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L'existentialisme est un neuro-humanisme. Sartre, le "vrai" Mel Gibson et l'équipe de rivaux

Publié par Laurent Vercueil, le 27 février 2016   3.9k

Sartre, neurophilosophe ? Dans un petit livre stimulant (1), le neuroscientifique David Eagleman s'interroge sur la nature du "vrai" Mel Gibson. En juillet 2006, l'acteur américain avait été interpelé par un policier pour excès de vitesse. Pris de boisson, il s'était alors répandu en insultes antisémites, qui furent relayées dans les médias avec un retentissement public important, dans le contexte remarquable de la production et la réalisation, deux ans auparavant, par Mel Gibson lui-même, du film "La passion du Christ", où il tenait le rôle principal. Mel Gibson était-il antisémite ? Quelques semaines après l'épisode, dégrisé, Mel Gibson se confondait en excuse, et se défendait vigoureusement de tout antisémitisme, regrettant un "problème avec l'alcool" (extrait de l'interview filmé) :

Eagleman s'interroge : Qui est le "vrai" Mel Gibson ? Celui qui s'est laissé aller sous le coup de la colère et de l'imprégnation alcoolique ? autrement dit, un infect antisémite, révélé par un taux anormal d'alcool sanguin ? Ou celui qui, contrit et repentant, présente des remords sincères devant la journaliste ? Aussi, existe-t-il un "vrai" Mel Gibson ? Ne sommes-nous tous sujets à des tiraillements, des idées contradictoires, des pensées qui s'opposent ? La théorie des "équipes de rivaux" (dont Eagleman est un ardent défenseur) - les rivaux étant des systèmes neuronaux pouvant traiter, de façon concurrente, les mêmes situations - propose une solution à cette question. Chacune des décisions, des actions, relèvent de l'affrontement d'options en compétition, départagées sur des critères qui sont fluctuants, dépendant de l'humeur, des contingences du moment (2). Cette redondance des possibles est un gage d'efficacité, permet de réduire les problèmes à la solution la plus économique, souvent en se dispensant d'une prise de conscience effective. La plupart du temps, les délibérations des rivaux s'effectuent sans que nous en ayant conscience, et la solution choisie est celle qui assure le maximum de chance de réussite.

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Eagleman se passionne pour la question de la responsabilité, notamment pénale (un long chapitre est consacré à ce sujet, avec une approche typiquement américaine). Devant un dilemne, le choix qui est décidé ne reflète qu'un état momentané de la délibération des rivaux. Cela n'excuse aucun des choix qui serait fait, mais tient singulièrement à distance la conception "essentialiste" d'un individu "vrai", qui surplomberait les actes et les décisions de celui-ci. Il n'y a pas de "vrai" Mel Gibson. Il y a Mel Gibson qui commet une infarction et profère des insultes antisémites, et qui est condamnable. Puis il y a Mel Gibson qui se confond en excuse et se proclame ami des juifs. Les deux sont authentiques. Sartre l'avait dit : l'existence précède l'essence. L'homme est ce qu'il fait, sa vérité est dans ses actes. L'essence de chacun est fumeuse, seuls les rivaux qui se disputent en nous font de ce que nous sommes, ce que nous sommes réellement.

>> Notes :

  1. Eagleman D. Incognito. Les vies secrètes du cerveau. Poche Marabout. 415p. 2015 9782501090537
  2. On se souvient à quel point une attitude peut-être influencée par une expérience apparemment anodine vécue immédiatement auparavant (cf le Petit Traité de Manipulation de Jouve et Beauvois)