Fondation Grenoble-INP : mécénat scientifique & relations humaines
Publié par Marion Sabourdy, le 3 mars 2014 6.6k
Rencontre avec Valérie Bonnardel, directrice de la Fondation Partenariale Grenoble-INP. L’occasion d’évoquer le rôle d’une telle fondation et notamment son engagement auprès des femmes.
Quel est votre parcours ?
J’ai une formation d’ingénieur à l’Ecole centrale de Marseille et un doctorat de chimie analytique. Avant d’arriver à Grenoble, j’ai toujours travaillé dans le monde industriel et j’ai fait la moitié de ma carrière à l’étranger. J’ai eu un parcours très divers dans plusieurs entreprises de cultures très différentes, de la fonction marketing à la R&D en passant par la direction de laboratoires de recherche. Je suis rentrée en France en 2003 et j’ai notamment travaillé neuf ans au sein du département R&D de l’Oréal, dans des postes liés à l’innovation. Depuis deux ans, je dirige la Fondation partenariale Grenoble-INP et je m’attelle à sa mission principale : faire connaître l’excellence française en-dehors de nos frontières.
Quels sont les activités de la Fondation ?
La Fondation est une entreprise à but non lucratif créée en 2010. Comme ses homologues, elle est adossée à un établissement d’enseignement supérieur et de recherche – Grenoble INP - pour renforcer les liens avec l’extérieur, notamment les entreprises, et mettre en valeur l’écosystème grenoblois. Ses premières actions ont été de mettre en place des bourses, pour attirer les meilleurs étudiants étrangers, soutenir des jeunes qui ont subi un accident de la vie et risquent d’abandonner les études, inscrire en prépas intégrées certains étudiants qui vivent loin de leur famille et ne bénéficient pas de bourses de l’Education nationale. Nous avons également créé cinq chaires de recherche et débuté des partenariats avec des associations [ndlr : voir les actions réalisées].
De gauche à droite : Frédéric Dufour enseignant-chercheur Grenoble INP et titulaire de la Chaire PERENITI, Jérôme Mars enseignant-chercheur et responsable scientifique Chaire CHORUS, Cédric Gervaise co-titulaire Chaire CHORUS, Florent Cadoux titulaire de la Chaire SMARTGRIDS
Nous travaillons actuellement autour de l’insertion du handicap et de la féminisation des métiers d’ingénieur [ndlr : voir les actions en cours]. L’établissement doit perdurer et être autonome mais surtout répondre aux besoins des industriels en termes de recherche, de recrutement et de visibilité internationale. En-dehors de nos frontières, la qualité et l’excellence de la recherche française n’est pas encore une évidence pour tout le monde…
Qui sont les mécènes de votre Fondation ?
Dès la création de la Fondation, les industriels du secteur grenoblois ont eu une forte volonté d’entrer dans l’aventure. Nous comptons parmi nos mécènes : EDF, Schneider Electric, STmicroelectronics et le syndicat professionnel Udimec (branche de l’UIMM). Grâce à eux, nous avons pu obtenir une des plus importantes mises de fonds initiales (3,5 millions d’euros pour 5 ans) qui nous a permis de bien démarrer.
Aux tous débuts de la Fondation, le budget dédié aux actions était de 45 000 euros par an. Ces deux dernières années, nous avons levé 3,2 millions d’euros et le budget d’actions 2014 atteindra 1 million d’euros. Nos mécènes sont convaincus par l’objet et la mission de la Fondation mais nous ne sommes pas dans une époque florissante. Les entreprises ont tendance à se concentrer sur des choses concrètes, à court terme, alors que nos missions visent plutôt le moyen, voire le long terme.
Les Grands fondateurs, de gauche à droite : Thierry URING (UDIMEC), Nicolas LETERRIER (Schneider Electric et Président de la Fondation), Patrick DUREAULT (ST Microelectronics), Catherine DESTIVELLE (elle n'est pas parmi les fondateurs mais a été le Grand Témoin de la soirée annuelle de la Fondation en 2013), Valérie BONNARDEL (Directrice de la Fondation), Brigitte Plateau (Administrateur Général de Grenoble INP), Gilles FEUILLADE (EDF-DTG), Jean-Claude SABONNADIERE (représentant de Grenoble INP ALUMNI)
Plus généralement, en France, on est très en retard sur le principe même du mécénat. Les américains savent le faire bien mieux que nous, et ce n’est pas qu’une histoire d’exonération fiscale. Plutôt un don à la société. Les Français font en majorité des dons pour la santé (ex : lutte contre le cancer) ou le social (ex : Restos du cœur), quand ils se sentent directement touchés. Quant aux entreprises françaises, elles en restent surtout au mécénat d’image, dans la culture ou le sport. On a encore du chemin à faire dans le mécénat scientifique et d’innovation. C’est aux fondations d’impulser cela !
Quelles sont les actions de la Fondation en faveur des femmes ?
En 2013, nous avons décerné deux « Prix de la féminisation des filières », qui ont été remis lors de la journée « Femme ingénieure ». L’un pour le projet de trois étudiantes en génie industriel et le deuxième pour celui d’un personnel de Grenoble INP, Fanny Poinsotte, visant à promouvoir les métiers de l’ingénieur auprès des filles [ndlr : lire aussi l’article sur les classes nanosciences]. Ces prix récompensent des projets de diffusion de la culture de l’ingénieur au féminin, de l’intégration des filles dans les prépas ou encore des recherches destinées à améliorer la condition des femmes au quotidien.
Un concours de dessins pour imaginer un personnage de femme ingénieure a été organisé de juillet à octobre 2013. Cette égérie graphique sera utilisée pour communiquer sur ces sujets de manière ludique, notamment en collège, via un film mis à disposition des conseillers d’orientation et des directeurs d’établissement. Nous avons reçu 21 dessins de 8 artistes, dont plus de la moitié… sont des garçons ! Les trois lauréats n’ont pas le même âge et ne sont pas dans la même école mais leurs dessins ont énormément de points communs. Cela prouve que la femme scientifique existe dans l’imaginaire collectif. Le problème est qu’on ne la voit pas. C’est là-dessus qu’il faut travailler, en mettant en avant des femmes qui ont réussi dans ce domaine.
Fin 2013, nous avons également soutenu la journée « Filles et maths : une équation lumineuse » [ndlr : lire le compte-rendu de l’événement par l’association Animath]. Cette année, nous nous associons au lycée Marie Reynoard qui organise un voyage de 4 jours au CERN au mois d’avril pour ses terminales, dans le cadre de l’opération « 100 parrains 100 classes ». Cette initiative est portée par des femmes professeurs de physique et de philosophie, accompagnées par des professeurs de l’UJF.
Combien de jeunes femmes étudient à Grenoble INP ?
Selon Mireille Jacomino (Vice-Présidente du Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire de Grenoble INP) parmi le groupe, l’école qui s’en sort le mieux est Pagora avec environ 40% de filles parmi ses étudiants. Viennent ensuite GI, ENSE3 et Phelma avec environ 25 à 30% puis Ensimag, autour de 18%. Esisar met en œuvre de nombreuses actions pour remonter son taux de filles qui reste encore faible avec 9%. Ces chiffres sont incohérents avec le nombre de filles en filières scientifiques au lycée et dans les classes préparatoires. Où sont-elles passées ? Majoritairement dans les filières bio et véto.
Six chercheuses de Grenoble INP ont participé à l’exposition : "Infinités plurielles : 140 femmes vous parlent de science comme vous en avez toujours rêvé" : Régiane Fortes Patella, Christiane Kamdem, Nadine Mandran, Lourdes Martinez, Brigitte Plateau & Céline Ternon
Selon vous, à quoi cela est-il dû ?
Cette situation tient beaucoup à la prescription, qui n’est pas adaptée. Les parents recommandent ce qu’ils connaissent ou ce qu’ils pensent être le mieux pour leurs filles... Certains se disent qu’une fille est forcément plus à l’aise dans les sciences de la vie. C’est un stéréotype qu’il faut casser. La voie la plus intéressante est celle qui convient au jeune. Encore faut-il avoir le plus d’informations possibles et les conseillers d’orientation ne les détiennent pas forcément.
J’ai récemment discuté avec Eric Lépine, le PDG de Caterpillar, une entreprise basée à Grenoble, qui n’est pas parmi celles qu’on suggère spontanément aux filles. Lui-même père, il est très s nsibilisé à cette thématique et estime que les femmes ingénieures devraient parler aux filles le plus tôt possible pour leur montrer que ce monde leur est accessible [ndlr : lire l'entretien avec M. Lépine sur le site de la Fondation].
Avez-vous eu l’occasion de le faire, dans votre carrière ?
J’ai beaucoup participé à ce type de rencontres quand je travaillais à l’Oréal. Moi-même mère de trois enfants, une des questions qui me revenaient souvent était : « comment faites-vous ? ». C’est possible d’avoir une vie professionnelle et personnelle épanouie mais on ne doit pas attendre le moment idéal parce qu’il n’existe tout simplement pas. Le seul bon moment pour avoir un enfant, c’est quand on le veut ! Ce n’est pas incompatible, mais ce n’est pas facile non plus car le plafond de verre est bien là. Il faut se bagarrer et replacer la personne et ses choix au centre de la problématique. Homme ou Femme n’est pas la question ; ce sont les qualités personnelles et les compétences qui importent.
Est-ce plus simple pour une femme de travailler à l’étranger ?
Dans les pays où j’ai pu travailler : Oui ! J’ai notamment travaillé dans les pays scandinaves, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande où le genre n’a pas d’importance. Aux Etats-Unis, c’est la performance qui compte. Aux Pays-Bas, les jeunes pères s’absentent à la naissance de leur enfant et c’est totalement normal, ça ne les empêche pas de progresser dans leur carrière. En Suisse alémanique, quand une femme quitte son travail pour élever ses enfants, son retour à la vie active, même plusieurs années après, ne pose pas de problème. Au contraire, ses nouvelles compétences de maman sont très valorisées. En France, j’ai géré des équipes où les jeunes femmes osaient à peine me prévenir qu’elles étaient enceintes ! Pourtant, on peut s’organiser ! Les cadres et les lois doivent permettre l’épanouissement de tous et non nous contraindre. D’une manière générale, à la Fondation comme dans mon activité de consultante auprès des organisations de R&D, je souhaite mettre l’humain au centre. Il n’y a pas de bonne « procédure ». Il faut s’adapter à chacun, discuter, comprendre les besoins.
>> Illustrations : Grenoble INP, Agence TOMA, Fondation partenariale Grenoble-INP