Guillaume Millet, ultra-traileur et physiologiste
Publié par Marion Sabourdy, le 3 décembre 2012 14k
Que se passe-t-il dans la tête et les jambes des traileurs ? Réponse avec Guillaume Millet, professeur de physiologie de l’exercice et sportif accompli.
Au milieu des blouses blanches de l’Hôpital sud, impossible de louper Guillaume Millet, vêtu d’une tenue de sport. Professeur de physiologie de l’exercice à l’Université de Saint-Etienne, il est détaché depuis quelques temps à Grenoble, dans le laboratoire HP2 (hypoxie physiopathologie) de l’Inserm où sont étudiés les conséquences de la fatigue et du manque d’oxygène, notamment durant l’effort et en altitude.
Il est auteur d’environ 90 publications scientifiques et de quatre ouvrages, dont le dernier paru en avril : « Ultra-trail : plaisir, performance et santé ». En parallèle de ses activités de recherche et de vulgarisation, il est également un sportif accompli dans les sports d’endurance, notamment en ultra-trail (course en montagne de plus de 50 km) (1).
Sur quels sujets travaillez-vous ?
Je m’intéresse depuis 10 ans aux conséquences physiologiques de l’effort prolongé, dans les sports d’endurance et extrêmes. Lors de l’exercice, le cerveau et les muscles communiquent parfaitement : le cerveau contrôle le muscle et celui-ci lui envoie des informations pour l’inhiber. Nous nous sommes rendus compte que c’est le système nerveux qui est déficient lors d’efforts aussi longs ; bien plus que les muscles. Par exemple, les quadriceps [ndlr : muscles des cuisses] peuvent perdre environ 40% de leur puissance dont les 2/3 sont liés à une baisse de la capacité du système nerveux à les activer. Comme si l’organisme « se préservait » (2). Heureusement, l’athlète récupère très rapidement ses capacités [ndlr : pour en savoir plus, voir la vidéo ci-dessous sur une conférence donnée par G. Millet le 21 juin dernier].
Quelles sont les différences entre hommes et femmes ? (3)
Des scientifiques ont étudié des hommes et des femmes qui ont les mêmes performances au marathon. Si on les fait courir sur des distances plus courtes, l’écart de niveau augmente. En revanche, dans le cas de l’effort extrême, la différence physique entre hommes et femmes tend à disparaître. Dans certaines courses les femmes arrivent même à gagner au scratch [ndlr : classement global, âges et sexes confondus]. C’est le cas de Corinne Fabre qui a gagné la première CCC [ndlr : ultra-trail de 100 km entre Courmayeur, Champex et Chamonix qui a lieu en parallèle de l’UTMB]. Les femmes sont mieux adaptés aux efforts longs que les hommes, car leur apport énergétique est mieux distribué. En clair, elles utilisent mieux les sucres et les graisses qu’elles ingèrent. Mais comme peu de femmes participent à des ultra-trails (seulement 8% pour l’UTMB, soit 15 candidates cette année), on les retrouve peu en haut des classements.
Comment menez-vous vos recherches ? A quoi servent-elles ?
Nous menons nos recherches grâce à des sportifs amateurs ou professionnels qui acceptent de passer des tests, par exemple de surstimulation électrique des muscles, avant ou après une course [ndlr : Guillaume et ses collègues cherchent d’ailleurs régulièrement des bénévoles]. Ces études sur sujets sains, nous permettent notamment de tester et d’adapter des protocoles d’évaluations que nous mettons ensuite à disposition des médecins.
Avez-vous un exemple ?
Oui, celui de l’évaluation de la fatigue. Elle ne touche pas uniquement les sportifs, mais aussi les malades, par exemple les patients atteints de privation de sommeil ou ceux qui souffrent de myopathie. La fatigue fait baisser la capacité à réfléchir et augmente la sensation de l’effort. Nous nous demandons si l’entrainement physique permettrait aux patients d’améliorer leur qualité de vie. Pour cela, il faut leur proposer un test plus précis que juste les faire pédaler le plus longtemps possible, tout en étant peu contraignant. Le thème de la fatigue intéresse aussi grandement le Ministère de la Défense.
Vos travaux peuvent-ils concerner d’autres personnes que vos patients ou des sportifs de haut niveau ?
Oui, cela m’intéresse de participer à l’effort entamé par certains médecins et chercheurs pour convaincre du bienfondé de l’exercice physique pour la santé publique. Il manque encore un relai entre les chercheurs et le grand public concernant ce sujet. La promotion de l’exercice et du sommeil contribuerait grandement à faire baisser le trou de la sécurité sociale.
>> Notes :
- Le palmarès de Guillaume comprend entre autres 3 places dans les 6 premiers à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, 3ème du Tor des Géants et double vainqueur du Grand Raid Dentelles-Ventoux
- Guillaume Millet a développé le « flush model » ou « modèle de la chasse d’eau », où il assimile la perception de l’effort au niveau d’eau dans une chasse d’eau. Plus l’effort augmente (plus l’eau arrive), plus le coureur se sent fatigué (plus la cuve se remplit). Au bout d’un moment, le coureur se sent trop fatigué pour courir et arrête (le remplissage de la cuve s’arrête grâce au flotteur, qui représente notre cerveau). Mais il existe une réserve de sécurité sur laquelle on peut jouer pour courir encore un petit peu, par exemple pour le sprint final (il existe une petite réserve en haut de la cuve). Les ultra-marathoniens ne courent pas très vite car ils anticipent les efforts des longues heures de course. Ils gèrent pour ne pas arriver trop vite au niveau de « remplissage maximum de la cuve »
- Lors de la soirée « Trails : courir vers les sommets » organisée dans le cadre du festival « Fontaine en montagne », la médecin et traileuse Karine Herry est revenue sur les notions de gestion de l’effort, du sommeil, de la nutrition, notamment pour les femmes de plus de 40 ans
>> Pour aller plus loin : lire l’article « L'Ultra-Trail, laboratoire physiologique » publié le 30 août sur le site du Monde
>> Illustrations : Tenisca (Flickr, licence cc), Yoann Obrenovitch (DR) > 1 et 2