Inmédiats : des centres de culture scientifique aux agoras de l’innovation
Publié par Audrey Bardon, le 29 mai 2012 3.9k
Le projet InMédiats (Innovation pour la Médiation dans les Territoires) porté par six centres de sciences vise la diffusion à grande échelle de la culture scientifique et technique par le numérique.
Septembre 2011. Un vent de renouveau souffle sur la culture scientifique. Les résultats de l’appel à projets « Développement de la culture scientifique et Égalité des chances » du Grand Emprunt viennent de tomber : le projet Inmédiats (Innovation pour la Médiation dans les Territoires) bénéficiera d’une enveloppe de 15 millions d’euros. Son ambition ? Repenser totalement la diffusion de la culture scientifique, imaginer de nouveaux modes d’accès et renouveler les pratiques. Ce projet ambitieux porté par six centres de culture scientifique et technique exploitera pour cela les nouveaux outils numériques en s’inspirant largement des schémas de pensée de l’innovation ouverte.
Casser les logiques territoriales
L’histoire débute quelques mois plus tôt à Bordeaux, lorsque le directeur de Cap Sciences, Bernard Alaux, apprend le futur lancement de l’appel à projets. Conscient de l'opportunité, il contacte rapidement ses homologues en région et leur propose de s’associer à travers un grand projet : imaginer et créer des centres de culture scientifique de nouvelle génération, « des agoras de l’innovation » qui ne s’appuieront pas sur "le modèle dépassé de transmission des connaissances", mais sur la « co-construction des savoirs ». « À ce moment-là, nous réfléchissions chacun de notre côté à la manière d’utiliser le numérique dans nos pratiques de médiation, raconte Bruno Dosseur, directeur du centre Relais d’sciences à Caen. Nous avions tous envie d’expérimenter de nouvelles choses, mais nous avions conscience que, seuls, nous ne pouvions pas aller bien loin ». Une intuition, un goût pour l’innovation et des valeurs communes rapprocheront les six centres : Cap Sciences à Bordeaux, coordinateur du projet, Espace des Sciences à Rennes, La Casemate de Grenoble, Relais d'sciences à Caen, Science Animation à Toulouse, et Universcience à Paris. Ce projet implique donc pour les six centres de repenser leur mode de travail et de casser les logiques territoriales : « Lorsque l’appel a été lancé, c’était pour nous l’occasion de montrer que l’on pouvait changer le mode très centralisé de diffusion de la culture scientifique autour du Pôle national de référence basé à Paris, pour aller vers une nouvelle forme de collaboration entre les régions », raconte Laurent Chicoineau, directeur de La Casemate.
Le défi : toucher les 15-25 ans
Autre challenge du projet : toucher le public des adolescents et jeunes adultes dont la science provoque généralement une poussée d’urticaire. « Entre 15 et 25 ans, on est en train de se construire comme adulte, on fait des choix d’orientation professionnelle, on entre dans la société, souligne Bruno Dosseur. C’est dommage que nous, centre de sciences, nous ne soyons pas capables de faire des propositions qui les motivent. C’est à nous d’imaginer des dispositifs qui s’adaptent à leurs pratiques et non l’inverse ». Inmédiats s’appuie donc sur les modes de pensée des jeunes : le désir d’instantanéité, de prise en considération, de personnalisation… Le numérique constitue alors une porte d’entrée pour ce public amateur de nouvelles technologies.
Il s’agira par exemple de travailler sur la question de mobilité : si les jeunes adultes ne sont pas dans les centres, ils sont très souvent derrière leur téléphone. Aux équipes d’Inmédiats « de faire œuvre d’imagination et d’innovation » pour les atteindre à travers ce médium. Pour Bernard Alaux, « il faut créer des passerelles entre monde virtuel et centre physique, en gardant bien à l’esprit que rien ne vaut l’interactivité humaine ». Les outils numériques offrent la possibilité d’éveiller une curiosité éteinte, de rapprocher un public de la communauté scientifique, de réhabilité le geste technique, et pourquoi pas, d’apporter une solution à la crise des vocations scientifiques. « Ça vaut le coup d’essayer » sourit Bruno Dosseur.
3 axes de développement
Lorsque l’appel est lancé officiellement en décembre 2010, les six partenaires se retrouvent autour d’une table pour tracer les contours du projet Inmédiats : « Cela ne devait pas être une agrégation de nos projets, raconte Bruno Dosseur. Il fallait casser tout ce qu’on avait commencé pour construire un projet unique et collectif qui ait du sens. » Au fil des échanges et réflexions, le projet s’affinera pour aboutir à trois axes de déploiements : La mise en place d’équipements structurants ; La création de contenus et services numériques innovants ; L’évaluation et la diffusion. Pour chaque axe, des projets opérationnels seront mis en place, « avec des déclinaisons différentes selon nos territoires, parce que nous n’avons pas la même histoire, et parce que nous avons tous choisi de ne porter que certains projets d’InMédiats. » Le premier axe, « mise en place d’équipements structurants », vise à mettre en place de nouveaux espaces innovants à travers quatre projets :
- Living Lab, coordonné par Relais d'sciences : espaces d’expérimentation des usages L’idée des living lab est de créer des espaces où l’on teste de nouvelles technologies et leurs usages en impliquant directement les utilisateurs dans le processus de recherche et développement. Les centres offriront un terrain propice pour l’expérimentation de la réalité augmentée, des interfaces tactiles, des dispositifs 3D, etc.
- Fab Lab, coordonné par Science Animation : ateliers de création Ces ateliers de création et de prototypage ouverts à tous permettront de participer à la création d’objets, sur une logique de partage, d’interdisciplinarité et de démocratisation du savoir.
- Média mobile, coordonné par Science Animation : dispositifs itinérants
À quoi pourraient ressembler les espaces itinérants de demain, à l’exemple des camions des sciences ? C’est à cette question que va tenter de répondre le projet Média Mobile en testant de nouveaux dispositifs embarqués.
- Studio numérique, coordonné par l'Espace des Sciences : espaces de captation et de diffusion
Il s’agit pour les centres impliqués de se doter de moyens de captations multimédias connectés au web. Le projet consistera par exemple à réfléchir à la diffusion d’une exposition sur Internet.
L’axe « création de contenus et services numériques innovants » se décline également en quatre projets opérationnels :
- Navinum/SciencesOnaute, coordonné par Cap Sciences : visite augmentée Ce projet vise à tester plus largement un dispositif créé par Cap sciences permettant de suivre le parcours d’un visiteur (le « Science-o-naute ») dans le centre à l’aide d’un badge embarquant une puce RFID (le « Navinum »). Il offre notamment la possibilité de personnaliser les contenus proposés au visiteur pendant l’exposition, puis sur Internet.
- Réseau social territorial, coordonné par La Casemate : forum de projets culturels Cette plateforme web rassemblera des acteurs de tous horizons pour renforcer les collaborations territoriales et favoriser l’émergence de projets de médiation culturelle : expositions, spectacles, associations, etc. Des rencontres seront également organisées, sur le modèle des Carrefours des possibles.
- Serious games, coordonné par Universience : jeux vidéo pédagogiques Ce projet vise à concevoir des jeux vidéo à contenu scientifique et technique et en évaluer leurs apports pédagogiques.
- Monde virtuel, coordonné par l'Espace des Sciences : dispositifs immersifs Les équipes d’Inmédiats ont pour ambition de développer des univers virtuels immersifs et sécurisés, s’appuyant sur un contenu scientifique de qualité. L’idée est de produire des outils de découvertes permettant par exemple de dialoguer avec des chercheurs ou d’accéder à des univers ineffables.
« Tester des outils, c’est bien. Mais il est indispensable d’apporter un regard critique, appuie Bernard Alaux. Il faut évaluer, questionner et comprendre les usages ». Au programme donc d’Inmédiats : une évaluation constante des dispositifs mis en place. Les équipes effectueront un suivi des fréquentations, des retours, de la participation des publics… « Nous souhaitons aussi développer des axes de recherche transverses impliquant notamment des chercheurs en sciences humaines et sociales qui peuvent apporter un autre regard, complète Laurent Chicoineau. On doit questionner le rapport au savoir à travers le numérique ». L’objectif est de créer un corpus de connaissances qui puisse ensuite être diffusé. L’équipe a déjà prévu d’organiser régulièrement des séminaires afin de présenter l’ensemble de leurs travaux et recherches.
Un groupe soudé mais ouvert
Pour tous les membres d’Inmédiats, ce projet est avant tout « une belle aventure humaine ». « On a une philosophie de travail basée sur nos relations amicales à tous les six, confie Bruno Dosseur. On est dans une connivence intellectuelle et culturelle ». Les six centres ont su trouver un équilibre basé sur l’échange et l’équité, malgré la disproportion des structures. « Une machine comme Universcience avec une vision centralisée pouvait en effet faire peur. Mais ils ont accepté d’intervenir non pas en tant que Pôle national de référence, mais au titre d’acteur de la culture scientifique en Ile de France. »
Ce groupe soudé reste par ailleurs très ouvert aux propositions : « on n’est pas le club des six qui bricole dans son coin ! » Inmédiats, c’est le point de départ d’un « mouvement qui associe des acteurs sur le territoire ». Un second groupe de centres serait déjà en train de se constituer, basé sur une dynamique similaire. Car un regroupement com e le consortium Inmédiats, c’est aussi un poids plus important pour chaque structure vis-à-vis de ses partenaires. « Moi qui n’ai pas de lieu et qui m’adresse à 50 000 personnes par an, si je vais voir Apple, ils vont me dire “t’es gentil avec ton assoc de quartier, mais… non.” » ironise le directeur de Relais d’sciences. « Avec Inmédiats, on passe d’une petite équipe à 150 personnes qui travaillent sur un même sujet. C’est un extraordinaire effet levier ! » Très sollicité depuis les résultats du Grand Emprunt, le consortium s’organise pour impliquer des acteurs extérieurs au domaine de la culture scientifique et technique. « C’est très motivant de savoir que ces gens veulent faire des choses avec nous. Cela va sans doute dépasser plus largement la culture scientifique pour aller vers des problématiques économiques, sociales, environnementales, etc. On accompagne une économie de la connaissance dans toutes ses dimensions, depuis le tourisme à l’innovation industrielle ou le design. »
Construire un nouveau modèle
Maintenant, il s’agit de tout mettre en place, de planifier et de définir plus précisément les étapes du projet financé pour la période 2011-2015. « On ne va pas faire les enfants gâtés pendant cinq ans ! Il faut dès maintenant réussir à consolider les choses pour construire un modèle économique pérenne » appuie Laurent Chicoineau. Les directeurs envisagent déjà le rapprochement avec des organismes et réseaux européens et internationaux « tels que les réseaux des Fab Lab et des Living Lab ».
« Nous souhaitons développer des projets d’avenir sur lesquels il y aura un vrai retour d’investissement, s’enthousiasme Bernard Alaux. Les centres de science ne doivent plus être perçus comme des centres de coûts, mais des centres de valeurs sociales et économiques. Le temps de la sectorisation est fini. C’est presque une nouvelle forme de société. Enfin, ça, c’est mon petit côté optimiste...".
>> Illustrations : Ilan Ginzburg, logos d'InMédiats, Cap Sciences, Espace des Sciences, La Casemate, Relais d'sciences, Science Animation, et Universcience, dessin d'Agent-X (licence CC), images de Johan.V., Knowtex, tsevis (Flickr, licence CC).
>> Source : article initialement publié sur Knowtex le 28 octobre 2011