EXPERIMENTA 2022, Le Salon - Mouvoir et s'émouvoir par le vivant
Publié par Emmy Vanotti, le 2 décembre 2022 650
La biennale Experimenta 2022 a cette année choisi de mêler Art et Science pour proposer des œuvres singulières et impactantes. Parmi les installations présentées au Salon, deux m’ont particulièrement marquées.
730 hours of violence - La forme des maux
Si il y a bien une œuvre qui a été percutante au sens propre comme au sens figuré, c’est 730 hours of violence, réalisée par le collectif Domestic Data Streamers. Dans cette série d’installations, on devient spectateur de nouvelles formes de violence et on ne peut s’empêcher de se demander : sommes-nous toujours conscients des formes sous laquelle celle-ci nous apparaît ?
Online hate speech and cyber bullying
La violence a malheureusement toujours fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité. Si pendant longtemps, elle était associée à quelque chose de physique et de bien ancré dans le réel, depuis peu on peut l’observer sous de nouvelles formes. À l’apogée de l’ère du numérique, elle s’est transformée pour devenir toujours plus redoutable et omniprésente. Par de simples mots elle impacte, déchire et divise.
C’est par une installation simple et saisissante que Online hate speech and cyber bullying rend compte de ces horreurs virtuelles. Sur un mur se trouve trois marteaux associés à trois types d’insultes fréquemment trouvées sur les réseaux sociaux. Avec une régularité déconcertante, ces marteaux frappent le mur, chaque coup représentant l’utilisation d’une de ces injures. Je suis restée longtemps devant cette installation, dans cette ambiance pesante et lourde de sens.
Le fait est que rester devant cette œuvre, c’est se rendre compte avec stupeur de la fréquence des coups, c’est comprendre avec quelle facilité certains termes sont utilisés. Finalement, c’est réaliser à quel point la violence est devenue banale. Car derrière un écran on devient n’importe qui et on peut dire n’importe quoi.
Data violence
Cette violence numérique, on ne la trouve pas simplement écrite. Elle peut également exister au travers des algorithmes par exemple. Souvent considérés comme de formidables outils pour la prise de décision, ils font partie intégrante de notre monde qu’ils façonnent et impactent de manière discrète mais profonde.
Souvent pensés et créés avec d’honorables intentions, leur objectif premier est de remplacer les jugements subjectifs par des mesures objectives. Le but étant de faciliter la réalisation de tâches et la prise de décision. En réalité, c’est plus complexe que cela car les algorithmes ne seraient qu’une manière de refléter les choix subconscients de leur concepteur humain. Et c’est précisément ce qui leur est reproché dans l’installation Data violence.
Ici pas de bon sens, seulement des statistiques ! On fait face à une forme inédite de violence qui se manifeste car les choix intégrés par les algorithmes sont construits sur des préjugés et des hypothèses préétablies. L’idée est simple : lorsque l’on s’approche de cette installation, les nombreuses caméras reliées à une intelligence artificielle (IA) vont faire une “lecture” de nos caractéristiques physiques. L'IA va ensuite nous attribuer une étiquette avec un certain pourcentage de chance de faire ou d’être quelque chose, qui va s’afficher à l’écran.
Aucune information supplémentaire n’est ajoutée car il n’est pas d’usage de comprendre par quel cheminement passe l’algorithme pour nous catégoriser. On ne voit que le produit final, l’étiquette, la catégorie.
Ce qui est important de souligner ici, c’est que ces étiquettes déterminent la façon dont le monde nous voit et dans lequel nous sommes contraints de vivre. Les artistes appellent donc à une réflexion et une mise en perspective de ces outils, en priant les spectateurs de ne pas aveuglément se fier aux données qu’ils présentent.
Hostile architecture
D’une manière plus subtile mais tout aussi impactante, le dernier dispositif présenté par le groupe à Experimenta, Hostile architecture veut mettre en lumière des mécanismes invisibles qui s'ajoutent au paysage urbain.
Cinq chaises inutilisables, dont l’architecture est directement inspirée de mobiliers trouvés dans les rues de Barcelone sont disposées, prêtes à l’emploi. Or en testant ce mobilier, on se rend vite compte que tout a été pensé pour rendre leur utilisation désagréable et contraignante.
En utilisant les éléments de l’environnement, on tend ici à restreindre le comportement ou l’utilisation de certains espaces, au détriment des personnes qui utilisent ou dépendent plus fortement de l’espace public, comme les sans-abris. Véritable aberration humaine et sociale, cette pratique est donc pointée du doigt de manière fine et intelligente.
Pour en savoir + sur cette œuvre : https://730hours.com/
Destin - De la poésie dans la noirceur
Dans un autre registre, le spectacle Destin a su jouer avec les émotions pour proposer une expérience aussi troublante que fascinante. Basé sur une suite graphique de 198 gravures sur plomb publiée par Otto Nückel en 1926, Christoph Guillermet y raconte à sa manière la vie dramatique et semée d’embûches d’une jeune Allemande.
Grâce à un système de capteurs, les clichés prennent vie sous la main habile de l’artiste et des spectateurs qui sont conviés sur scène. L'œuvre originale est ainsi complètement transformée, s’animant au rythme de la musique. Sans un mot, on voyage au travers un récit immersif, unique et poignant.
La particularité de ce spectacle, c’est qu’il repose aussi bien sur ce qui est projeté à l’écran que sur ce qui se passe sur scène. C’est donc tout en élégance que l’on assiste à ces tranches de vie parfois sombres, chorégraphiées par l’artiste.
Grâce à l’émotion, aux gestes et au rythme imposé par le public, chaque spectacle devient unique. Alliant technologie et force narrative, Destin nous plonge donc dans un univers singulier rempli de poésie.
Pour en savoir + sur cette œuvre : https://1-0-1.fr/destin/
Article écrit par Emmy Vanotti dans le cadre du projet EXPERIMENTA 2022 du Master de Communication et Culture Scientifique et Technique.
Pour découvrir les œuvres en image : https://www.youtube.com/watch?...