La catastrophe miraculeuse
Publié par Luce Martin, le 12 décembre 2021 830
2021. Article de SF écrit par Luce MARTIN, Étudiante M2BEE.
Dans une société avide de “progrès”, de technologie, de profit et de superficialité ; où les scientifiques alertaient depuis déjà de nombreuses années sur la pénurie des matières premières, l’effondrement de la biodiversité, le changement climatique et la pollution ; ce qui devait arriver arriva, du jour au lendemain, s’abattant sur ces petits êtres égoïstes, capricieux et auto-destructeurs : les humains.
“Ce fut si soudain. Non, que dis-je. De nombreuses personnes nous prévenaient depuis des années que cet effondrement nous menaçait. Mais nous ne voulions rien entendre."
Cela faisait déjà 40 ans qu’Issa et Dana, sa compagne, vivaient dans ce nouveau monde. “De mon côté, la surprise fut moindre. J’ai toujours voulu ce retour à la nature. Pour moi, c’était une sorte de catastrophe miraculeuse.”
Ce nouveau monde, c’était un monde sans pétrole, sans gaz, sans terres rares, sans uranium et donc sans électricité. Certaines ressources persistaient, mais n'étaient guère exploitées à outrance, car tout le monde craignait maintenant de perdre ces dernières précieuses richesses terrestres.
Au départ, ce fût un réel désastre. La grande majorité des entreprises partit en faillite et les gens perdirent leur travail, leurs biens, ce qui poussa nombre d’entre eux à se suicider ou à s’entretuer. Très peu se virent continuer à vivre dans un monde sobre, ralenti, égal (ou presque) au Moyen-Age.
Cependant, un élément différait de cette époque : les humains avaient vécu l’expérience d’une société qui s’est vu disparaître du fait de la sur-stimulation de la précieuse Pachamama. Ils savaient maintenant que pour rien au monde, même l’argent, il ne fallait reproduire cette erreur.
Ainsi, tous les humains qui survécurent à cet effondrement entraînant une guerre civile se virent connectés plus que jamais au Vivant, exprimant tous les jours leur gratitude envers les ressources renouvelables et toutes les richesses de la Pachamama.
“La charge de travail est énorme et nous n’avons plus le même confort, mais nous n’avons jamais été aussi heureux.”, affirma Issa. “Venez, je vais vous montrer notre jardin nourricier”.
Ce fut comme si nous pénétrions dans le jardin de Jéhane dans Azur et Asmar, mais avec majoritairement des légumes et des fruits : Poacées (blé, orge, maïs), Fabaceae (haricot, petit pois), Asteraceae (Artichaut, laitue), Amaranthaceae (betterave, blettes), Amaryllidacées (ail, oignon, poireau, échalote), Apiaceae (carotte), Solanaceae (aubergine, poivron, pomme de terre, tomate), Rosaceae (mûrier, framboisier, fraisier, prunier, cerisier, pommier, poirier), Cucurbitaceae (concombre, melon, citrouilles et courges), mais également des Lamiaceae (thym, menthe, basilic, sauge), faisaient flotter un parfum doux et délicieux.
Des plantes d’ornement se tressaient tout autour d’arches d’environ deux mètres.
“C’est magnifique !” m’exclamai-je.
Issa et Dana me sourirent, et m'entraînèrent dans l’allée principale. Les montagnes en face de nous étaient illuminées par le beau soleil de ce splendide mois de mai. Je sentis une allégresse m’envahir et tandis que je me laissai aller à ce sentiment, je me rendis compte qu’il était partagé, que ces femmes ne me voyaient pas comme une étrangère, et que l’espoir leur permettait de donner cette confiance dès les premiers instants.
Arrivés devant un box, Issa me tendit une pomme. “Passons maintenant à la seconde partie de la visite” me dit-elle, très fière. Elle poussa la porte du box, qui abritait quatre chevaux, arborant différentes robes. “Nous les avons récupérés dans un abattoir abandonné suite à la faillite du patron” dit Dana. Je pus lire dans ses yeux que ces animaux n’étaient pas que des bêtes pour elles. Je lui posai alors la question : “Tu as l’air de les aimer ces chevaux, n’est-ce pas ?” Elle me répondit : “Tu sais, il a fallu beaucoup donner pour avoir ce que nous avons désormais, et c’est comme ça que le bonheur te revient.”
Je compris que les liens les unissant furent la réaction à de lourdes remises en question, aussi nécessaires qu’obligatoires, dans un monde où la facilité de la consommation s'était envolée. Elle m’expliqua qu’avec ces chevaux, elle pouvait tirer des arbres, après les avoir bucheronnés, porter de grandes quantités d’eau, tirer une charrette, mais également, et plus simplement, se déplacer sur de longues distances, plus rapidement. Ces animaux étaient de vrais couteaux suisses dans ce nouveau monde ! Je compris alors la reconnaissance qu’elles pouvaient leur donner. L’amour est un moteur tellement puissant, et c’est au travers de ce sentiment que tous les jours elles utilisent leurs “outils”.
Enfin, ils me guidèrent tout au fond du box, où une nouvelle porte donnait sur un poulailler, mais également une porcherie, et enfin un pré où des moutons gambadaient librement. “Tu vois, ces moutons permettent aux adventices de se développer, ils mangent seulement certains types d’herbacées, la diversité bat ainsi son plein dans notre pré, et les insectes qui pourraient être “nuisibles” pour notre potager ne peuvent pas se développer.”
Ma venue ici était principalement influencée par l’envie de découvrir leur banque de graines. En effet, Issa et Dana m’avaient expliqué qu’il y a vingt ans, elles avaient récupéré quelques graines dans différentes banques de graines en France, et qu’elles avaient alors décidé de créer leur propre banque de graine, installée dans les hauteurs des Ecrins, enfouie dans le permafrost. Cette méthode de conservation ex situ très efficace permettrait la sauvegarde du patrimoine génétique.
Afin de permettre leur conservation, elles les avaient séchées à l’air libre puis nettoyées, et avaient fait en sorte d'éliminer le maximum d’eau présente, processus qu’on appelle la dessiccation. Pour ce faire, il leur a fallu mettre les graines mais également des copeaux de bois, ainsi que de l’argile naturelle dans des boîtes hermétiques, emballées dans des sachets étanches et les protégeant de la lumière mais également de l’humidité.
Concernant la construction de cette banque, cela n’aurait jamais été possible en 2022, lorsque la Terre connaissait un réchauffement catastrophique. L’arrêt de la société avait permis de couper quasiment toutes les émissions de gaz à effet de serre. Cela engendra alors un refroidissement considérable. Ainsi, le pergélisol de 2022 qui fondait drastiquement se recomposa, et atteignit les -10 degrés 20 ans après, ce qui permit la création de cette curieuse banque de graines.
Cependant, sa construction ne fut pas sans effort. En effet, cela demanda à Issa et Adama ainsi qu’à leurs amis de creuser un tunnel dans le pergélisol, ainsi qu’une pièce où les graines allaient être disposées. Ensuite, le tunnel fut rebouché par de la terre et de la glace.
“Maintenant, allons découvrir notre trésor.” me souffla Issa. L’excitation mélangée à la peur m’envahit. Mon cœur palpitait, des gouttes de sueur glissèrent lentement dans mon dos.
Nous prîmes trois chevaux, du pain, du fromage, du pâté, de la tapenade de tomate, des carottes ainsi que des fruits, mais surtout des pioches afin de casser l’entrée du tunnel.
Il était 8h du matin, notre expédition pouvait commencer.
Sur la route, Issa et Adama me confièrent leur inquiétude quant à la bonne conservation des graines. “Cela fait 20 ans que nous n’y sommes pas retournées. Bien que nous avions sélectionné des variétés dont la germination se fait à des températures relativement élevées, nous avons peur que les graines n’aient pas été bien conservées.”
Une fois arrivées à destination, nous fûmes surprises quant à la quantité de glace qui avait recouvert l’entrée de la banque. Je sentis mes compagnons découragés. Je pris alors la pioche et commençais à détruire l’épaisse couche qui nous séparait de ce trésor. Il leur fallu peu de temps pour m’assister dans cette tâche.
Au bout de 2 heures d’acharnement, la peau des mains arrachée, l’énergie quittant nos corps, nous perdions courage. C’est à cet instant précis qu’Issa, emplie de rage, se saisit de la pioche et la lança dans notre brèche. La glace céda, et nous entendîmes que le son résonnait. Un long couloir devait se tenir derrière cette masse, dont nous étions pratiquement venus à bout. Je m’esclaffai de joie, et pris alors ma pioche, afin de dégager un passage de taille d’Homme.
Une fois entrées, le tunnel face à moi était plus long et plus étroit que je ne l’imaginai. A nouveau, mon cœur s’emballa. Mais dans un élan de courage et d’adrénaline, j’emboîtai le pas, et arrivai dans la pièce.
Comme prévu, certaines graines s'étaient dégradées.
Cependant, Issa et Dana semblaient être aux anges. “Les dégâts sont bien inférieurs à ce que j’avais imaginé.” confia Dana, soulagée.
Toutes variétés d’aubergines, de courges, de concombres, de haricots, de tomates, d'artichauts, de betteraves, de choux et bien d’autres se dévoilèrent sous nos yeux admiratifs.
Une fois les graines récupérées et leurs remplaçantes déposées, nous repartîmes rapidement. Le retour se fit dans la joie et dans la hâte de semer ces merveilles, ce que nous fîmes directement à notre retour.
Cependant, les graines furent plantées selon un certain ordre qui allait favoriser aux mieux les espèces. Ce jardin cultivé au travers des méthodes de permaculture allait ainsi devenir un véritable réservoir de biodiversité, en attirant divers animaux, insectes. En effet, Issa m’expliqua que la diversification des cultures entraînerait une hausse d’un quart de la biodiversité, mais améliorerait également la qualité des sols. De plus, certaines plantes permettraient de repousser les “nuisibles”, quand l’association de plusieurs essences d’arbres permettrait de puiser l’eau des sous-sols et de l’amener vers les horizons supérieurs du sol, mais aussi d’ombrager certaines zones, ainsi favorables aux espèces sciaphiles. Les logiques d’engrais produites par les excréments de leurs animaux, mêlées au paillage naturel des feuilles mortes tombant des arbres alentour donnaient au potager un carburant précieux et leur permettait de produire de nombreuses récoltes.
“Luce, te sens-tu en harmonie ici?” me demanda soudainement Issa pendant que nous semions les graines. A cet instant, je me rendis compte que cette aventure m'avait appris à vivre avec des logiques naturelles qui entraînent à l’autonomie et la libération de beaucoup de dépendances. Ainsi, j'acquiesçai avec un grand sourire. Je ne m’étais jamais sentie aussi heureuse et en paix avec moi-même.
Bibliographie
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