Faut-il sauvegarder les objets scientifiques ?
Publié par Gérard Chouteau, le 7 mai 2012 3k
Connaître le passé pour mieux construire l'avenir. Telle devrait être la ligne de conduite de toute démarche patrimoniale.
Que représente l'objet de la photographie ci-dessous et pourquoi est-il intéressant de le conserver et de le mettre en valeur ? Il est le témoin d'une magnifique aventure scientifique, technique et industrielle, comme il s'en est produit beaucoup, à Grenoble, dans les cinquante dernières années. Aujourd'hui, cette aventure se perpétue à travers des recherches foisonnantes.
Il s'agit du premier liquéfacteur d'hélium français, construit à la demande de Louis Néel entre 1948 et 1952, à Grenoble, au Centre de Recherche sur les Très Basses Températures du CNRS, dirigé par Louis Weil. Il fallait répondre à des besoins de recherche fondamentale dans le domaine du magnétisme aux très basses températures (- 269 °C) que seul un appareil de ce type pouvait satisfaire.
Le premier liquéfacteur d'hélium au monde avait été construit par Heike Kamerlingh Onnes à Leyde aux Pays-Bas en 1908, réalisation qui devait le conduire à la découverte de la supraconductivité en 1911. Entre 1908 et 1950, la science a connu un développement considérable. Elle est passée du stade artisanal du 19ème siècle au stade industriel pour devenir une composante majeure et déterminante des sociétés développées. Parallèlement ce mouvement s'est accompagné d'une élévation massive et nécessaire du niveau d'éducation de la population, passée du certificat d'études primaires au niveau bac+2 en moins de quatre générations.
C'est de cette révolution dont témoigne ce liquéfacteur. Construit dans un laboratoire de recherche fondamentale, il a été à l'origine d'une entreprise industrielle, aujourd'hui un des leaders mondiaux du domaine, par un mouvement permanent et réussi de transferts de connaissance entre recherche fondamentale et recherche appliquée, chacune fécondant l'autre.
On pourrait raconter la même histoire avec beaucoup d'instruments scientifiques, qui par leur évolution technique, leur perfectionnement, leur sophistication continue, se sont éloignés progressivement de l'objet artisanal pour devenir des objets industriels de grande série, accessibles sur catalogue, évolution qui a contribué à bouleverser la démarche de recherche elle-même, le chercheur devenant de plus en plus utilisateur de dispositifs « clé en main », dont il ne maîtrise plus la conception.
On le voit la sauvegarde ne consiste pas simplement à inventorier les objets ou à les classer. Son objet est à la fois plus riche et plus vaste. Il s'agit avant tout de replacer ces objets dans leur contexte historique, économique, social et scientifique, à travers une démarche pluridisciplinaire, associant scientifiques, témoins, sociologues philosophes et historiens des sciences. Ambitieux et passionnant projet.
Ce travail de fond est accompli en France, à la demande du Ministère de la Recherche par le Musée des Arts et Métiers qui dispose d'un réseau dense de structures, dont l'association Aconit à Grenoble, réparti dans la plupart des régions.
Il est heureux que les institutions universitaires, les laboratoires et les instituts de recherche aient pris progressivement conscience de l'importance et de la nécessité de la démarche patrimoniale pour considérer qu'elle est partie intégrante de leurs missions.
>> Illustrations : Kotomicreations (Flickr, licence cc) et Aconit