La course d'obstacles de l'hydrogène bas carbone en Europe
Publié par Encyclopédie Énergie, le 13 juillet 2021 2k
Dans le cadre des politiques de transition vers la neutralité carbone, nombre de gouvernements projettent d’investir massivement dans le développement des usages de l’hydrogène venant de l'électricité verte supposée peu chère. A ce sujet, leur préoccupation centrale est celle des utilisations nouvelles de l'hydrogène
- en substitution des combustibles fossiles,
- ou en remplacement de l'hydrogène brun issu de procédés utilisant des combustibles fossiles dans ses usages industriels actuels : raffinage pétrolier, production d’ammoniac ou chimie.
- du fait de l'augmentation de leur taille (de 20 à 100 MW)
- et grâce à leur production en série dans des gigafactories.
Le vaporeformage du méthane (figure 1) principal procédé de production, émet en effet 10 kg de CO2 pour 1 kg de H2 produit. L'enjeu de l'élimination de ces émissions est important, parce que la production de 900 000 tonnes d'hydrogène utilisées dans ces usages en France entraîne l'émission de 9 millions de tonnes (Mt) de CO2.
Il faudrait pourtant s'interroger aussi sur les coûts de production de l'hydrogène bas carbone. En effet, même à partir d'électrolyseurs alcalins perfectionnés dont on prédit, d'ici 2035, des baisses de coût importantes (vers 90€/kWe)
Parvenir à des coûts complets rivalisant avec ceux du vaporeformage, même avec un prix du carbone élevé, est cependant loin d’être certain, car les conditions d'achat d'électricité bas carbone par les producteurs d'hydrogène seront loin d'être favorables dans les pays européens, et ce même en France où on pourrait penser que les MWh de production de base à partir du nucléaire majoritaire seraient un atout.
1. Le rapport du gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité (RTE)
Ce résultat surprenant est celui du rapport du RTE "La transition vers un hydrogène bas carbone" (janvier 2020). Il présente l'originalité de sortir des sentiers battus sur l'hydrogène vert qui serait produit à bas prix par l'électricité surabondante des énergies renouvelables (EnR) dans un futur énergétique "à l'allemande". Il considère les situations ordinaires où l'hydrogène est produit par de l'électricité venant de toutes les technologies bas carbone, nucléaire et EnR, et achetée sur le marché électrique horaire quand les prix sont bas, voire nuls.
Le rapport de RTE explore ainsi plusieurs modes d'approvisionnement des électrolyseurs en 2035 avec un mix électrique dont la production est composée à 50% de nucléaire et 40% d'EnR, dont 30% d'EnR intermittentes. Il compare une première situation où l'électricité est achetée sur le marché pendant les heures de grosses productions renouvelables où le prix est bas (entre 0 et 15€/MWh), avec une seconde situation où l'approvisionnement se fait en électricité de base hors périodes de pointe de prix élevés (prix entre 40 et 60€/MWh). Il ajoute une troisième situation de production locale couplant un producteur renouvelable (photovoltaïque), un électrolyseur et un stockage électrique. Ces modèles conduisent à des facteurs de charge des électrolyseurs et à des profils économiques très différents, car le prix de revient du kg d'H2 est très dépendant de la durée annuelle de fonctionnement de l'électrolyseur. L'investisseur doit choisir entre un mode de fonctionnement court pendant les heures de prix les plus faibles et un autre avec un fonctionnement beaucoup plus long basé sur un approvisionnement en électricité de base payé à un prix plus ou moins aligné sur le coût complet du MWh nucléaire.
2. Les coûts de production des différents hydrogène
Dans les trois modes de production, le prix de revient de l’hydrogène décarboné produit par électrolyse en 2035 apparaît supérieur à celui du vaporéformage à 1,8 €/kg d'H2 au prix actuel du carbone proche de 30€/tCO2, même en tenant compte de baisses de coûts importantes des électrolyseurs d'ici là. Dans le mode opératoire autarcique basé sur le couplage d'électrolyseur avec de l’autoproduction électrique par solaire PV, le déterminant principal du modèle économique est le coût complet des installations de production renouvelable couplés aux électrolyseurs avec un stockage par batteries. Avec des électrolyseurs performants, le coût complet de la production d'hydrogène se monterait à 3,5 €/kg d'H2.
Dans le mode d'approvisionnement sur le marché en situations de surplus renouvelable ou nucléaire, ce n'est pas le bas prix de l’électricité sur le marché de gros qui détermine l’équation économique, mais les quantités achetées sur l'année. En effet les durées de fonctionnement réduites de 1000 à 1500 heures par an conduisent à augmenter le dimensionnement des électrolyseurs pour une même production d’hydrogène. Le coût complet se monte à 6,7 €/kg d'H2, dont les trois quarts sont les coûts fixes des électrolyseurs.
Dans le dernier mode d'approvisionnement, celui par MWh de base acheté sur le marché de l’électricité hoirs pointe, le coût des électrolyseurs n’apparaît pas déterminant car ils fonctionnent 7000h/an. L’enjeu porte sur l’accès à des prix modérés de l’électricité qu'un mix à dominante nucléaire pourrait garantir en France dans un système fermé. Dans un tel cas, le coût est de 3,0 €/kg d'H2, dont seulement une petite part de coûts fixes des électrolyseurs.
Avec le prix actuel du prix du CO2 (30 €/tCO2), le coût complet de la production d'H2 par électrolyse dans les trois cas apparaît très largement supérieur à celui du vaporéformage de 1,8 €/kg d'H2. En revanche, avec le prix de référence du carbone de 375 €/tCO2 en 2035 que recommande le rapport Quinet sur "la valeur de l'action pour le climat", l'hydrogène bas carbone serait compétitive par rapport à l'hydrogène" brun". Mais si on arrive à un tel prix en 2035 sous forme d'une taxe ou du prix du système de permis européen (via un prix plancher), il risque d'y avoir beaucoup de gilets de toutes les couleurs sur les ronds-points, rejoints par ceux du patronat.
Le modèle d'affaires combinant électrolyseurs et achat de l'électricité de base à majorité nucléaire est le plus performant des trois modèles, en restant loin de celui du vaporéformage. Ceci dit, on ne doit pas oublier que le système français n’est pas isolé des autres. Sur le marché ouest-européen intégré, ce seront encore des centrales au charbon ou à gaz aux coûts de combustible élevés renforcés par les coûts du carbone, qui seront les producteurs marginaux sur le marché horaire pendant 80-90% de l'année, c'est-à-dire un peu moins qu'actuellement où le nombre d'heures de prix nuls ou négatifs dus aux productions des EnR est encore limité. Le prix de l’électricité européenne traduit pas le coût modéré et le caractère décarboné du parc français. Face à cette réalité, si le prix du carbone augmente, comme c'est souhaitable pour arriver à la neutralité carbone en 2050, les prix des MWh de base seront de plus en plus élevés. Ceci pénalisera la production d’hydrogène bas carbone par électrolyse en rendant plus difficile sa course poursuite avec l'hydrogène brun, même si celui-ci est aussi pénalisé par ce prix du carbone plus élevé.
3. Rendre compétitif l’hydrogène bas carbone pour substituer l’hydrogène carboné
Comment sortir de ce cercle vicieux pour les 30 TWh dont on aurait besoin pour produire 600 000 tonnes d'hydrogène destinées aux usages industriels (les 2/3 des besoins) avec des électrolyseurs performants ?
Une première idée serait un dispositif de prix règlementé pour l'électricité alimentant les électrolyseurs, prix qui serait aligné sur le coût des MWh du nucléaire existant (42€/MWh). Mais le coût de cette subvention serait supporté par EDF qui n'en peut mais de voir ses marges réduites avec l'ARENH et les tarifs règlementés.
Une seconde idée serait de garantir aux électrolyseurs un prix de l'hydrogène sur 20 ans, comme certains l'envisagent, par des contrats de complément de rémunération similaires à ceux dont bénéficient les projets éoliens et de solaire PV au sol. La subvention qui serait financée par l'Etat serait justifiée par le gain social d'effacement des émissions du vaporéformage. Le prix garanti serait calculé en référence au coût de l'H2 brun incluant la valeur tutélaire du carbone en 2035, soit 4,9 €/MWh. Ou bien, le prix ainsi calculé étant très important, on pourrait le définir par rapport au prix de revient de l'H2 dans le modèle "autoproduction PV/électrolyseurs" qui est indépendant du prix du carbone qui affecte le prix du marché électrique (il se monte à 3,5 €/kg H2 dans l'exercice de RTE). Au passage, ce pourrait être finalement ce mode de production local qui pourrait émerger, notamment pour des usages industriels et de transports localisés à proximité des lieux de production, comme on peut le voir dans certaines expérimentations en Asie et en Australie.
Les solutions seraient logiquement à appliquer aussi pour les productions futures d'hydrogène destinées aux nouveaux usages dont le développement est envisagé, et pas seulement à ses usages industriels actuels. Comme il y a peu de raisons d'imaginer qu'avant 2040, les prix de l'électricité sur le marché ouest-européen seront très bas pendant un nombre important d'heures, l'hydrogène bas carbone sera cher, même avec un progrès technique important sur les électrolyseurs. Il faut donc s'attendre à devoir subventionner à un niveau élevé les nouveaux usages de l'H2 dans les transports lourds, l'aviation, la nouvelle sidérurgie, etc. sans parler du méthane de synthèse (le dénommé biométhane) qui serait produit à un coût prohibitif.
En conclusion, si la tentation de tout prosélyte est forte de tourner le dos aux réalités économiques, il serait regrettable que le principe du "quoiqu'il en coûte" s'applique à l'hydrogène du futur, même si cette nouvelle utopie de la transition énergétique est, ô combien, séduisante.
Source (auteur de l'article) : © Dominique Finon
Pour en savoir plus, lire dans encyclopedie-energie.org
- L’essor de l’hydrogène : Auvergne Rhône-Alpes, région leader en France
- Thierry Alleau. L’hydrogène
- Hugo Le Boulzec. La production d’hydrogène vert
- Karel Hubert. Stockage d’énergies renouvelables sous forme d’hydrogène pour sites isolés
- Thomas Degrandcourt. Accumulateurs : le futur du stockage d’énergie ?
- Aurélien Armanet. Des véhicules hybrides à l’hydrogène