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Impostures pharmaceutiques : médicaments illicites et lutte pour l’accès à la santé

Publié par Aymane Hedaraly, le 3 octobre 2019   3.4k

Crédit photo : jarmoluk/pixabay


Le 30 septembre 2019, la MSH-Alpes a accueilli pour son second séminaire “Sciences, Société et Communication” Mathieu Quet,  chercheur en sciences de l'information et de la communication à l’Institut de Recherche et Développement.

Son intervention portait sur le marché des médicaments et les luttes pour l’accès à la santé au travers de son enquête de terrain, notamment en Inde et au Kenya.


Médicaments illicites ou contrefaçons ?

A partir des années 90, des inquiétudes émergent concernant la présence de médicaments contrefaits sur le marché. Aujourd’hui, les débats autour de ce sujet restent très présents dans les médias nationaux et internationaux, démontrant ainsi une préoccupation croissante face à cette question.

Les pays d’Europe sont concernés, mais aussi et surtout les pays en voie de développement, où la surveillance et la régulation sont plus fragiles. L’Inde, par exemple, est devenue un acteur majeur de la production et de l’exportation pharmaceutique. Toutefois, tous les sites de productions n’ont pas les mêmes intérêts : “le but est de vendre, parfois au détriment de la qualité” nous dit Mathieu QUET.

Par conséquent, des médicaments peuvent être mal faits, de mauvaise qualité ou contenir un taux de principe actif inférieur à la normale. Certains sont vendus périmés, voire même sans être enregistrés dans les listes gouvernementales. Ces médicaments sont alors désignés comme étant contrefaits.

La définition de médicament contrefait est sujet à controverse. La contrefaçon désigne la pratique qui consiste à reproduire sans accord un objet protégé par le droit de propriété intellectuelle. Cependant, dans le langage courant, un produit contrefait est perçu comme étant faux et résultant d’un ensemble de pratiques illicites. Or, un médicament illicite n’est pas forcément un médicament contrefait. Cette confusion arrive jusque dans les lois, comme au Kenya, où la loi “anti-contrefaçon” définit les médicaments contrefaits comme étant fabriqués dans le but de tromper ou reproduire des médicaments sans autorisation.

Quoi qu’il en soit, des mesures pour lutter contre les problèmes de santé publique que les médicaments illicites engendrent ont été mises en place.


Un historique pour mieux comprendre

Depuis 2006, l’Organisation Mondiale de la Santé veut s'attaquer aux faux médicaments et demande à ce que des actions mondiales soient réalisées. L’OMS cherche donc à lutter contre la contrefaçon plutôt que de se focaliser sur la qualité même des médicaments.

De ce fait, fin 2008, le gouvernement kenyan passe la loi « anti-contrefaçon ». 

Parallèlement, en octobre 2008, une cargaison de médicaments non brevetés provenant d’Inde et à destination du Brésil se fait intercepter et arrêter par les autorités hollandaises. Ces médicaments sont considérés sur le territoire européen comme contrefaits et donc illégaux. Or, l’échange initial entre les deux pays est parfaitement légal à leur échelle.

Ces différents blocages gouvernementaux à travers le monde engendrent différentes tensions locales. En décembre 2009, au Kenya, des manifestations de groupes militants et séropositifs pour dénoncer les effets négatifs de la loi "anti-contrefaçon" sur leur santé. Trois plaintes contre l’état seront déposées pour motif de « loi anticonstitutionnelle », car à l’encontre du droit à la vie des patients. Ce n’est qu’en 2012 que la Haute Cour kenyane plaide en faveur des opposants à la loi contrefaçon et exige qu’elle soit modifiée.


Une situation locale devenue enjeu international

Dans un contexte contemporain de mutations de l’industrie pharmaceutiques à l’échelle internationale, la problématique autour des médicaments illicites est devenue une préoccupation mondiale.

La politique de sécurité mise en place afin de contrer le marché de la contrefaçon est-elle faite dans l’intérêt de la santé publique, ou s’agirait-t-il d’une industrialisation des enjeux de santé pour le profit des multinationales pharmaceutiques ?

Mathieu QUET introduit le concept de « régime logistique » pharmaceutique. En contrôlant les flux de médicaments, les firmes pharmaceutiques des pays du Nord s’assurent une plus-value lors de leur commercialisation. Ce concept met en avant des enjeux découlant de cette nouvelle organisation des pouvoirs dans la société. Pouvoir des multinationales pharmaceutiques sur les gouvernements, pouvoir des pays du Nord sur les pays du Sud, pouvoir de la propriété intellectuelle sur la santé des patients et leur accès aux médicaments… Le modèle capitaliste impliqué derrière ce processus est-il à revoir ?


Le problème des médicaments contrefaits qui peut paraître « simple » en premier abord, révèle en réalité un marché mondial des médicaments complexe et en évolution, avec des acteurs en tension dont les intérêts divergent. Le débat autour des faux médicaments est aujourd’hui très présent dans la sphère médiatique. Mais au milieu de ces engrenages et jeux de pouvoirs, il ne faut pas oublier les patients.



Aymane HEDARALY (@AymaneHed), Mélanie GUILLEMONT (@hikewithmel) & Lisa BLANCHARD (@lisamarybld), Master 2 Communication et Culture Scientifique et Technique, Université Grenoble-Alpes.