La force chimique du coléoptère bombardier - par Océane Bartholomée
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 5 avril 2018 16k
- Chronique rédigée et présentée par Océane Bartholomée pour le MagDSciences -
>> Chronique ré-éditée pour Echosciences par Mathilde Chasseriaud <<
En observant les relations au sein du monde du vivant, on se rend compte qu’il est rempli de mécanismes naturels de défense, tant chez les plantes que chez les animaux.
Un cas de défense peu commun
Si les humains ont développé des armes physiques comme les épées, les masses d’arme et les pistolets et des armes chimiques telles que le gaz moutarde ou le napalm, ce ne sont pas les seuls à jouir de méthodes de défense plus ou moins dissuasives.
Les êtres vivants possèdent une grande diversité de stratégies défensives. Il existe des stratégies d’évitement comme le mimétisme dont font preuve les caméléons et les pieuvres qui, en se fondant dans leur milieu, échappent à leurs prédateurs. D’autres êtres vivants ne se privent pas de stratégies plus offensives. Parmi les défenses physiques, on peut citer les épines de certaines plantes ou les piquants des hérissons qui dissuadent respectivement les attaques d’herbivores et de prédateurs. Certaines stratégies se basent sur des défenses chimiques. C’est un cas de ces cas de figure bien particuliers dont nous allons traiter ici.
Plus spécifiquement, les membres de la famille des scarabées, les coléoptères bombardiers adultes sont capables, pour se défendre de vaporiser un jet d’un liquide nocif à l’extrémité de leur abdomen lorsqu’ils sont dérangés. Certains de leurs prédateurs les avalent et les digèrent sans problème. Pour d’autres mangeurs de coléoptères, la tâche est plus complexe : il leur arrive de recracher les coléoptères bombardiers qu’ils venaient de chasser.
Des scientifiques japonais ont choisi d’étudier ce mécanisme chez notre héros du jour le coléoptère bombardier, répondant au nom savant de Pheropsophus jessoensis, ainsi que sa stratégie de défense et d’échappement vis-à-vis de ses prédateurs, les crapauds Bufo japonicus.
Afin de tester le rôle de la vaporisation du liquide toxique et chaud de ces coléoptères sur leur éjection ou non par les crapauds les ayant avalés, les scientifiques ont constitué deux groupes de coléoptères bombardiers.
Le premier groupe était constitué de coléoptères « témoins » qui étaient donc non manipulés.
Le second groupe se composait de coléoptères bombardiers dont l’éjection du liquide de défense avait été provoquée expérimentalement à l’aide de pinces. Ces coléoptères se sont donc retrouvés sans leur arme de défense, étant dans l’incapacité de reproduire un jet toxique avant un certain temps.
L’étape suivante a été de présenter ces deux groupes de coléoptères bombardiers à des crapauds afin qu’ils les attrapent et les mangent, respectant leur rôle naturel de prédateur.
La taille : un argument de poids
Les crapauds ont capturé les coléoptères bombardiers à l’aide de leur langue collante et tous les crapauds de l’expérience ont avalé un coléoptère bombardier.
Tous les coléoptères bombardiers du second groupe, c’est-à-dire le groupe d’insecte sans défense ont été avalés et digérés par leurs prédateurs.
Les insectes "contrôle" du premier groupe ont eu plus de chance. Après leur prédation, une explosion provenant de l’intérieur des crapauds était audible : il s’agissait de l’éjection du liquide toxique par un coléoptère bombardier qui venait d’être avalé. Un peu comme si le bout de poulet que vous veniez d’avaler essayait de vous piquer à l’aide de son bec.
Après avoir avalé les coléoptères, 35 % des crapauds ont vomi les insectes ingérés recouverts de mucus, et ce entre 12 et 94 minutes après les avoir ingérés. Les coléoptères recrachés par leurs prédateurs étaient vivants et actifs et ont survécu entre 17 et 562 jours après leur bref séjour dans le système digestif – l’œsophage ou l’estomac - de leurs prédateurs amphibiens. De même, dans cette bataille entre crapauds et coléoptères, aucun prédateur n’est mort d’avoir avalé sa proie.
Dans ces relations proie-prédateurs, la taille est un argument de poids. En effet, plus les coléoptères bombardiers sont grands, plus ils sont capables de produire une grande quantité de liquide toxique. C’est visiblement ce liquide qui force les crapauds à vomir leur proie ainsi qu’en témoigne l’absence de vomissement d’individus du groupe de coléoptères sans défense. Les coléoptères bombardiers de plus grande taille ont un taux de survie plus élevé que leurs conspécifiques de plus petite taille. Les petits crapauds vomissent également plus fréquemment leur proie que les grands crapauds.
Pour la proie comme pour le prédateur, la taille a son rôle à jouer dans l’éternel jeu de manger ou être mangé.
Une autre partie de l’expérience a permis de montrer que le coléoptère bombardier survit à l’estomac des crapauds plus fréquemment que d’autres espèces de scarabées ce qui met en avant le développement d’une plus grande tolérance aux sucs digestifs des crapauds ou que, tout du moins, le liquide de défense réduit les effets des fluides digestifs des crapauds.
Cette guerre entre Bufo japonicus et Pheropsophus jessoensis pourrait presque être à l’origine d’un scénario de film d’horreur…
Sources
>> Sugiura, S., Sato, T., 2018. Successful escape of bombardier beetles from predator digestive systems. Biol. Lett. 14, 20170647. https://doi.org/10.1098/rsbl.2...
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