L’essor de l’hydrogène : Auvergne Rhône-Alpes, région leader en France

Publié par Encyclopédie Énergie, le 15 mars 2021   3.7k

Au cœur des discussions énergétiques actuelles, l’hydrogène a le vent en poupe chez les décideurs, comme en témoigne la part du plan de relance 2020 consacré à ce vecteur énergétique. Quelles en sont les raisons et quelles peuvent être les perspectives d’avenir de cette molécule ?


1. L’hydrogène, utilisations actuelles et typologies de production

L’hydrogène, ou plus précisément la molécule dihydrogène H2, est un gaz utilisé depuis de nombreuses années, notamment dans les industries chimiques pour la production d’ammoniac et pétrolière pour le raffinage et la désulfuration du pétrole. Il est aussi employé dans l’industrie alimentaire, l’électronique, la métallurgie et l’industrie spatiale où il entre dans la composition du carburant des fusées. Plus de 75 millions de tonnes sont consommées annuellement dans le monde en 2020, et environ 920 000 tonnes en France. A la différence du gaz naturel CH4, la molécule H2 ne se trouve pas en l’état dans la nature : il est nécessaire de la produire. En 2020, plus de 95% de sa production est réalisée par le vaporeformage de gaz naturel fossile ou la gazéification de charbon. Elle est donc émettrice de CO2 et n’est pas compatible durablement avec les besoins de transition énergétique et de décarbonation des systèmes énergétiques car chaque tonne d’hydrogène produite est couplée avec le rejet de 10 à 11 tonnes de CO2 [1]. Actuellement, la production mondiale d’hydrogène est ainsi responsable de l’émission d’environ un milliard de tonnes de CO2, soit 3% du total des émissions mondiales [2].

Il existe cependant d’autres voies de production d’hydrogène, rejetant moins ou pas de CO2. Auparavant décrites par des couleurs de production, la dernière ordonnance n°2021-167 du 17 février 2021 définit les moyens de production d’hydrogène en 3 catégories [3]. La première correspond à la production d’hydrogène carboné, soit par vaporeformage de gaz naturel, gazéification de charbon ou électrolyse de l’eau [4] par un mix électrique carboné, et qui correspondait à l’hydrogène « gris », « marron » ou « noir ». La deuxième catégorie est l’hydrogène bas-carbone, soit la production à partir de sources d’énergies non renouvelables mais rejetant peu de CO2, comme l’électrolyse alimentée par de l’électricité du mix électrique français majoritairement nucléaire (« hydrogène jaune »), ainsi que les procédés associant des techniques de capture et séquestration du carbone (CCS) pouvant réduire considérablement les émissions de CO2 en sortie d’usine (« l’hydrogène bleu »). Enfin, l’hydrogène renouvelable, produit par électrolyse d’électricité renouvelable (solaire, éolien, hydraulique, biomasse) et par gazéification ou thermolyse de biomasse, appelé également « hydrogène vert ».

 

2. Les coûts de production de ce vecteur énergétique

Même en s’accordant sur le rôle pertinent à jouer dans la décarbonation des usages énergétiques de l’hydrogène bas-carbone et renouvelable dans le transport, le bâtiment ou l’industrie, la compétitivité de sa production propre demeure un enjeu essentiel pour cette filière. La filière d’électrolyse reste en 2020 trop peu compétitive avec un coût moyen de production de 5 à 6€/kg contre 1,5€/kg pour le vaporeformage du méthane, ce qui explique en grande partie le fait que l’hydrogène est produit majoritairement à partir de ressources fossiles, principalement gaz naturel mais également charbon, en rejetant des quantités importantes de CO2. Aujourd’hui, quatre fois plus chère que l’hydrogène gris, les acteurs de l’hydrogène décarboné ambitionnent de réduire le coût de production par électrolyse à un niveau équivalent d’ici 2030 [5].

Il existe plusieurs leviers pour atteindre cet objectif de remplacement d’hydrogène carboné, comme la massification de la fabrication des systèmes de production en volume, à travers la création de nouvelles usines de type « gigafactory » afin de produire en masse des électrolyseurs et des piles à combustible. Également l’amélioration des effets d’échelle avec des installations de production de plus en plus grosses. L’innovation et l’émergence de nouvelles technologies hydrogène (par exemple de nouvelles technologies d’électrolyseurs) permettraient également des passer des paliers technico-économiques avec l’amélioration des rendements ou de la quantité d’énergie et de matériaux consommée dans les process. Toutefois, attention à un potentiel effet rebond où cette massification viendrait juste compléter et non pas remplacer de l’hydrogène produit par des sources carbonées.

Le développement, l’industrialisation et la réduction des coûts des technologies de consommation d’hydrogène comme les véhicules et les stations de recharge ou encore les stockages haute pression sont également un enjeu et des axes forts de R&D pour amener l’hydrogène à un niveau plus élevé dans les mix de consommation.

 

3. Un vecteur énergétique au cœur des ambitions européennes et françaises

Les politiques visant à développer l’hydrogène ont été de plus en plus ambitieuses durant la décennie 2010, malgré un niveau restant très minoritaire par rapport aux autres sources et vecteurs énergétiques comme l’a été l’accompagnement de la production d’électricité décarbonée. Mais cette tendance s’accélère depuis le début de la nouvelle décennie.

La Commission européenne a ainsi lancé en mars 2020 la European Clean Hydrogen Alliance appelée à rassembler, dans le cadre d’un partenariat public-privé, des investisseurs et des partenaires gouvernementaux, institutionnels et industriels [6]. Cette initiative témoigne d’une volonté politique d’accélérer le déploiement de la filière de production d’hydrogène décarboné. A l’instar d’autres pays, l’Allemagne a des objectifs ambitieux et consacre de grands plans au développement de l’hydrogène décarboné et souhaite se servir de son large parc renouvelable intermittent pour valoriser cette électricité verte dans des électrolyseurs. En témoigne le plan de 7 milliards d’euros (7 G€) annoncé à l’été 2020 par le gouvernement de Angela Merkel pour la prochaine décennie avec un objectif d’un parc de production d’hydrogène décarboné par électrolyse de 5GW en 2030 [7] (figure 1)


Fig. 1. European Clean Hydrogen Alliance. [Source : European Commission –Europa EU]



Côté français, après des petits projets émergeant au début de la décennie 2010, le coup d’accélérateur a été donné avec le plan Hulot de 2018, avec 100 millions d’euros (M€) dédiés à la création d’une filière d’excellence française de l’hydrogène. Cette tendance est définitivement engagée avec le plan France Relance de 2020 dans lequel 7,2G€ vont être nouvellement consacrés entre 2020 et 2030. Ce plan a pour but de développer l’hydrogène dans d’autres usages tels que le transport routier longue distance, maritime, ferroviaire et aérien, ainsi que pour verdir la production d’hydrogène en France par structuration d’une filière industrielle française. Au sein de cette stratégie française, le gouvernement s’est fixé un objectif de 6,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030 avec une volonté politique de créer une « gigafactory » française de production d’hydrogène [8].

Les projets hydrogène, encore en R&D et en démonstrateurs début 2020, visent à la production à échelle industrielle d’hydrogène décarboné, au déploiement de stations de distribution d’hydrogène bi-pressions, à la valorisation de l’hydrogène dans les réseaux de gaz, à la fiabilisation et à la réduction des coûts des piles à combustible pour la mobilité ou encore à l’intégration des technologies hydrogène dans des solutions d’autoconsommation pour bâtiments et écoquartiers.


4. Un exemple de projet régional ambitieux dans la région Auvergne Rhône Alpes (AURA) : le Zero Emission Valley (ZEV)

La filière hydrogène regroupe en Auvergne Rhône Alpes près de 80 % des acteurs français de la filière [9]. Citons parmi eux des PME récentes au fort développement comme Symbio (devenu aujourd'hui une coentreprise Faurecia et Michelin), McPhy, Atawey, Sylfen ou HRS, de grandes entreprises comme Air Liquide ou encore Engie, un laboratoire de renom avec le CEA Liten. D’autres acteurs arrivent sur ce marché de l’hydrogène, décarboné, comme des industriels tels que Vinci ou Vicat [10], lesquels ambitionnent de décarboner l’alimentation en hydrogène de leurs process. Sur ce territoire, 67 projets hydrogène ont été financés depuis 2005 avec 219 M€ de budget total sur la filière (figure 2).  



Fig. 2. Auvergne-Rhône-Alpes (AURA). [Source : Wikipédia]


Tous ces acteurs de l’hydrogène de premier plan se sont regroupés autour du projet Zéro Emission Valley (ZEV) avec l'objectif de devenir une région « leader de la mobilité hydrogène en Europe », en accélérant le déploiement des véhicules à pile à combustible et des stations de recharge à hydrogène (figure 3). Faisant suite au projet Hyway [11] avec environ 50 véhicules hydrogène rechargeables sur deux stations à Lyon et Grenoble depuis 2018, l’ambition de ZEV de développer la mobilité hydrogène est couplée à celle de décarboner et verdir la production de l’hydrogène qui sera injectée dans les véhicules. L’objectif à court terme de ZEV est de déployer 1200 véhicules hydrogène en région Auvergne Rhône Alpes, couplés à 20 stations de recharge qui seront alimentées, d’ici 2023, par 15 électrolyseurs dans les grandes agglomérations de la région telles que Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Chambéry, Annecy, Bourg-en-Bresse, Moutiers, Riom ou Valence-Montélimar. 

Fig. 3. Projet ZEV. [Source : McPhy]




Au total, le projet mobilisera 52 M€ sur dix ans, dont 15 financés par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, 14,4M€ par l’ADEME et 10,1M€ par des fonds du programme européen CEF Transport, avec le concours de 55 entreprises, 26 laboratoires de recherche et 8 collectivités partenaires. Ce projet a déjà permis la création de la société Hympulsion, joint-venture aux multiples actionnaires public-privé membres du projet [12] : elle est chargée d'assurer la production et la distribution d'hydrogène dans le cadre du projet ZEV. Un autre objectif est, à terme, de mettre sur le marché, des véhicules hydrogène au même prix que le véhicule équivalent diesel.

Ce projet vitrine qui s'affiche comme « unique en Europe », démontre bien, d'après ses membres, la présence d'un terreau particulier et ambitieux au sein de ce territoire pour la transition énergétique et le développement d’innovations, pressentant un avenir positif pour cette filière hydrogène française et régionale.




Gabin Mantulet, ingénieur - docteur dans la transition énergétique et les gaz renouvelables

 

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Pour en savoir plus, lire dans encyclopedie-energie.org, les articles suivants :

  • Thierry Alleau. L’hydrogène
  • Hugo Le Boulzec. La production d’hydrogène vert
  • Karel Hubert. Stockage d’énergies renouvelables sous forme d’hydrogène pour sites isolés
  • Thomas Degrandcourt. Accumulateurs : le futur du stockage d’énergie ?
  • Aurélien Armanet. Des véhicules hybrides à l’hydrogène

 

 



[1] Source : https://www.revolution-energetique.com/hydrogene-vous-le-voulez-vert-bleu-gris-jaune-ou-nature/

[2]Le total de CO2 émis annuellement dans le monde est de 34GtCO2 - Source : Global Carbon Budget, disponible en ligne : https://www.globalcarbonproject.org/carbonbudget/

[3] Source : France Hydrogène : https://www.afhypac.org/presse/que-faut-il-retenir-de-l-ordonnance-sur-l-hydrogene-2953/

[4] Electrolyse de l’eau : un courant électrique permet de séparer la molécule d’eau en dioxygène et dihydrogène.

[5] Source : Air Liquide, Hydrogène propre, https://energies.airliquide.com/fr/energies-energies-propres/hydrogene-propre

[6] Source : EuropeanCommision, European Clean Hydrogen Alliance, https://ec.europa.eu/growth/industry/policy/european-clean-hydrogen-alliance_en

[7] Source : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/lhydrogene-le-pari-a-9-milliards-de-lallemagne-1210019

[8] Source : https://www.revolution-energetique.com/bruno-le-maire-veut-une-gigafactory-francaise-de-production-dhydrogene/

[9]Sources : Pôle de compétitivité Tenerrdis,https://www.tenerrdis.fr/fr/filieres-dexpertise/hydrogene-energie/ - région Rhône Alpes https://www.auvergnerhonealpes.fr/278-pour-une-filiere-hydrogene-d-excellence.htm

[10]Par exemple, Vicat est engagé dans le projet Hynovi avec Hynamics, filiale d'EDF pour mettre en place à Montalieu un électrolyseur de 330 MW de McPhy. Le but est de convertir le CO2 en méthanol dans leur process industriel.

[11] Source : Pôle de compétitivité Tenerrdis, projet Hyway, https://www.tenerrdis.fr/fr/projets/hyway/

[12] Les actionnaires de Hympulsion sont la Région Auvergne-Rhône-Alpes (33 %), la Banque des Territoires (16 %), le Groupe Michelin (22,8%), Engie (22,8%) et le Crédit Agricole (4,4%), http://hympulsion.com/le-projet/