Introduction à la LSF
Publié par Estelle - Aaron - Anouck *, le 22 mars 2022 2.7k
Nous tenions à remercier Mme Voisin pour l'aide qu'elle nous a apporté grâce à ses précieux conseils nous ayant permis d'améliorer au mieux cet article.
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Dans le monde, on recense 70 millions de personnes sourdes. Cependant, toutes les personnes sourdes ne signent pas. Et contrairement à une idée reçue très répandue : non, la langue des signes n’est pas la même partout ! Il existe l’ASL (American Sign Language) aux Etats-Unis, au Canada anglophone et dans certaines parties du Mexique ; la LSB (Langue des Signes Belge) en Belgique ; la DGS (Deutsche Gebärdensprache) en Allemagne… La liste est longue : en effet, il existe presque autant de langues des signes que de pays [source] ! En France, nous parlons de LSF, l’acronyme désignant “Langue des Signes Française”.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’usage et l’histoire de la langue des signes en France où on compte 6 millions de personnes sourdes, dont 500 000 ayant une surdité sévère à profonde [source]. Néanmoins, en 2008, sur ces 6 millions de personnes, il n'y a que 283 000 personnes qui utilisent la Langue des Signes Française [source]. On les appelle les sourds signant.
Depuis 2005, la LSF est officiellement reconnue par le Sénat comme une langue à part entière, et non plus un langage. Pourquoi ? La raison est simple : un langage permet une communication non grammaticale et est constitué d’un ensemble de gestes approximatifs (comme ce que font les bébés, ou encore les abeilles par exemple !), or ce n’est pas le cas de la LSF puisqu’elle possède une syntaxe complète, c'est-à-dire avec des règles propres et identifiables permettant de construire des phrases, sa propre grammaire et son propre vocabulaire. Pour ces raisons, une langue se distingue du langage car elle est le propre de l’humain !
Sommaire :
- Histoire de la LSF en France
- Utilisateur·trice·s
- Syntaxe et construction de la langue en France
- Sitographie : disponible dans les documents en annexe
L’Histoire de la LSF en France
Les premières traces de langues des signes
Dès l’Antiquité, on retrouve des témoignages de communication gestuelle. Malheureusement, pour les philosophes de l’époque, la capacité intellectuelle était étroitement liée à l’usage de la parole. Les personnes sourdes étaient donc la plupart du temps ostracisées et considérées comme des simples d’esprit. Elles communiquaient donc comme elles le pouvaient, avec des gestes simples, car elles n’avaient pas de langue structurée.
Le 18e siècle et l’abbé de l’Epée
Après un grand saut dans le temps (il faut attendre le XVIIIe siècle!), s’amorce enfin une reconnaissance des personnes sourdes et de leur moyen de communication. Cette ouverture est rendue possible grâce à un homme : Charles-Michel de l’Épée dit l’Abbé de l’Épée. Né en 1712, il appartient à l’ordre des jansénistes. Il se rend de ville en ville pour donner des cours de catéchisme aux enfants pauvres. C’est lors d’un de ses déplacements qu’il observe deux jumelles sourdes qui communiquent entre elles par des signes. Il réalise alors l’existence de cette langue naturelle des sourds.
À cette époque, seuls les individus sourds issus de classes sociales supérieures peuvent accéder à une éducation via des précepteurs privés. L’Abbé va alors dédier sa vie à combattre cette inégalité. Pour cela, il donne des cours chez lui, à Paris, puis fonde une école gratuite dédiée à l’éducation des enfants sourds. Il enrichit la langue des signes en développant une méthode d’apprentissage du français basée sur la gestuelle. Il communique également sur ses actions et contribue ainsi à faire connaître cette langue en France et en Europe. Son modèle a d’ailleurs été exporté en Amérique par ses disciples.
Il constitue une figure extrêmement importante pour les militants Sourds du monde entier.
Le Congrès de Milan et le siècle de l’oppression
Malheureusement, les partisans du mouvement “oraliste” prennent de plus en plus d’importance. Ils dénigrent la langue des signes et soutiennent que les sourds doivent apprendre à parler la langue française orale. Ces prises de position sont soutenues par des individus entendants qui n’ont aucune expérience de la surdité.
Le congrès de Milan se tient en 1880. Il réunit des représentants de plusieurs pays pour discuter de la prise en charge de l’éducation des sourds. Dans l’assemblée des 255 personnes, seulement 3 participants sont sourds. La majorité des votants adopte donc la méthode oraliste, arguant que celle-ci permettrait aux sourds de mieux s’intégrer à la société.
Cette décision est vécue, à juste titre, comme une persécution par la communauté sourde qui se voit interdire l’utilisation de sa langue naturelle. Pendant 100 ans, la langue des signes est totalement proscrite des instituts éducatifs dédiés aux sourds. Durant ce “siècle de l’oppression”, la langue des signes s’est considérablement appauvrie.
Les années 80 et le réveil sourd
Encore un long saut dans le temps qui nous amène dans les années 1980 durant lesquelles a lieu le Réveil Sourd. En effet, c’est à cette époque que commencent à apparaître des études de la langue des signes réalisées par des linguistes. On peut par exemple citer William Stokoe, puis Christian Cuxac et Bernard Mottez. Ces chercheurs étudient la langue des signes comme la véritable langue qu’elle est, et intègrent même dans leur perspective toute la culture de la communauté sourde.
Ces études contribuent à remettre la langue des signes sur le devant de la scène. Dans cette optique, on peut également observer la création de l’International Visual Theatre (IVT) à Paris. Ce lieu, unique en France, est un espace “d’échange, de rencontre et de découverte pour les sourds et les entendants”. Il propose une programmation culturelle bilingue et contribue à la revalorisation de la langue des signes par l’art. D’autres initiatives pédagogiques voient le jour avec des formations pour les proches d’enfants sourds, les sourds et les interprètes, notamment avec l’association “2 langues pour une Éducation" (2LPE).
Ces initiatives sont d’autant plus remarquables que le contexte sociologique et législatif reste complexe.
Les années 90 et la médiatisation de la LSF
Ce mouvement de revalorisation de la langue des signes française se poursuit dans la décennie suivante.
Dans les années 90, on observe ainsi une multiplication des produits culturels mettant en avant la culture sourde. On peut par exemple citer la pièce de théâtre “Les Enfants du silence” pour laquelle la comédienne sourde Emmanuelle Laborit obtient le Molière 1993 de la révélation théâtrale. La même année, sors le documentaire “Le pays des sourds”, réalisé par Nicolas Philibert. Toutes ces productions participent à faire connaître l’univers des personnes sourdes aux entendants. L’association LPE poursuit ses actions de mise en avant de la LSF en proposant toujours plus de formations et de classes bilingues.
Les années 2000 et la reconnaissance de la LSF
Enfin, nous arrivons presque au bout de ce long chemin ! Depuis les années 2000, on peut véritablement observer une évolution des mentalités, ainsi qu’une amélioration des représentations de la communauté sourde.
Cette évolution s’exprime de manière concrète avec l’adoption, le 11 février 2005 de la Loi n°2005-102 qui reconnaît la LSF comme “une langue à part entière”.
Dans le domaine de l’éducation, on constate aussi des avancées importantes avec l’ajout de la LSF comme option sélectionnable au Bac, comme les autres langues vivantes, en 2008. Et depuis 2010, il est possible de passer le CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré) de LSF!
La reconnaissance de la LSF est désormais garantie de manière légale. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser et éduquer le grand public aux problématiques sourdes.
Utilisateur·trice·s
La majorité des personnes pratiquant la LSF sont Sourdes et vivent en France ainsi qu’en Suisse. On dit qu'iels signent.
“Sourdes” avec un “s” majuscule ? Eh oui, ça fait toute la différence ! Ce terme existe pour englober quiconque s’implique dans la Culture Sourde et en partage les valeurs, les comportements et, bien sûr, la langue. Le tout, sans lien avec le degré de surdité. Pourquoi ? Nous allons y revenir.
Le terme “sourd·e”, en minuscule, va quant à lui désigner les personnes ayant perdu l’audition, peu importe à quel degré. Quant à l’utilisation du terme “malentendant·e”, il est à proscrire ! Utilisé par les entendant·e·s, il peut être perçu de façon très négative.
Ainsi, il est donc possible d’être sourd sans être Sourd, et inversement ! D’où le fait que le degré de surdité n'a pas d’importance dans cette culture. C’est par exemple le cas des enfants entendant·e·s de parents Sourds, qu’on appelle “CODAs” pour “Children of Deaf Adults” (à traduire par : “Enfants d’Adultes Sourds”).
La langue des signes peut également être enseignée à la petite enfance, même s’iels sont entendant·e·s, ainsi qu’à toute personne non-verbale. C’est en effet un très bon moyen pour donner un accès à la communication à des personnes qui ne savent pas ou ne peuvent pas verbaliser, limitant alors la frustration de ne pas être compris·e tout en réduisant ce sentiment d’isolement qui peut en naître.
Syntaxe et construction de la langue en France
Construction d’une phrase en LSF
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne suffit pas de connaître l'alphabet dactylologique ou des mots de vocabulaire en langue des signes pour traduire le français mot à mot. La langue des signes, c’est une langue à part entière, et comme toutes les langues, elle possède sa syntaxe… qui est très différente du français ! En français, on construit ses phrases sous forme sujet - verbe - complément. C’est une langue orale et linéaire.
La LSF est très différente, car on utilise tout le haut de son corps pour signer : c’est une langue en trois dimensions. Les phrases y sont, en général, construites comme au théâtre : on peut commencer par planter le décor, puis on définit les personnages, et enfin leurs actions ; ou alors, on se place dans la scène comme un protagoniste. Ainsi, pour faire simple, la LSF est construite comme ceci : temps - lieu - sujet - action.
Lorsqu’iel s’exprime, la personne locutrice commence par placer l’action dans le temps. La ligne temporelle est perpendiculaire à son corps : le passé est dans son dos, le présent au niveau de son corps et le futur devant iel.
Ensuite, iel place l’action dans l’espace, en signant un lieu, un endroit…
Iel place ensuite les acteurs de l’action en les désignant (par des prénoms, des noms ou des signes descriptifs : iel-même, sa/son ou ses interlocuteur·trice·s, “un homme”, “une femme”, “un animal”, etc…).
Enfin, iel signe les actions qui se sont déroulées.
Ci-dessous, vous pouvez visionner un conte pour enfants lu à voix haute et en langue des signes.
Types de signes
Il existe trois types de signes :
- Les signes iconiques, qui miment ce qu’ils représentent
- Les signes inspirés du français, qui reprennent souvent la 1e lettre du mot avec l’alphabet dactylologique
- Les signes inventés, c’est-à-dire tous ceux qui ne rentrent pas dans les deux autres catégories, mais qui souvent sont créés selon des critères iconiques
Ces signes dépendent de cinq variables :
- La configuration de la main et des doigts
- L’orientation de la main
- Le mouvement
- L’emplacement du signe dans l’espace
- L’expression du visage
Ce dernier point est primordial pour les locuteurs de la LSF. Si on signe avec un visage inexpressif, notre interlocuteur perd énormément d'informations et de nuances dans le dialogue ! Encore une fois, c’est comme au théâtre : il faut laisser transparaître ses émotions pour se faire comprendre.
Comme évoqué précédemment, il existe un alphabet dactylologique, inspiré de l’alphabet latin. Chaque lettre correspond à un signe, et la plupart des signes sont inspirés de la forme de la lettre (par exemple, pour signer “V”, il faut faire un V avec l’index et le majeur). Cependant, il n’est pas conseillé de commencer par là si vous voulez apprendre la LSF ! Cet alphabet, très populaire chez les entendant·e·s, n’est pratiquement pas utilisé dans le langage courant, excepté pour influencer la configuration de la main pour les signes inspirés du français, ou encore pour permettre aux apprenants d'épeler leur nom ou les mots qu’iels ne connaissent pas, et se faire comprendre des Sourds ayant accès à la langue écrite.
Apprendre la LSF
La meilleure façon d’apprendre la LSF… c’est de communiquer avec des personnes qui signent ! Il est laborieux d’essayer d’apprendre la LSF seul.e, et les résultats seront hasardeux : c’est une langue sociale, expressive, qui demande un certain laisser-aller. Si l’on s’en tient à apprendre par cœur des signes de vocabulaire, on aura peu de chances de dialoguer de façon fluide avec un.e Sourd.e.
Pour apprendre, rien de mieux que des cours ou des formations : vous pouvez contacter des associations, ou encore effectuer une formation dans le cadre d’un emploi. Il existe de nombreuses associations pour s’informer, telles que la FNSF (Fédération Nationale des Sourds de France) par exemple [source]. Cependant, si l’établissement qui vous emploie ou dans lequel vous faites vos études ne vous les finance pas, elles peuvent être assez onéreuses. Dans tous les cas, privilégiez les cours avec des enseignant.e.s Sourds, qui encouragent le dialogue actif, ce qui est le moyen le plus sûr de progresser dans cette langue !
Nous espérons que cet article vous a permis d'apprendre de nouvelles choses.
Pour aller plus loin, vous pouvez aussi vous renseigner auprès de créateurs et créatrices de contenus sur Youtube, comme par exemple les chaînes de :
Ou encore via des livres que nous conseille Marie Littlebunbao dans l'une de ses vidéos :
- La langue des Signes, tome 1
- Le Poche : dictionnaire bilingue LSF / Français
- ABC...LSF : Dictionnaire visuel bilingue
- Dictionnaire bilingue français/langue des signes pour enfants
- Dictionnaire étymologique et historique de la langue des signes française