Gaston Barbu, l’homme qui murmurait à l’oreille des Gypaètes.

Publié par Charly Janot, le 8 décembre 2021   1.4k

Photo © Ondrejprosicky Fotolia (source)

2021. Article de SF écrit par Charly JANOT, Étudiant M2BEE.

Dans un monde ou la nature est tellement protégée que personne n’a le droit d’y mettre les pieds, Gaston barbu est l’une des rares personnes ayant encore la chance de pouvoir s’y balader. Il sait parler aux animaux et pour transmettre sa passion aux plus jeunes il décide d’écrire un livre avec l’aide du plus vieux Gypaètes barbu du Vercors : « Comment la réintroduction du Gypaète barbu a sauvé l’espèce dans les alpes ».

Le réveil sonne, il est 7h35 et la lumière rouge affiche « 14 juin 2072 », Gaston Barbu se lève difficilement. Ses doigts, ses bras et son dos sont engourdis de sa semaine de travail. Cela fait maintenant 22 ans qu’il est garde falaise et qu’il arpente les massifs de la Chartreuse, du Vercors et de Belledonne. Ce sont ses passions pour l’escalade et la conservation de l’environnement qui l’ont amené à faire ce métier. Chaque jour il part grimper sur les falaises environnant Grenoble pour protéger et maintenir les écosystèmes qui s’y développent. A force de côtoyer les différentes espèces de ces milieux verticaux Gaston a élaboré un langage commun avec chaque espèce. Au détour d’un dévers, d’un toit ou d’une dalle bien lisse les discussions avec les tichodromes échelette, l’aigle royale, les lézards des murailles, le faucon pèlerin ou avec le gypaète barbu sont monnaie courante. Ils sont quelques rares personnes dans le monde à pouvoir converser avec la faune car depuis leur plus jeune âge ces hommes et femmes sont à son contact. C’est après des années de recherche que les scientifiques ont découvert comment parler aux animaux par ce contact rapproché, couplé à l’utilisation et au développement d’un sixième sens présent en chacun nous qui avait été refoulé lors de l’industrialisation.

Le véritable nom de Gaston n’est pas Barbu. Si les personnes qui le connaissent l’appellent comme ça c’est parce qu’il a réussi à lier d’étroit liens avec les gypaètes barbus, notamment depuis leur réintroduction dans le Vercors en 2010 [3].

Aujourd’hui Gaston ne travaille pas et il décide après des mois d’hésitation, d’aller interroger le plus vieux gypaète du Vercors. Il veut écrire un livre holographique sur l’histoire de cette espèce et sa réintroduction qui lui a permis de survivre aux nombreux aléas climatiques passés et à l’homme. Il espère montrer aux jeunes la nature, eux qui sont privés de cette dernière depuis 2056 quand elle a été mise sous protection maximale pour la préserver. Une décision radicale qui fût prise par tous les dirigeants du monde afin d’enrayer la perte de la biodiversité qui était sur le point de devenir irréversible.

Son sac rempli de cordage Gaston se met en route vers les falaises du pas de l’aiguille. Il retrouve assez facilement le nid du vieux gypaète qui accepte sa requête.

« Notre population se portait bien avant le 19ième siècle, avant que les hommes nous considèrent comme tueurs de leurs troupeaux alors que nous nous nourrissons exclusivement d’animaux morts. Pour extraire jusqu’à la dernière goutte de nourriture, les os des carcasses sont lâchés en plein vol pour pouvoir atteindre la moelle osseuse. Et lorsque l’on plane, ailes déployées notre envergure peut dépasser 2m60 ce qui n’est pas sans impressionner ces petits hommes. Alors, les humains après avoir exterminé les gypaètes de l’arc alpin décidèrent en 1972 de lancer un programme de réintroduction. » [1, 2, 8]

Intrigué Gaston lui demanda comment cela fût possible.

« Après de nombreuses tentatives ratées due au braconnage, des maladies ou des disparitions, la vallée du Reposoir en Haute-Savoie fût choisie comme lieu de réintroduction. Mon grand-père Melchior relâché en 1988 forma un couple avec Assignat et ils donnèrent naissance à mon père en 1997, le premier gypaète né dans les alpes depuis plus d’un siècle. La réintroduction continua, de nouveaux sites furent ajoutés au programme dans le Mercantour ou dans le Vercors. » [2]

Après avoir gribouillé quelques schémas Gaston n’était pas rassasié. Il questionna le vieux gypaète sur la difficulté de la réintroduction et les problèmes qui viennent avec.

« C’est vrai, les réintroductions présentent de nombreux enjeux. Il est d’abord important de savoir où elle va avoir lieu. Une étude de l’écologie de l’espèce est très importante. Si tes ancêtres avait réintroduit mon grand-père en Bretagne cela n’aurait pas pu fonctionner. Nous avons besoin de falaises pour faire notre nid ainsi que de milieux ouverts en altitude pour pouvoir repérer les carcasses. [4]

Quand le lieu a été choisi il faut ensuite choisir d’où viennent les individus réintroduits. Dans de nombreux cas les individus sont capturés dans des populations source d’autres pays où ils sont plus nombreux. Cela pose plusieurs problèmes. Premièrement, la capture d’individus peut déstabiliser la population source. Imagine que l’on t’enlève tes parents lorsque tu es jeune tu ne pourrais pas survivre par toi-même. Si tous les mâles ou toutes les femelles de la population sont capturés alors cette dernière est vouée à s’éteindre et il n’est pas intéressant de tuer une population pour en créer une autre ailleurs.

Ensuite imagine que tu vives à Grenoble et que je te capture pour t’emmener au Népal là où tu n’as plus aucun repère. Un changement radical de lieu de vie peut être très déstabilisant et conduire à un échec de réintroduction.

Par la suite, il a été décidé que les gypaètes réintroduits proviendraient d’élevages pour limiter les problèmes cités plus haut. Les jeunes relâchés peuvent alors grandir dans leur lieu de vie et les populations source sont moins impactées. Néanmoins, la captivité peut induire des comportements non naturels et les humains doivent donc limiter leur impact sur les individus. [7]

Les individus sont alors prêts à être relâchés. Cependant, il faut connaître la taille minimale d’une population pour que celle-ci se porte bien. Dans notre cas et dans le cas de beaucoup d’espèces il est nécessaire d’avoir plusieurs couples ayant des origines génétiques différentes. C’est-à-dire que les oiseaux réintroduits ne doivent pas venir du même endroit. Si c’est le cas, lorsque les individus sont génétiquement proches alors ils pourraient être plus susceptibles aux différentes pathologies ce qui met en danger la nouvelle population. Une génétique plus variée à plus de chance de présenter des parties résistantes à plus de maladies. » [7, 9]

Le vieux grimpeur fût étonné, lui qui pensait que la réintroduction était une affaire simple à mener. Il s’interrogea alors sur les moyens de mesurer le succès d’une réintroduction. Comment est-ce que les hommes avaient su que les gypaètes se portaient bien ?

« Après avoir utilisé des méthodes peut efficaces comme la télémétrie avec des émetteurs radios fixés sur les gypaètes les hommes ont opté pour des balises GPS. Ces dernières sont fixées sur nos pattes pour ne pas gêner notre vol. Elles émettent des signaux qui sont captés par les hommes et qui leur permettent de connaître nos déplacements. Associé à cette technique il est aussi possible de compter les individus d’une population et de mesurer leur taux de reproduction pour être sûr que la population est viable. Des analyses génétiques faites sur les plumes tombées au sol sont également réalisées. Pour être sûr que nos populations sont pérennes il faut réaliser les suivis sur des pas de temps assez long. [5, 6]

Si tu veux mon avis une réintroduction bien menée est un outil très puissant pour sauver une espèce. Elle a également été très utile pour nos compères les bouquetins dans les alpes et de nombreuses autres espèces. Maintenant si tu le veux bien mon cher ami je vais m’en aller casser la croûte. »

Gaston remercia chaudement le vieux gypaète. Il avait désormais toute la matière nécessaire pour écrire son histoire. Il fixa la corde à un arbre et descendit en rappel le long de la paroi. Il s’empressa de rentrer chez lui pour pouvoir diffuser son livre holographique au plus vite dans la mégalopole Grenobloise.

Bibliographie

  1. Biollaz, François, Bertrand Posse, Serge Denis, Bertrand Gabbud, Norbert Jordan, Stéphane Mettaz, Bernard Michellod, et Raphaël Arlettaz. « PREMIÈRES REPRODUCTIONS DU GYPAÈTE BARBU GYPAETUS BARBATUS EN VALAIS DEPUIS SON EXTERMINATION À LA FIN DU XIXe SIÈCLE », s. d., 11.
  2. Coton, Christophe. « LA RÉINTRODUCTION DU GYPAÈTE BARBU DANS LES ALPES », s. d., 15.
  3. « DP_Gypaètes barbus2021.pdf ». Consulté le 25 novembre 2021. https://www.parc-du-vercors.fr/sites/default/files/actualites/Accueil%20Biodiversit%C3%A9/DP_Gypae%CC%80tes%20barbus2021.pdf.
  4. Ewen, John G., et Doug P. Armstrong. « Strategic monitoring of reintroductions in ecological restoration programmes ». Écoscience 14, no 4 (1 décembre 2007): 401‑9. https://doi.org/10.2980/1195-6860(2007)14[401:SMORIE]2.0.CO;2.
  5. « GYPAETE BARBU ». Consulté le 25 novembre 2021. https://gypaete-barbu.com/3/observez-et-protegez-le-gypaete/12/vos-observations/26/les-differents-types-de-suivi.html.
  6. « Les sites - Gypaète Grands Causses - LPO Rapaces ». Consulté le 25 novembre 2021. http://rapaces.lpo.fr/gypaete-grands-causses/le-suivi-des-oiseaux.
  7. Negro, Juan José, et Marı́a José Torres. « Genetic Variability and Differentiation of Two Bearded Vulture Gypaetus Barbatus Populations and Implications for Reintroduction Projects ». Biological Conservation 87, no 2 (1 février 1999): 249‑54. https://doi.org/10.1016/S0006-3207(98)00056-1.
  8. Rouillon, Antoine. « Gypaète barbu : un programme européen pour une espèce disparue des Alpes ». Revue de Géographie Alpine 90, no 2 (2002): 127‑35. https://doi.org/10.3406/rga.2002.3086.
  9. Sarrazin, Frangois, et Robert Barbault. « Reintroduction: Challenges and Lessons for Basic Ecology ». Trends in Ecology & Evolution 11, no 11 (1 novembre 1996): 474‑78. https://doi.org/10.1016/0169-5347(96)20092-8.