L'Intelligence Artificielle au secours de notre intuition pour comprendre le monde quantique
Publié par Laurent Vercueil, le 24 mars 2016 4.8k
Notre Cerveau a des limites. Il faut bien l'admettre. L'une d'entre elles s'appelle l'intuition.
L'intuition, c'est le mode économique qu'a trouvé la matière grise pour comprendre le monde qui l'environne. C'est l'application d'une bonne dose de logique, pas nécessairement de façon consciente, au traitement des données sensorielles. Ainsi, si j'ai soudainement l'intuition qu'au coin de cette rue je vais croiser mon ami Pierre, c'est parce qu'un traitement statistique des informations collectées jusqu'à présent me permet d'établir, avec un degré de probabilité élevé, qu'il peut effectivement se trouver devant moi dans quelques instants (il m'avait dit qu'il ne travaillait pas aujourd'hui, il habite dans ce quartier, c'est l'heure tardive où il se lève pour aller chercher son pain, etc.). Et il sera là, en effet. Ou pas.
Le monde intuitif est un monde logique. Et cette logique, c'est celle de notre cerveau, qui compute, le plus souvent hors du champ de la conscience, une grande masse d'informations selon des règles immuables. En voici quelques exemples, pris au hasard : 1) lorsque deux évènements se suivent, le premier est la cause du second; 2) la lumière vient du haut, ce qui explique qu'une ombre se projette vers le bas; 3) lorsqu'il y a du bleu, il y a beaucoup de chance qu'autour il y ait encore du bleu; 4) si je m'engage dans un rond-point, c'est parce que j'ai vérifié l'absence d'une voiture (1), etc.
Cette intuition est pratique dans le monde que nous pratiquons. Elle est toutefois parasite lorsque nous abordons les confins du monde quantique : on dit bien de ce dernier qu'il est contre-intuitif. Il nous déroute, il nous laisse interloqué, il nous abasourdit, il nous dérange. On ne le comprend pas avec ce qu'on a d'intuition. On a du mal à y croire. Dissonances cognitives.
Des chercheurs d'un institut Viennois, partis de l'hypothèse que notre cerveau était trop borné pour comprendre la mécanique quantique dans toute la subtilité de sa logique... particulière, ont eu recours à l'intelligence artificielle (IA) (2). L'algorithme Melvin, développé par les chercheurs, s'affranchit allègrement de notre intuition. Il n'a que faire de nos présupposés, notre umwelt humain, notre weltanschauung si limité... Il peut concevoir des expériences dans le domaine quantique, il peut simplifier des process, bref, Melvin et l'IA s'assoient sur notre intuition.
Et ils sont confortables.
>> Notes :
(1) Ce que démontre le fameux "gorilla effect" de Chabris et Simons (1999). Le conducteur qui s'engage dans un rond-point vérifie l'absence d'une voiture. Si un vélo se présente, il n'est pas vu et sera écrasé. Le cerveau ne voit que ce qu'il s'attend à voir.
(2) Voici le résumé de l'article original (que je n'ai pas la compétence de détailler) : Automated Search for new Quantum Experiments, Mario Krenn, Mehul Malik, Robert Fickler, Radek Lapkiewicz, and Anton Zeilinger - Phys. Rev. Lett. 116, 090405 (2016) - Published 4 March 2016
"Quantum mechanics predicts a number of, at first sight, counterintuitive phenomena. It therefore remains a question whether our intuition is the best way to find new experiments. Here, we report the development of the computer algorithm Melvin which is able to find new experimental implementations for the creation and manipulation of complex quantum states. Indeed, the discovered experiments extensively use unfamiliar and asymmetric techniques which are challenging to understand intuitively. The results range from the first implementation of a high-dimensional Greenberger-Horne-Zeilinger state, to a vast variety of experiments for asymmetrically entangled quantum states—a feature that can only exist when both the number of involved parties and dimensions is larger than 2. Additionally, new types of high-dimensional transformations are found that perform cyclic operations. Melvin autonomously learns from solutions for simpler systems, which significantly speeds up the discovery rate of more complex experiments. The ability to automate the design of a quantum experiment can be applied to many quantum systems and allows the physical realization of quantum states previously thought of only on paper"