L’app Elyze – Présidentielle 2022 ! Les affres du génie et du succès !
Publié par Yannick Chatelain, le 25 février 2022 1k
Les polémiques autour de l’application Elyze risquent d’écœurer notre jeunesse de toute innovation et tout esprit d’entreprendre.
Trouve ton candidat ! Est une sorte de Tinder appliqué aux candidats à la présidentielle et à leurs propositions. L’application est utilisable exclusivement sur iPhone, et permet à l’utilisateur de swipper les propositions des uns et des autres pour affiner son choix : un swippe à droite si vous êtes pour, à gauche si vous êtes contre…
Simple ! La punch line est parlante. Elyze est « l’application qui va te faire aimer la Présidentielle ! » Cette application rapidement qualifiée de « Tinder de la présidentielle » a enregistré plus d’un million de téléchargements et caracole en tête des téléchargements se plaçant longuement numéro un sur l’app store – actualité… Plus qu’un succès, un triomphe !
Selon les créateurs, sa raison d’être est d’une part de rendre accessibles et compréhensibles les programmes au plus grand nombre et atteindre notamment une cible jeune afin de l’intéresser à la chose publique… Et fort de nouvelles connaissances, l’inciter à aller voter. Sur le site des applications Apple, sa promotion est faite en utilisant une capture d’écran… qui… est ce qu’elle est, il ne s’agit pas de faire de faux procès… Mon conseil aux créateurs : changer le visuel « découvre ton candidat » pour une photo des candidats qui jouent le jeu.
Si l’initiative est pour le moins intéressante, pour qui ne voit pas le mal partout, elle a rapidement fait l’objet de nombreuses critiques et réactions… jusqu’à celles de candidats eux-mêmes, comme Jean-Luc Mélenchon dénonçant un favoritisme flagrant… Parmi les critiques les plus courantes : les bugs, les propositions qui ne seraient pas à jour, ce qui est un fait : comme le signalait Le Point le président de la République ne s’étant pas encore déclaré comme candidat à sa succession ses propositions datent de sa campagne 2017.
Le journal Libération pointait de son côté un manque d’équité dans le nombre de propositions… Il n’aura pas fallu longtemps pour trouver des failles et des bugs, courants pour toute nouvelle application : le 15 janvier l’ingénieur Mathis Hammel avait modifié l’une des propositions d’Emmanuel Macron, en faisant figurer « Virer Jean Castex et nommer Mathis Hammel à sa place »… Potache et drôle ! Informer les créateurs d’une faille eut été, de mon point de vue plus élégant dans un esprit de hacker éthique, mais bon… rire c’est bien aussi.
Nonobstant ces critiques des uns et des autres… lorsque vous téléchargiez l’application, originellement vous pouviez communiquer des informations personnelles, âge, genre et code postal… des données associées à vos réponses – des données politiques, donc sensibles – l’application se réservant alors le droit de revendre ses informations à des tiers.
Pris à parti, l’un des co-fondateurs Grégoire Cazcarra, avait alors expliqué qu’aucune donnée n’était partagée avec Google et Facebook, qu’elles étaient anonymisées et que l’application n’identifiait individuellement aucun utilisateur, ajoutant que ces données l’avaient été originellement pour une finalité essentiellement scientifique.
Par-delà les balbutiements de l’application, et les manquements soulignés, de ce qui aurait dû être considéré comme une version bêta… c’est plus ce traitement de data qui posait questionnements et pouvait inquiéter à juste titre, jusqu’à ce que la CNIL se penche alors sur l’affaire… !
Le 19 janvier c’était au tour d’un autre jeune co-fondateur, François Mari, de rassurer les utilisateurs, les détracteurs ainsi que les autorités en déclarant à l’AFP que « toutes les données qui ont été collectées sont automatiquement effacées quand l’utilisateur relance l’appli »… La CNIL va toutefois vérifier le respect du RGPD, des obligations d’autant plus impérieuses lorsqu’il s’agit de données sensibles comme le sont celles qui ont trait à la santé ou aux opinions politiques.
Une fois la CNIL passée, une fois les vulnérabilités Zéro Day comblées, une fois l’application plus mature (cf. quelques recommandations), le risque de communiquer des données sensibles sera minime… Soyons réalistes, ne vous illusionnez pas, au travers des réseaux sociaux et selon l’usage que vous en avez, il est probable pour ne pas dire certain que vos opinions politiques ne sont plus un secret pour personne !
La rançon du succès d’Elyze ? #NeTirezPasSurLeGenie !
L’agitation autour de l’application m’apparait cependant bien démesurée à en écœurer notre jeunesse de toute innovation et tout esprit d’entreprendre. Le génie est dans l’évidence… lorsque celle-ci est mise en œuvre, la nature humaine s’exclame alors : « mais que n’y ai-je pensé avant ? » et critique.
La rançon d’un tel succès a dû pour le moins désemparer les jeunes créateurs devant les charges virulentes auxquels ils ont dû faire face. Qui ne tente rien ne risque rien ! Chacun pourrait au moins s’accorder pour trouver l’initiative extrêmement intéressante et en capacité effective de motiver une jeunesse peu intéressée par la politique et ses enjeux.
Reste aux jeunes créateurs à intégrer les critiques fondées et à affiner lentement mais sûrement leur application, qui pourra à terme servir de nombreuses élections. Bref, beaucoup de remous pour une initiative et une idée plus sympathique et brillante que machiavélique et ce d’autant plus quand les critiques des hommes politiques ne se fondent pas sur la data éventuellement collectée qui est la seule véritable problématique.
Il est peut-être utile de rappeler aux candidats qu’il est peu de politiques qui critiquent des sondages qui leur sont favorables quand les mêmes les conspuent lorsqu’ils ne sont pas à leur avantage, et que le sondage introduit – de mon point de vue – un biais lors d’élections dans la mesure où – quelle que soit leur qualité – ils influencent forcément les comportements, pouvant aller jusqu’à se dire « à quoi bon aller voter » si son candidat est donné perdu d’avance… Mais c’est un autre débat.
Quelques recommandations
Pour ce qui est de la collecte et/ou revente de données anonymisée – ajournée par cette jeune startup – cette dernière, si elle lit cet article, va devoir naturellement s’assurer de pouvoir procéder à une collecte de données conforme et respectueuse du RGPD, leur business model ne pouvant à mon sens s’en passer. Elle devra également afficher un cadrage strict des propositions des candidats en termes de thématique, et équitable quantitativement. Par exemple un thème et une proposition forte… quitte à démarcher les candidats prêts à jouer le jeu et à en exclure les autres.
Pour le reste, plutôt que des procès d’intention, au cas où certains l’ignoreraient encore ou feindraient de l’ignorer, les datas sont d’ores et déjà utilisées par des candidats et font partie intégrante de leur stratégie de conquête.
Des start-up à l’instar de LMP proposent aux partis politiques d’utiliser le Big Data pour gagner de nouveaux électeurs. Cette approche permet un démarchage ciblé aux candidats qui peuvent se l’offrir. Elle ne questionne pas… et respecte donc de fait le RGPD en donnant un avantage certain à ceux qui peuvent s’offrir ses services.
Notons qu’Emmanuel Macron s’était offert ses services pour la présidentielle 2017 : « Cette start-up optimise le démarchage électoral grâce au big data. En croisant les données de l’Insee (catégorie socioprofessionnelle des habitants, âge…) et les résultats des derniers scrutins, son logiciel, 50 + 1, repère, à l’échelle des bureaux de vote, les secteurs où un candidat a le plus de chances de gagner des voix. »
Bref et en conclusion : ne tirez pas sur le génie, aidez-le !
Article original publié le 21 février 2022 sur Contrepoints
Photo credit : Ivan Radic on Visual Hunt
Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)