication et culture scientifique et technique, nous avons assisté ce 10 décembre 2024, à la sixième et dernière séance du séminaire organisé par la MSH-Alpes, le GRESEC et l’Observatoire sciences-société (OSS). Lors de cette conférence, Benjamin Ferron, sociologue et docteur en science politique affilié au Céditec (Université Paris-Est Créteil), a présenté ses travaux sur la construction médiatique de la problématique de la pollution de l’air intérieur. Voici un aperçu des enjeux soulevés lors de cette séance, coordonnée par Mikaël Chambru, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes.
Un problème de santé publique peu médiatisé
La pollution de l’air intérieur, malgré son impact sanitaire considérable (moisissures, produits toxiques issus des peintures, meubles, produits de bricolage, etc.), reste un problème peu traité par les médias et souvent abordé de manière simpliste. Pourquoi ce sujet, qui touche tout le monde, ne s’est-il pas imposé comme une priorité de santé publique ? C’est la question qu’ont explorée Benjamin Ferron et Renault Crespin dans leur étude sociologique, notamment à travers leur article "Un scandale à la recherche de son public : la construction médiatique du problème de la pollution de l’air intérieur en France".
Le poids des constructions médiatiques et politiques
L’analyse révèle que la façon dont le problème est construit dans les médias joue un rôle clé dans sa perception publique. Selon le modèle "Naming, Blaming, Claiming", la dénomination du problème, l’attribution des responsabilités, et les revendications formulées influencent fortement les solutions envisagées. Pour la pollution de l’air intérieur, cette construction met en avant des responsabilités individuelles (ouvrir les fenêtres, éviter certains produits) plutôt que structurelles (réglementation des matériaux ou contrôle des émissions industrielles). Cela rappelle le traitement d’autres enjeux sanitaires, comme le tabac : la charge de la résolution du problème repose sur les individus, diluant ainsi les responsabilités des institutions et des industries.
Une thématisation fragmentée et institutionnalisée
Depuis les années 1970, les occurrences du terme "air intérieur" dans la presse ont augmenté, mais la qualité des articles a évolué. Si, au départ, des articles longs et fouillés abordaient les causes et implications de ce problème, aujourd’hui, les formats sont plus courts et standardisés, relayant souvent des communiqués de presse officiels. Cette évolution reflète une institutionnalisation du discours, où l’enjeu est routinisé dans des ateliers de prévention ou des recommandations simplifiées. La politisation progressive du sujet (2008-2010) n’a pas permis de dépasser ces limites. Les journalistes, souvent dépendants de sources administratives ou contraints par des logiques d’audience, traitent ce sujet comme secondaire, sans se l’approprier.
Des responsabilités floues et des solutions superficielles
La gestion médiatique de la pollution de l’air intérieur illustre une tension récurrente dans les problématiques de santé environnementale : éviter les scandales. Contrairement à l’amiante, les autorités publiques et les médias préfèrent des discours préventifs et rassurants. La solution proposée – aérer régulièrement – devient un mantra, sans pour autant traiter la source réelle du problème. Ce cadre évite de pointer du doigt les industries ou les normes de construction qui contribuent directement à cette pollution.
Un enjeu scientifique complexe
Benjamin Ferron a également souligné les difficultés spécifiques liées à la médiatisation des problèmes de santé environnementale. Invisibles, complexes scientifiquement, et aux effets souvent différés, ces enjeux ne trouvent pas facilement leur place dans des médias soumis à des contraintes d’audience et de spécialisation. Les journalistes peinent à devenir experts sur des sujets aussi diffus, préférant se concentrer sur des problématiques plus tangibles ou polémiques.
Propriétaires du problème : un jeu d’acteurs inégal
Enfin, l’intervention de Benjamin Ferron a mis en lumière les luttes d’appropriation autour de la problématique de l’air intérieur. Alors que des acteurs comme les experts sanitaires ou toxicologiques auraient pu structurer le débat, c’est finalement le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) qui a émergé comme principal acteur. Ce choix, influencé par des enjeux techniques et économiques, marginalise une approche plus critique ou systémique.
Vers une reconfiguration nécessaire
Le travail présenté lors de ce séminaire invite à repenser la façon dont sont construits et médiatisés les problèmes de santé environnementale. Il pose des questions cruciales sur le rôle des médias, des pouvoirs publics, et des scientifiques dans la mise en visibilité de ces enjeux. Face à des problématiques globales comme la pollution de l’air intérieur, il est essentiel de dépasser les réponses individuelles et d’adopter des approches plus structurelles et transversales.
Ce séminaire a offert des pistes de réflexion sur la manière dont les sciences et la société interagissent. Un éclairage précieux pour mieux comprendre pourquoi certains problèmes restent dans l’ombre malgré leur importance. Pour découvrir d’autres analyses sur les thématiques abordées lors des séances précédentes du séminaire, n’hésitez pas à consulter les articles de nos camarades, disponibles sur la plateforme Échosciences Grenoble :
Article co-rédigé par Thibault DU HOMMET et Juliette ROBERT-SORIANO