[CHRONIQUE] - Et j'ai crié, Adrénaline, pour qu'elle revienne

Publié par Valentin Solère, le 6 janvier 2023   920

Connaissez-vous le lien entre une bonne nouvelle, un piège à poulpe et un arrêt cardiaque ? 

Nous allons avoir besoin d’un peu de contexte. Imaginez, vous êtes à table devant un bonne platée de brocolis, partageant un exquis repas avec votre moitié. Le regard plongé dans le sien, vous buvez ses paroles et du Bordeaux. Entre deux battements de cils, vous vous dites que le bifteck est franchement bien cuit, alors que dans votre relation, les carottes ne le sont pas encore. En fond, un vinyle de Christophe tourbillonne. Finissant sa bouchée, votre bien-aimé.e pose un genou à terre et vous demande en mariage. Vous acceptez sans hésitation, of course, les yeux rougis par sa tendresse.

Avant même que vos lèvres aient pu bondir à son visage et se confronter aux siennes, votre alter ego se retourne, en proie à de bonnes grosses quintes de toux. Vous ne l’avez vu aussi rouge que dans un hammam à Marrakech, où il avait frôlé le malaise quelques années auparavant. Ses yeux appellent à l’aide, son regard tressaillit, et ses poumons s’égosillent. Là, dans la pagaille, vous comprenez ce qui se trame... Les brocolis, ce sont eux les responsables. Votre formation au premier secours date d’il y a trois ans déjà, et vous ne vous rappelez plus tellement des « gestes qui sauvent ». Fichtre ! Cet oubli vous reste en travers de la gorge - sans mauvais jeu de mot.

Alors que vous maudissez sur quatre générations les petits choux aux ramures vertes, c’est une véritable tragédie qui se dessine dans le salon. Votre inséparable amoureux.se, vautré.e sur le tapis s’étouffe encore et encore et, dans vos tentatives de sauvetage, vous sentez de petits fourmillements parcourir le bas de votre visage. Ils trottinent d’un bout à l’autre de votre mâchoire, encouragés par une foule de palpitations qui manifestent dans votre poitrine. Votre bras endolori tente aussi de reprendre ses esprits, et tout l’appartement se tortille alors au rythme du 33 tours. Vous fermez grand les yeux et les rouvrez dans une salle baignée de lumière.

Le chat s’est transformé en une femme à blouse blanche, sa clochette en un gros stéthoscope qui pendouille à son cou. Vous prenez sans tarder des nouvelles de votre amoureux-se, la dame vous confirme que tout va bien, que ça n’a été qu’une jolie petite frayeur. « Un petite frayeur, certes, mais assez massive pour vous mettre un K.O. Ecoutez, ça ne va pas être facile à entendre, mais vous avez le syndrome du piège à poulpe. ». Tiens, c’est étonnant. Seriez-vous sans le savoir un pêcheur compulsif de céphalopodes ?

Eh bien, pas tout à fait. Il s’agit en fait, et on en vient au but, de la traduction de Tako Tsubo, le nom de la pathologie. « C’est du Japonais, comme celui qui l’a découverte » vous dit la médecin. « Il apparaît suite à un choc donc, qui provoque la libération massive de catécholamines dans votre corps. C’est une famille d’hormones, dans laquelle on retrouve la dopamine, voyez-vous. ». Et vous voyez tout à fait. Les catécholamines se fixent sur les récepteurs des micro-vaisseaux du cœur et du muscle cardiaque, donnant une forme de gros vase au ventricule gauche. Aussi serré que mon jean après les fêtes de fin d’année, il se retrouve paralysé, incapable d’assurer ses fonctions. Attention, s’il n’est pas pris en charge rapidement, la principale conséquence de ce dysfonctionnement reste l’infarctus du myocarde.

La docteure enchaîne « On vous a mis sous traitement pour insuffisance cardiaque, mais les symptômes sont réversibles en quelques semaines, ou quelques mois. ». Ouf ! C’est une maladie d’anxieux, et l’on a vu le nombre de nouveaux cas multiplié par plus de 4,5 durant la pandémie de Covid-19. Vous vous demandez pourquoi ça ne vous est pas déjà arrivé au collège lorsque votre crush vous a mis un bon râteau à 16h50 devant cette maudite salle de maths ? Disons qu’il doit s’agir d’un stress de longue durée, et il suffit qu’un jour, une petite goutte fasse déborder le vase. Selon la situation, on la surnomme joliment la « maladie du cœur heureux », ou bien celle « du cœur brisé ». C'est assez ironique, puisque la Déclaration de Cambridge sur la conscience a récemment classé le poulpe sur la liste des êtres conscients de leur propre existence. Ça signifie qu’il peut souffrir de dépression, ou au contraire, reconnaître son bonheur.

Quoi qu’il arrive, vous pouvez prendre quelques mesures préventives, comme faire du sport, de la méditation, ou consommer des aliments riches en tryptophane, un acide aminé précurseur de la sérotonine, hormone impliquée dans la régulation de l’humeur. Pour cela, je vous conseille au hasard une bonne assiette de brocolis.

Valentin Solère