Intoxication par le mercure : un danger mal connu
Publié par Encyclopédie Environnement, le 11 juin 2020 10k
Dans le contexte actuel de la pandémie Covid-19, l’intoxication par le mercure est un excellent exemple de la difficulté à évaluer et à gérer un risque pour l’environnement et ses conséquences sur la santé humaine. Deux démarches doivent être distinguées. L’évaluation du risque est confiée à des scientifiques indépendants : leurs propositions sont fondées sur l’état actuel des connaissances, c’est eux qui indiquent quels sont les risques pour la santé et qui déterminent les doses d’exposition à ne pas dépasser. La gestion du risque par le pouvoir public est basée sur les rapports des agences sanitaires et sur les conclusions des experts scientifiques. Voyons comment ces démarches se sont articulées dans le cas de cette intoxication.
Le mercure métal, de moins en moins utilisé
Sous sa forme métallique, liquide aux températures ambiantes, capable de dissoudre de nombreux autres métaux et donc de les transporter, le vif argent, ainsi nommé au moyen âge, a connu un réel succès dans diverses industries. Il ne présente aucune toxicité. Jusqu’au 20e siècle, ses propriétés physiques aux températures ambiantes, dilatabilité en particulier, l’ont rendu presque indispensable dans un grand nombre d’instruments de mesure, comme les thermomètres ou baromètres, où il était contenu dans des tubes de verre fragiles.
Ceux-ci finissaient par être brisés, dans les habitations comme dans les laboratoires de recherche, de sorte que de grandes quantités de ce métal relativement volatil, souvent stockées dans les parquets, finissaient en vapeur inhalée. Or cette vapeur est dangereuse, elle peut engendrer des troubles du comportement comme ceux qui conduisirent à l’image du chapelier fou, contée dans « Alice au pays des merveilles » (Figure 2). Les fabricants de chapeaux de l’Angleterre du 19e siècle utilisaient en effet du mercure qu’ils faisaient chauffer pour fabriquer et lustrer la feutrine des chapeaux.
En 1999, toute présence de mercure métal dans des dispositifs utilisables par le grand public a été interdite en France, comme dans de nombreux autres pays. Les thermomètres à mercure disponibles au cours du 20e siècle ont donc disparu, mais ce métal connait encore divers usages. La propriété du mercure métal d’amalgamer d’autres métaux est utilisée de longue date pour combler les caries dentaires avec des plombages, mal nommés puisqu’ils ne contiennent pas de plomb mais de l’argent, du zinc, de l’étain et du cuivre. Il a été dit que les vapeurs du mercure contenu dans ces amalgames seraient responsables de la maladie d’Alzheimer ou de la sclérose en plaques, mais, à ce jour, aucune expertise scientifique n’a pu confirmer cette hypothèse.
Dans l’industrie chimique, à titre d’exemple, le mercure est utilisé comme cathode dans les cuves d’électrolyse d’une solution aqueuse de sel marin pour amalgamer et extraire le sodium destiné à diverses applications, comme les produits de nettoyage à base de soude ou les lampes à vapeur de sodium. Le chlore, destiné à la fabrication de matières plastiques comme les PVC, se dégage à travers l’anode poreuse. Un autre usage bien connu est celui qu’en font les orpailleurs, ou chercheurs d’or clandestins, qui utilisent le mercure métal pour amalgamer les pépites d’or éventuellement présentes dans l’eau des rivières. Ils chauffent ensuite l’amalgame pour vaporiser le mercure et récupérer l’or ; chaque année plusieurs orpailleurs décèdent à la suite de leurs inhalations de vapeurs de mercure.
Le mercure organique : là est le danger !
Dans les années 1950, au Japon, des pathologies neurologiques sévères sont apparues chez des habitants des rivages de la baie de Minamata. Les adultes présentaient des paralysies sévères et des troubles neurologiques. Les enfants étaient nombreux à présenter à la fois des malformations et des troubles neurologiques. Le bilan final en plusieurs années s’est élevé à environ 600 morts et 3 000 malades. Malgré de nombreuses expertises, les épidémiologistes de l’époque ne parvenaient pas à expliquer ces pathologies.
Deux indices sérieux furent cependant identifiés : ces familles se nourrissaient essentiellement des produits de la pêche et l’entreprise chimique Chisso, qui utilise le mercure comme catalyseur de certaines synthèses, déversait régulièrement ses effluents dans les eaux de cette baie du Pacifique. Les pathologies décrites ressemblaient à ce que l’on connaissait de la toxicité du mercure organique, alors que l’usine Chisso déversait du mercure métal dans le Pacifique !
Ce furent des toxicologues écossais, qui parvinrent à résoudre l’énigme : le mercure métal présent dans l’eau de mer était transformé en méthyl-mercure (CH3Hg) par les micro-organismes marins. Ce phénomène de biométhylation du mercure permettait de comprendre que le mercure métal devienne du mercure organique qui, une fois ingéré, est bien absorbé par l’organisme !
Deux autres phénomènes maintenant bien connus en santé environnementale furent aussi mis en évidence. D’abord la bioaccumulation : le mercure s’accumule dans les organismes au fil du temps. Plus le poisson ou le mammifère est âgé, plus il a consommé, plus son contenu en mercure organique est important. Ensuite, la bioamplification : les petits poissons sont mangés par de plus gros poissons qui sont à leur tour mangés par d’autres poissons encore plus gros, jusqu’à l’homme qui, en bout de la chaîne alimentaire, reçoit la dose maximale de mercure organique quand il consomme par exemple du thon ou du cabillaud (Figure 1).
Autres exemples de pollution par le mercure
L’analyse de plumes d’oiseaux empaillés dans les muséums d’histoire naturelle, celles des oiseaux pêcheurs en particulier, a montré que la pollution des mers et des océans par le mercure n’avait jamais cessé de croître depuis le début de l’ère industrielle. Des concentrations moyennes de quelques µg/g furent mesurées dans des plumes d’oiseaux marins ; si la progression se poursuit, elles atteindront dans quelques décennies le seuil de dangerosité estimé à environ 20 µg/g.
L’examen de carottes glaciaires a démontré la responsabilité de l’homme dans cette forme de pollution. Sur la Figure 3 on peut distinguer le bruit de fond naturel (en vert), le mercure d’origine volcanique (en bleu) et surtout celui produit par les activités de l’homme, chercheurs d’or (couleur or) et activités industrielles (rouge) en particulier. L’activité de l’homme s’avère responsable de 70% des émissions de mercure au cours des cent dernières années. On observe cependant une décroissance des concentrations de mercure depuis les 20 dernières années, conséquence des différentes règlementations mises en œuvre pour en réduire les émissions. Récemment, il a été montré que le permafrost de l’hémisphère Nord contenait d’énormes quantités de mercure, apportées par les précipitations. Le réchauffement climatique peut laisser craindre un relargage progressif de ce mercure lors de la fonte de ce permafrost.
Et maintenant ?
L’alerte fut donnée en 2001 quand l’ONU commanda un rapport sur l’évaluation de ce danger. Délivré en 2002, celui-ci conduisit d’abord à la Déclaration de Budapest sur le mercure, le plomb et le cadmium, adoptée en 2006, mais non contraignante. Finalement, à la suite de négociations et de compromis, dans le cadre du programme des Nations Unies pour l’Environnement, un accord international limité au cas du mercure a vu le jour. Il fait l’objet d’une règlementation dans un instrument juridiquement contraignant, la convention de Minamata. Adoptée en 2013 au Japon et signée sur les lieux mêmes où une intoxication exceptionnelle avait été observée (Figure 4), cette convention est entrée en vigueur le 16 août 2017. Elle prévoit l’interdiction de nouvelles mines de mercure, l’abandon progressif des mines existantes, la suppression et l’élimination progressive de l’utilisation du mercure dans un certain nombre de produits et procédés. Elle inclut aussi diverses mesures visant à contrôler les émissions de mercure dans l’atmosphère et ses rejets dans l’eau et le sol, ainsi que le contrôle de l’extraction minière artisanale de l’or.
Retenons que, sous sa forme organique, le mercure représente un véritable enjeu de santé publique, en particulier le méthyl-mercure. Ingéré par les poissons et autres produits de la mer, au bout de la chaine alimentaire il est consommé par les hommes. Si la diététique pousse à manger du poisson, veillons cependant à en limiter la quantité.
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Ce texte est essentiellement tiré de deux articles publiés dans encyclopedie-environnement.org
- « Le mercure, le poisson et les chercheurs d’or » de Vincent Danel, Professeur Émérite, Université Grenoble Alpes (UGA), Médecin praticien hospitalier au CHU de Grenoble (Unité de Toxicologie Clinique)
- « La convention de Minamata sur le mercure » de Sophie Thirion, Assistante de recherche et d’enseignement à l’Université de Lausanne, Centre de Droit Comparé, International, Européen (CDCIE)
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier d'UGA Éditions dans le cadre du programme "Investissement d'avenir", et de la Région Auvergne Rhône-Alpes.
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