Jean Lilensten : chasseur d’aurores, sculpteur de lumière
Publié par Marion Sabourdy, le 22 mai 2014 7.1k
Il chasse les aurores et en recrée en miniature pour ceux qui ne peuvent pas les contempler en vrai. Rencontre avec Jean Lilensten à l’occasion de la sortie de son dernier livre.
« Chasseur d’aurores » : c’est le titre du dernier livre de Jean Lilensten, directeur de recherches au CNRS et planétologue à l’IPAG, spécialisé dans l’étude de l’activité solaire sur l’atmosphère des planètes (1). Au fil des pages, il nous emmène à la découverte des aurores polaires, ces silencieux ballets nés de l’interaction entre l’activité solaire et le champ magnétique terrestre.
On le suit en Alaska, surpris par sa première vraie aurore après son doctorat, puis au Svalbard, en pleine « période bleue » ou encore en Finlande en train de mesurer la concentration et la température de la haute atmosphère avec un radar surnommé « le chat des neiges ». Dans ces paysages à la lisière du fantastique, Jean et ses collègues partent en manip’ « comme à la pêche », avec leur propre équipement et quelques armes pour se protéger des ours. On découvre alors la patience de ces chercheurs et ingénieurs, dont les périodes de mesure dans le froid et l’obscurité sont entrecoupées de pannes et de tempêtes de neige. Patience à nouveau mise à l’épreuve au laboratoire, lorsqu’il faut étudier des centaines d’heures d’enregistrement !
La météo de l’espace
Au gré des chapitres, Jean distille les informations plus ou moins techniques sur les aurores : saviez-vous qu’on peut en voir en moyenne deux par an en France, surtout les nuits d’hiver, en altitude et par temps froid et sec, et que leur lumière si particulière est due à l’oxygène atomique de l’atmosphère heurté par le vent solaire ? C’est qu’il s’en passe là-haut : vent solaire, orage magnétique… Et cette météo tourmentée est le deuxième grand sujet du livre du chercheur, à l’origine du premier groupe européen dédié à la « météorologie de l’espace ». Cette discipline récente concerne des sujets controversés comme la part du soleil dans le changement climatique et les impacts du vent solaire sur notre monde technologique.
Une aurore polaire photographiée au Groënland
En plus d’être un chercheur reconnu, Jean Lilensten a un certain sens de l’engagement. Il évoque notamment le mouvement « Sauvons la recherche », la défense des personnels précaires et la publication chez Gallimard du livre de politique scientifique qu’il a rédigé avec ses collègues sous le pseudonyme d’Hélène Cherrucresco. Pour lui, les chercheurs doivent assumer leur rôle de lanceurs d’alerte, localement pour informer des risques d’éboulement dans les Alpes ou des crues de l’Isère par exemple et globalement en s’engageant dans des organismes comme le GIEC.
Un chercheur féru de spectacles vivants
De manière toute aussi engagée, Jean s’adonne avec un plaisir non feint à la vulgarisation scientifique et a reçu plusieurs prix, dont le Prix européen Europlanet (2010) et le Prix Goût des sciences du Ministère de la recherche (2012) pour son simulateur auroral. Celui-ci est nommé « la Planeterrella » en hommage à la « Terrella » du chercheur norvégien Kristian Birkeland, que Jean a reconstruite et améliorée sur son temps libre.
Jean Lilensten (à gauche) lors de la cérémonie de remise du Prix "Le goût des sciences" en octobre 2012
D’abord présentée au Planétarium de Vaulx-en-Velin en 2008, la Planeterrella a ensuite fait le bonheur d’enfants grenoblois dans les MJC et les classes avant de connaître une « carrière internationale », dans des universités et musées à l’étranger. La NASA elle-même en a une ! En 2013, environ 65 000 personnes avaient déjà pu découvrir ces reconstitutions d’aurores polaires grâce aux différentes Planeterrella autour du monde !
Voir ci-dessous le reportage de FranceTV : "A Grenoble, des chercheurs recréent des aurores boréales en laboratoire"
Jean fraye aussi du côté des arts vivants, depuis sa rencontre avec la conteuse Jennifer Anderson, lors de l’Année mondiale de l’astronomie en 2009. « A l’époque, j’en avais marre de faire acte d’autorité lors des conférences et interventions auprès de jeunes et du grand public. J’en avais assez d’être considéré comme le détenteur d’un savoir que je donnerais à ceux qui savent rien… ». Jennifer lui proposera de monter un spectacle ; « Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes » où la conteuse et les scientifiques font jeu égal sans faire la « leçon » au public. Celui-ci sera à nouveau joué le 9 mai à Plan-les-Ouates (Suisse) par Jennifer et Jean, en compagnie des astronomes Xavier Delfosse et Gilles Henri et du musicien Rémi Resse. Jean et Jennifer proposeront également un autre spectacle, « Face à la lumière », lors du Festival des Arts du récit, le 23 mai prochain, où Jean fera une démonstration de la Planeterrella.
Toujours du côté des arts, citons le spectacle sur le soleil conçu pour le Planétarium de Vaulx-en-Velin il y a une dizaine d’années avec le romancier grenoblois Claude-Henri Buffard ou encore le spectacle « Pétillements d’Aurores » né d’une rencontre avec le compositeur Olivier Strauch (2). « Ce spectacle est une expérience de mise en son des aurores polaires. Il se base sur les enregistrements de sept magnétomètres placés en Laponie. Les aurores étant une précipitation d’électrons, on assiste à des modifications très faibles du champ magnétiques local, captées par les magnétomètres. Avant le concert, on rapatrie les 24 dernières heures d’enregistrement de cinq des instruments et on les attribue, sous forme de partitions à des choristes. En clair, c’est l’aurore qui « pilote » les chanteurs, avec par moments des séquences où Olivier reprend la main, tout en gardant l’inspiration aurorale ». Les chanteurs et le public étaient en quelques sortes « connectés avec le soleil, dont les électrons sont parvenus jusqu’à la Terre. Les gens étaient debout à la fin du troisième concert. J’aimerais bien le refaire » sourit-il.
Jean Lilensten et Jennifer Anderson sur scène pour "Face à la Lumière"
Les Moulins de Villancourt : un opéra de l’univers
Avec toutes ces initiatives et un environnement grenoblois favorable aux expériences entre arts et sciences, un projet plus large semblait trotter dans la tête de Jean et de ses collègues de l’OSUG, comme Xavier Delfosse. Ils ont trouvé une oreille attentive en Christophe Ferrari, alors maire de Pont-de-Claix et chercheur au LGGE (aujourd’hui toujours maire et également président de la Métro), très sensible à ces sujets. Pendant deux ans, en compagnie d’autres chercheurs de l’OSUG et d’enseignants de l’Université Joseph Fourier (3), ils ont peaufiné un projet artistique et scientifique, avec la volonté de ne pas « superposer des couches d’arts et de sciences comme les peaux d’un oignon ».
Jean lors de l'Année internationale de l'Astronomie, en 2009
L’idée est de construire une programmation autour de thèmes généraux structurants, qui parlent autant aux artistes qu’aux scientifiques. Et Jean de citer le hasard, la nécessité, l’évolution, le déséquilibre, les interactions, l’unicité, etc. « Avec ces thèmes, nous pouvons proposer un fond scientifique fort et les artistes fabriquer de l’émotion ». Avec toujours en ligne de mire, l’intérêt du public : « il s’agit de rendre accessibles les sciences de l’univers et de favoriser les interactions horizontales entre les gens intéressés par ces sciences et ceux qui les font. Nous voulons rendre au public les sciences pour lesquelles il nous paie. C’est une démarche de science citoyenne grâce à laquelle les gens pourront interpeller les scientifiques, les rencontrer à la cafétéria du lieu, assister à des meetings. Les Moulins seront aussi et surtout un lieu où les gens viendront pour s’amuser, s’émerveiller, passer un bon moment, rigoler et à l’occasion discuter avec un spécialiste du climat ! » s’enthousiasme le chercheur.
Selon lui, « le savoir ne vient pas par l’aridité ; il faut une disposition émotionnelle pour ça. C’est une erreur de cantonner le chercheur au savoir sans l’émotion. Dans les laboratoires, il y a de l’émotion, de la colère, des rires… ». Et beaucoup d’interrogations, à l’image des constantes universelles, ces « bornes de notre savoir » qui seront représentées sur le parvis des Moulins sous forme d’un mur offert à l’œil des passants. A l’intérieur des bâtiments, Jean imagine des expositions temporaires, des danseurs, des artistes en résidence et pourquoi pas un simulateur de tremblement de terre… « La Ville de Pont-de-Claix va cadencer l’agenda mais nous avons de grandes chances d’avoir bientôt un Planétarium numérique dans l’agglomération ». Quant aux partenaires du projet, Jean cite les établissements scolaires et les acteurs culturels de Pont-de-Claix (Les Chantiers nomades, PMI, l’Ecole intercommunale de musique et de danse Jean Wienner, etc.), les associations d’amateurs d’astronomie, le Muséum, La Casemate, les cafés scientifiques…
n attendant, les Moulins proposent déjà une programmation hors-les-murs [lire l’article « Les Grands Moulins de Villancourt : arts, sciences & société »]. Autant d’animations qui viendront en complément du futur hall muséographique de l’OSUG, sur le campus de Saint-Martin d’Hères, qui présentera d’ici deux ans les activités de l’Observatoire à des classes et au public. Pas de doute, les aurores de la Planeterrella et les yeux de Jean Lilensten n’ont pas fini de briller !
>> Notes :
- « Chasseur d’aurores », mars 2014, aux Editions La Martinière. Jean Lilensten a également écrit « La Fourmi et la philosophie » avec Pascal Dupont, aux éditions Odin
- Cette création a notamment été présentée au séminaire « Le son de la lumière et de l’invisible » à l’Institut méditerranéen de Recherches avancées (Iméra), les 2 et 3 avril
- Par ailleurs, l’OSUG et l’Université Joseph Fourier proposent des formations "Diffusion des Savoirs" au grand public à partir du niveau Bac et aux étudiants en formation initiale à l'université.
>> Pour en savoir plus : « Une vie aux aurores », Sur le Pont, janvier-février 2013
>> Illustrations : Editions La Martinière, Nick Russill, Jennifer Anderson, International Year of Astronomy, Bruno M. IPAG sur le site de la Planeterrella