La Terre avant les dinosaures : Rencontre avec le paléontologue Jean-Sébastien Steyer
Publié par Sandy Aupetit, le 14 avril 2017 4.6k
Mercredi 12 Avril, le muséum de Grenoble accueillait Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au CNRS rattaché au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Spécialiste de la vie sur Terre avant les dinosaures, il nous a emmené avec lui à la découverte de notre planète il y a 250 millions d'années, lorsqu'il n'existait qu'un unique et vaste continent : la Pangée. Je n'ai pas résisté à lui poser quelques questions à l'issue de sa présentation !
Bonjour Jean-Sébastien Steyer, vous travaillez donc au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, mais il paraîtrait que vous n’êtes pas tout à fait étranger à Grenoble ?
En effet, j’ai fait mes études ici il y a un certain temps ! J’ai fait ma licence à Grenoble, à l’Institut de Géologie de Dolomieu. A l'époque j’étais sur les hauteurs de Grenoble, à côté de ce qui est maintenant le Rabot.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la paléontologie, et plus particulièrement à ce qu’il s’est passé avant l’époque des dinosaures ?
Je suis tombé dans la soupe très jeune ! Depuis gamin en fait je rêve d’être paléontologue, et cette idée là m’a suivie tout au long de mon parcours. J’ai fait un bac scientifique, ma licence à Grenoble, et j’ai commencé en master à me spécialiser sur ce qu’il s’est passé avant les dinosaures, en me disant que les dinosaures c’est sympa aussi, mais finalement ils n’ont pas tous disparus, puisqu’il existe encore les oiseaux ! Donc je me suis dit que plutôt que travailler sur un groupe qui existe encore, j'allais essayer de travailler sur d’autres groupes éteints, qui ont évolué avant les dinosaures ! Et j’en suis venu à travailler sur les stégocéphales* comme ça !
Photo d'un stégocéphale prise dans la galerie de paléontologie du Muséum National
d'Histoire Naturelle de Paris. © Photothèque du CNRS / MNHN.
Pouvez-vous nous raconter votre dernière expédition ?
Mes dernières fouilles, c’était au Maroc en automne dernier ! On était dans la vallée de l’Argana, une superbe vallée qui borde la chaîne de l’Atlas, et on prospectait dans ces terrains permiens et trias, toujours à la recherche de fossiles d’amphibiens et de reptiles anté-dinosauriens, donc datant d’environ 250 à 300 millions d’années.
Et votre prochaine expédition ?
Ce sera le mois prochain ! Je pars en Tanzanie, mais là le décor et le milieu seront complètement différents ! On sera dans la savane, dans le bassin de l'un des affluents du Zambèze. C’est assez escarpé, il n’y a pas de village, il n’y absolument rien au fond du bassin ! On longe les bords de rivières sèches, et on bivouaque au bord des rivières pleines pour avoir de l’eau. On a une pompe Katadyn pour pouvoir filtrer l'eau et s’hydrater, en faisant attention aux crocos quand on pompe l’eau de la rivière !
Jean-Sébastien Steyer sur un site de fouilles. Source : Interview réalisée
par Pierre Barthélémy sur le blog Passeurs de science
Extrait de la conférence : Le facteur chance lorsqu'on part à la chasse aux fossiles !
On prospecte beaucoup [...] dans la zone saharienne et notamment au Niger. On monte des expéditions de paléontologie, avec des collègues nigériens bien-sûr, sud-africains, américains, européens, et on part faire des sortes de campements itinérants dans le désert avec cartes géologiques à l’appui !
Il existe des déserts de sables (ergs) et de pierres (regs), et dans cette région là on est à la limite entre les deux. Donc on peut monter sur des dunes de sables, et repérer des zones entre les dunes où on a la « roche mère », c’est a dire la roche qui fournit finalement le sable, grâce à l’érosion éolienne. C’est une région très sèche et aride et il y a des vents de sable quasi permanents dans ce secteur.
Donc comme je le disais on prospecte, on marche beaucoup, et tout simplement on regarde où on met les pieds ! En fonction de la densité d’esquilles osseuses** découvertes en surface et bien on met ou pas un petit chantier de fouilles temporaire le temps de l’expédition. Une fois nous avons trouvé des esquilles osseuses d’un tétrapode de 250 millions d’années, et là on a eu de la chance, car en creusant il y avait le reste du squelette en profondeur !
La difficulté ici, c'est que si on arrive trop tard, le vent de sable détruit tout et transporte ça sous la forme de poussières. Mais si on arrive trop tôt, on ne voit rien en surface ! Donc non seulement il faut un facteur chance dans l’espace, pour trouver le bon endroit, mais il faut aussi arriver à peu près au bon moment, lorsque vous avez des indices en surface mais qui ne soient pas uniquement des restes d’un squelette qui s’est déjà fait emporté par le vent.
Et si vous deviez nous raconter votre plus belle découverte ?
Ah c’était au Niger ! On est parti dans le Sahara et on ne trouvait rien la première semaine, le moral des troupes commençait à vraiment faiblir. On était tous reliés par talkie-walkie pour des raisons de sécurité, et au bout du 5ème ou 6ème jour, notre collègue canadien s’est mis à crier dans son talkie-walkie quelque chose d’inaudible ! On a alors bien compris qu’il avait trouvé quelque chose, il nous a envoyé ses coordonnées GPS, et on a tous convergé vers le site ! Et là on sautait en l’air parce qu’on avait enfin découvert un superbe reptile, qui s’est en plus révélé être une nouvelle espèce après analyse !
Jean-Sébastien Steyer est également passionné de vulgarisation et auteur de plusieurs livres de référence, à consommer sans modération : La Terre avant les dinosaures (2009), Exquise Planète (2014) ou encore Demain les Animaux du Futur (2015). Il est également, entre deux expéditions paléontologiques de par le monde, chroniqueur pour les revues "Pour la science" et "Espèces".
* Stégocéphale (du grec stegos, « plaque », et kephalê, « tête ») : Amphibien fossile du primaire, apparu il y a environ 370 millions d'années. Le stégocéphale fut vraisemblablement le premier vertébré à être pourvu de pattes véritablement développées.
** Esquilles osseuses : fragments osseux