L’homme descend-il du castor? Les barrages, une source de controverse.
Publié par Diane Mottet, le 25 novembre 2019 2.3k
L’Homme aménage son environnement, il l’organise, le segmente, à la manière d’un architecte. Les territoires s’organisent entre zones agricoles, zones urbaines, zones industrielles… Tout cela pour permettre une meilleure gestion et exploitation des ressources.
Les barrages s’insèrent dans ce grand projet d’architecture de l’Homme. Ces grands ouvrages sont des prouesses techniques qui permettent de mieux gérer les cours d’eau et la ressource qu’elle représente et/ou de convertir l’énergie hydraulique en électricité. Mais ces structures sont aussi source de débats et de questionnements.
Silvia Flaminio est venue présenter ses travaux de recherche lors du séminaire science société et communication le lundi 18 novembre. À travers la géographie et l'environnement, elle s'intéresse à la controverse autour de ces derniers. Elle a ainsi pu analyser différents conflits, notamment ceux du barrage de Loyettes et de Gordon-below-Franklin, lors de ses recherches en thèse où elle contextualise l'évolution historique et spatiale de chaque controverse.
La political ecology pour étudier des controverses complexes
Pour Silvia Flaminio, si on veut étudier la conflictualité autour des barrages dans son ensemble, il faut aller au-delà de la géographie, sa discipline de prédilection. Il est vrai que les barrages ont des impacts à la fois économiques, environnementaux, scientifiques, technologiques et sociaux.
Tous ces secteurs rassemblent des acteurs : entreprises, résidents, élus ou scientifiques ; qui vivent différemment la construction des barrages à travers leurs propres intérêts. Il est clair aujourd’hui que les barrages ont des incidences non négligeables puisqu’ils impactent la production énergétique, provoquent des dégradations environnementales importantes et des déplacements de villages voire même, on le verra plus bas, de sites archéologiques.
La political ecology est une approche large d’analyse qui permet de comprendre la complexité de ces controverses. Elle permet à la fois une analyse politique, environnementale et sociale, ce qui répond bien aux problématiques autour des barrages.
La genèse de la polémique
Les premiers grands projets de barrages voient le jour dans les années 1940. Ils résultent de la mise en place de grandes politiques de développement et d’aménagement du territoire, et marquent le début de la polémique.
Progressivement, les conséquences de tels édifices se font ressentir. Ils transforment localement les structures sociales, peuvent créer des risques sociaux, et sont vus comme les outils des hydrocraties, des alliances d’acteurs économiques puissants dans le secteur de l’hydrologie.
Tout au long de la controverse, on observe une évolution des discours et la mise en avant successive des différents acteurs (dans ces derniers). Globalement, la place des arguments scientifiques dans les débats n’est pas en reste et on peut se demander quel a été leur rôle dans la polémique.
Comment les arguments scientifiques ont-ils pesé dans la controverse ?
À partir des années 1940 et pour la trentaine d’années qui va suivre, les barrages sont décrits par les médias comme des infrastructures consensuelles qui servent l’intérêt général de l’État. Ils répondent à de réels besoins énergétiques, ce sont donc des projets rationnels qui servent le profit de l’industrie. Mais progressivement, au fil des événements qui se produisent, notamment à Tignes, Malpasset ou Vajont, des conflits se dessinent. C’est suite à la construction du barrage d’Assouan en Egypte que les questionnements scientifiques se trouvent médiatisés.
En 1954, Le Monde décrit la enjeux autour de ce barrages. Au niveau géopolitique, le barrage risque de provoquer l’ennoiement des terres soudanaises. Au niveau culturel, il menace le site archéologique de l’Abu Simbel, qui sera déplacé pierre par pierre avant la construction suite à une forte mobilisation de la communauté archéologique.
Cette mobilisation constitue une première mise sur le devant de la scène des arguments scientifiques, mais ce sont les conséquences environnementales qui vont provoquer une réelle nécessité de retranscrire le discours scientifique dans les médias. En effet, suite à la construction du barrage d’Assouan, la salinité des terres en aval augmente, les sardines disparaissent et le dépôt de limon n’a plus lieu à certains endroits. Le barrage est alors vu comme une dure leçon d’écologie.
À partir des années 70, les débats scientifiques entrent dans la sphère publique et des scientifiques vont s’engager à l’encontre de certains projets de barrage. Lorsque le projet du barrage Gordon-below-Franklin voit les jour dans les années 70 en Tasmanie, les scientifiques le perçoivent très vite comme une menace pour l’environnement et le patrimoine local. En effet, l’histoire et la biodiversité de la région sont encore peu connues du fait de son passé colonial compliqué.
Des expéditions archéologiques sont alors lancées avec comme objectif de trouver des restes aborigènes dans les zones qui seront ennoyées par le barrages. Ces dernières débouchent sur un succès, les os retrouvés sont datés de 20 000 ans et la découverte est publiée dans Nature en 1983. Le projet de barrage est revisité suite à cela.
Plus récemment, dans les années 80, c’est autour du projet de barrage de Loyettes sur le Rhône qu’une controverse a éclaté. Le barrage pourrait impacter une zone suscitant un fort intérêt scientifique de par sa géomorphologie. Un débat oppose alors des scientifiques affiliés à la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature) avec des scientifiques travaillant pour la CNR (Compagnie Nationale du Rhône). Le projet est finalement annulé et le site classé en réserve naturelle.
Le calme après la tempête ?
La prise d’importance de la question scientifique au sein de la conflictualité autour des barrages semble donc avoir augmenté au fil des années, allant jusqu’à provoquer le retrait de certains projets. Un essoufflement des grands projets de barrages s’est fait ressentir dans les années 90 suite à une prise de conscience des impacts de ces derniers par les différents acteurs. Le débat public s’est donc calmé pendant un temps, les événements sujets à discorde s’étant calmés.
Mais récemment, les besoins énergétiques toujours plus grands générés par notre société provoquent le retour des grandes infrastructures. 3000 barrages sont prévus pour répondre à l’augmentation de la consommation en énergie prévue. Ces édifices continuent de poser problème et de nouveaux arguments scientifiques sont mis sur la table : face au dérèglement climatique, les cours d’eau seront plus résilients avec moins d’infrastructures, selon les chercheurs.
Plutôt qu’un retour au calme, on voit se développer un conflit plus complexe dans lequel s’insère la question de la durabilité (Quel type d’énergie voulons-nous ? Devons-nous réduire notre consommation ?) et de la place de l’Homme face à son environnement. A-t-on le droit de le façonner à notre guise, dans notre seul intérêt ?
Article rédigé par Diane Mottet (@DianeMottet) et Aphelie Savarino (@ClaraAphelia)
Master 2 Communication et Culture Scientifique et Technique (CCST), Université Grenoble Alpes.