Histoire de bac à sable : le message alarmant d’un grain
Publié par Virginie Girard, le 8 avril 2021 1.4k
2020. Article écrit par Ninon JORDAN, Étudiante M2BEE.
Je suis un grain de sable et vous êtes des Humains.
Je fais partie de ce que vous appelez les matières premières minérales. Ces dernières, vous les trouvez, vous les prélevez et vous les transformez pour les utiliser. Votre croissance démographique, le développement industriel que vous avez enclenché, et l’augmentation de votre niveau de vie moyen sont trois facteurs à l’origine de votre voracité qui ne cesse de s’accroître.
Les granulats, ensemble auquel j'appartiens, constituent la troisième ressource que vous utilisez le plus, après l'air et l'eau. Vous vous servez de nous dans de nombreux et divers secteurs. Cette ubiquité conduit à notre perte et votre avidité nous propulse au centre de divers enjeux.
Quels enjeux se cachent derrière un simple grain de sable ? Quels sont leurs revers ?
Moi, ma vie mon histoire
Mon diamètre est compris entre 0,06 mm et 2 ou 5 mm selon la classification. Plus fins, vous catégorisez les limons et les argiles; plus grossiers, les graviers. Comme tous les grains de sable naturel, je suis constitué de particules de roches préexistantes, libérées par altération, arrachées par l’érosion, transportées et déposées à des distances plus ou moins grandes de ma roche mère. Chacun d’entre nous est le fruit d’un processus lent qui s’étend sur des siècles, voire des millénaires suivant les conditions chimiques, physiques et biologiques des milieux. La vitesse à laquelle vous nous prélevez dépasse largement celle à laquelle nous nous formons, faisant de nous une ressource dite non renouvelable.
Mon utilité, votre commerce
Le volume d’échanges internationaux auquel on est associé s’élève à plus de 70 milliards de dollars par an. Nous sommes exportés et importés partout dans le monde. Le marché du sable concerne tous les continents. Dans votre société moderne, nous sommes partout. Dans vos vêtements, dans vos meubles, dans vos cosmétiques, dans vos aliments, dans vos technologies, dans vos champs, dans vos transports, tout autour de vous jusque dans vos murs. Nous sommes essentiels à l’un des principaux fondements de votre développement moderne: le secteur de la construction. En effet, nous sommes le constituant principal de l’asphalte, du verre et du ciment; trois éléments qui se retrouvent dans la quasi-totalité de vos constructions. Le béton armé (du béton combiné au fer) est utilisé dans deux tiers de vos bâtiments à l’échelle planétaire. Il est fabriqué avec du ciment (dont nous sommes l’ingrédient élémentaire), de l’eau, des adjuvants et des granulats (encore nous). Nous faisons partie intégrante de votre environnement. Une maison moyenne contient 200 tonnes de sable. La réalisation d’un kilomètre d’autoroute nécessite 30000 tonnes de sable. Pour obtenir une centrale nucléaire il faut multiplier ce chiffre par 400. Ces quantités dont vous avez besoin sont monstrueuses.
Moi, cosmopolite. Vous, destructeurs de l’environnement
Dans les rivières et les fleuves, vous placez des engins à dragueline ou à grappin, pour nous extraire au stade de granulats qui tapissent le fond des lits et les berges. Nous sommes indispensables à ces milieux. Nous permettons à l’eau de s'infiltrer dans le sol. En laissant des dalles de roches mères dénudées au fond des rivières, vous augmentez les risques de crue et d’inondation. Souvent, vous nous prélevez à l’amont des cours d’eau et vous construisez des barrages - faits de quoi à votre avis? - pour nous retenir avant de nous extraire. Cette méthode diminue considérablement l’apport sédimentaire aux embouchures. Les plages que vous chérissez tant sont alors privées de leur remblai naturel, causant l’accélération de leur érosion. C’est un fait: 75 à 90% des plages mondiales reculent. Mais vous ne vous arrêtez pas là.
Vous venez nous chercher jusque dans les mers et océans. A l’aide d’immenses bateaux spécialisés employant des bras articulés vous raclez les fonds marins en aspirant nos congénères. Certaines dragues peuvent extraire 400000 m3 de sable par jour. Bien sûr ce type d’extraction a des impacts notoires sur l’environnement. Durant l’aspiration, toute vie marine se trouvant dans la trajectoire de l’engin est détruite. De plus, le rejet de l'excédent d’eau entraîne la formation d’un panache turbide qui étouffe la faune et la flore marine. Pendant ces périodes de dragage, cette biodiversité locale diminue radicalement. Enfin, ce pompage de sable crée un vide que la nature comble avec le sol voisin par action combiné du vent, des vagues et de la gravité. La réquisition du milieu environnant entraîne le recul des terres, voire la disparition de plages et d’îles entières dans certains endroits du monde.
Le dernier endroit où vous nous prélevez c’est dans vos carrières. Dans ces zones, deux options se présentent à vous: nous retirer directement du sol à l’aide de pelles mécaniques, ou nous fabriquer par concassage de plus grosses roches extraites sur place. Cette source de sable étant la plus facilement accessible pour vous et la plus abordable économiquement, elle représente la majorité de l'extraction de sable. C’est par conséquent dans les carrières que nous disparaissons le plus vite, laissant des paysages détruits et fragilisés, plus enclins à s’effondrer.
Vous pourriez penser qu’une alternative à ces destructions massives serait d’utiliser nos camarades du désert, causant moins de dégât dans le milieu environnant. Mais le vent qui les roule en continu les émousse et leur confère une forme arrondie défavorable à l’agrégation des grains entre eux. Ils ne conviennent donc pas comme matière première à la construction. Ce sont les aspérités nombreuses des grains anguleux et irréguliers qui font de nous, une matière de premier choix.
Que l’on provienne de cours d’eau, de plages ou de carrières, nous faisons partie d’un système global interconnecté. Lorsque vous nous prélevez, vous retirez un maillon de cette chaîne entraînant un déséquilibre et provoquant des modifications sur l’environnement à plusieurs échelles. Alors d’où vous vient cette nécessité de ratisser les océans et les mers, de vider les rivières et de creuser les carrières comme si nous étions inépuisables ? Votre système politique vous a guidé vers une dérive d’excès, vous ouvrant les portes de la surexploitation.
Vos États bonimenteurs font de vous de dangereux pilleurs
Nous sommes le moteur de votre croissance urbaine, nous participons à l’économie de nombreuses régions et pays importateurs et exportateurs. Pour vos villes et Etats littoraux, qu’il s’agisse d’attirer les touristes ou d’étendre leurs territoires, vous voyez en nous la solution miracle : le remblayage.
Les plages qui disparaissent (évènement dont vous êtes à l’origine) sont un fléau pour beaucoup de vos villes dont le tourisme est la clef de l’économie. Alors vous nous pompez en pleine mer pour nous relarguer sur les côtes et prétendre un instant que la plage n’a jamais disparu. La réalité vous rattrape vite puisqu’il suffit de quelques mois pour que nous disparaissions à nouveau sous la surface.
Ailleurs dans le monde, des villes et pays tels que Dubaï et Singapour ont recours à la poldérisation dans une volonté avide de s’étendre. En remblayant, Dubaï a créé “The palm”, un complexe démesuré d’îles au large de la côte et Singapour a augmenté sa superficie de 20% sur les mers. Cette conquête de grande envergure est coûteuse. Elle épuise drastiquement les réserves de sable. Pour les pays grands exportateurs de sable tels que ceux de l’Asie du sud-est, ces projets sont une aubaine économique aux conséquences désastreuses. Les îles sont peu à peu rognées, leurs populations sont délocalisées et s’entassent dans vos villes où vous construisez alors de nouveaux immeubles. Ce cercle vicieux s’observe dans le monde entier.
Vous déplorez des plages qui disparaissent et un manque de place mais vos politiques ont la folie des grandeurs, s’obstinent à vouloir toujours plus, plus vite et moins cher. Cette pression commerciale conduit à l’émergence de trafics. Nous sommes illégalement prélevés sur de nombreuses plages et côtes. Nous sommes échangés par le biais de sociétés fictives. De plus en plus de scandales éclatent à notre sujet. Votre système nourrit votre voracité et cette dernière engloutit les ressources.
Nous
Je suis en danger! Vous me pillez, m’exilez. Et ce faisant, vous vous mettez dans des situations critiques. Vous avez poussé le premier domino qui vous a inexorablement entraîné vers la surexploitation. Vous êtes l’origine d’un engrenage puissant de consommation dont je suis une des victimes. Malgré les conséquences réelles de l’extraction qui défilent sous vos yeux, vous ne voulez pas voir la vérité en face. A l’heure actuelle notre importance dans le paysage n’est toujours pas entendue. Vos dirigeants ferment les yeux sur cette exploitation pourtant aux conséquences dévastatrices tant environnementales et politiques que sociales. A croire que la Terre vous appartient. Sommes-nous là pour satisfaire vos besoins? Êtes-vous en droit de puiser indéfiniment les ressources de la nature ? Cette relation unidirectionnelle qui nous lie n’est pas durable.
Et pourtant j’ai espoir ! Grâce à certains d’entre vous, des alternatives se dressent peu à peu pour permettre le maintien de votre marché de la construction tout en limitant vos impacts sur l’environnement… vos carrières recyclent les granulats, vos ingénieurs fabriquent des bétons “verts”...
...rien n’est perdu, il suffit de veiller au grain !
Références
- Josset Christophe, “La ruée vers le sable”, L’express, avril 2018, [consulté le 5 Novembre] : https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/ruee-vers-le-sable_2002283.html
- Livre blanc de l’UNICEM « Carrières et granulats à l’horizon 2030 », UNPG, octobre 2016 [consulté le 10 novembre]
- Lestrac Denis, “Le sable : enquête sur une disparition”, ARTE documentaires, 2013.
- Lacroux Margaux, “En dépit des apparences, le sable est une ressource rare”, Libération, août 2017, [consulté le 10 Novembre]: https://www.liberation.fr/futurs/2017/08/11/en-depit-des-apparences-le-sable-est-une-ressource-rare_1589263
- Max Vincent, “Le sable en Asie du sud-est: environnement contre géopolitique”, Asyalist, décembre 2016, [consulté le 5 novembre] :https://asialyst.com/fr/2016/12/21/sable-asie-sud-est-environnement-contre-geopolitique/
- Rouat Sylvie, “Les marchands de sable s’attaquent au littoral”, Sciences et Avenir, septembre 2016, [consulté le 5 novembre]:https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/les-marchands-de-sable-s-attaquent-au-littoral_104906
- Weiler Nolwenn, “ L’exploitation industrielle du sable, une nouvelle menace pour le littoral français ?”, Observatoire des multinationales écologiques sociales et politique, avril 2016, [consulté le 10 Novembre] :https://multinationales.org/L-exploitation-industrielle-du-sable-une-nouvelle-menace-pour-le-littoral
- Zaugg Julie, “La guerre du sable”, Amnesty international, décembre 2018, [consulté le 5 novembre]: https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2018-4/la-guerre-du-sable.