Entre l’anguille et l’Humain, le courant ne passe plus !
Publié par Clotaire Bigaré, le 22 décembre 2021 2k
2021. Article de SF écrit par Clotaire BIGARÉ, Étudiant M2 BEE (image tiré de : Ouest France ©).
La France s’est engagée en 2020 dans de grands projets d’infrastructures vertes comme alternative au nucléaire, toutefois au détriment d’écosystèmes, faute d’une approche holistique et écosystémique. L’exemple de l’anguille, désormais disparue de nos fleuves et cours d’eau, en est criant...
Vingt heures quarante-trois, les rues de Saint-Aubin-de-Terregatte sont calmes. Je me ballade sur les renforts des digues en observant la Manche. Oui, la Manche. Nous sommes en 2060 et malgré tous les avertissements du GIEC sur le réchauffement climatique, rien n’a été fait[1]. Le niveau de mer a augmenté jusqu’ici, dix kilomètres plus loin, dans le centre-ville de Saint-Aubin-de-Terregatte. Je suis André Volta, technicien des digues et barrages de cette commune et je vais vous raconter une histoire.
En 2020, aucun gouvernement n’a tenu compte des avertissements de l’urgence climatique du GIEC, qui se déroulait sous nos yeux. Les constructions s’enchainaient, grignotant doucement les espaces encore considérés comme sauvage. Que ce soit sur les prairies, les montagnes, les cours d’eau ou les friches, des immeubles et des infrastructures pour produire des énergies appelées vertes poussaient à perte de vue. Les énergies vertes… parlons-en. L’État a fait l’éloge de ces énergies comme étant révolutionnaire de par sa capacité de réitération à l’infini. Mais cette énergie est loin d’être toute blanche…. Que ce soit des panneaux photovoltaïques ou bien des barrages hydroélectriques [2], ces infrastructures avaient, et ont toujours, des conséquences désastreuses sur la biodiversité. Dans le premier cas, l’installation de panneaux captant les rayons du soleil, a causé la destruction de prairie où des espèces rares s’y trouvaient, et dans le deuxième cas, le détournement et la rupture de la continuité écologique des cours d’eau a gravement nuit aux espèces piscicoles, notamment les espèces migratrices. C’est ce qui s’était passé pour la Sélune [3, 4]. Ce fleuve se jetant dans la baie du Mont Saint Michel a été victime de barrages pour produire de l’électricité (2 barrages). Cela avait valu de nombreux débats au sein de la population locale afin de maintenir ou non les barrages le long du cours d’eau. Mais voilà, les bénéfices étaient trop grand et malgré un démantèlement de ces structures, le gouvernement a décidé d’en reconstruire suite à la demande en énergie grandissante et à la nécessité de maintenir une souveraineté énergétique. Cette source d’électricité se voyait plus écologique par rapport aux énergies d’antan. Malgré la plainte des habitants des inondations répétitives, le barrage nouvellement construit, persistait et les conséquences avec. Les crues se faisaient de plus en plus grande au fil des années, amplifiées par le réchauffement climatique qui « engendre peu de perturbations » selon les décideurs à l’époque.
Les poissons se font encore plus rare avec la multiplication de ces aménagements. Le barrage ne faisait pas seulement barrière à l’eau, mais aussi aux sédiments et aux poissons dont la survie dépendait de la continuité écologique du fleuve. Le saumon ou l’anguille d’Europe se retrouvaient bloqués par ces infrastructures et ne pouvaient donc plus se reproduire.
Parlons-en de cette anguille, espèce protégée depuis 2007, voit son nombre diminuer malgré des règlements internationaux pour sa préservation. Ce poisson est particulier, car c’est une espèce migratrice, elle se reproduit en eau saline (espèce dite thalassotoque), notamment dans la mer des Sargasses, au sud-ouest de l’océan Atlantique. Elle est aussi catadrome, qui signifie qu’elle va migrer vers la mer après une période de croissance en eau douce. Pourquoi un tel soucis pour l’anguille et les barrages ? Eh ben voilà, une fois les œufs éclos, les larves, qui vont devenir des civelles par la suite, doivent regagner les eaux douces, et comme vous l’avez deviné, les barrages produisant l’énergie verte tant convoité bloquent… Si par bonheur, une civelle arrive à remonter les cours d’eau, elle va par la suite dévaler les cours d’eau afin de se reproduire, et rebelote, les barrages empêchent la « dévalaison »[5]. Vous voyez que ces structures vendues par l’État comme verte permettant de faire face aux enjeux énergétiques ne prennent pas compte les enjeux environnementaux. Des solutions existent pourtant, passe à anguille, ascenseur à poisson, mais non[6, 7]… Rien n’y fait à l’heure actuelle où je vous parle, cette espèce est rayée de la liste des « espèces naturelles à intérêt économique de 2057 ». Toutefois… encore aujourd’hui cette espèce, tout du moins, ce qu’il en reste est utilisée à but lucratif au sein d’élevage. Pour ses valeurs gustatives, en particulier les civelles, la demande n’a cessé d’augmenter : 4000 t/an dans les années 1979 à 110 T en 2010 et cela malgré la connaissance de sa protection[8, 9]. En plus de ça, la consommation de ce met gustatif est énorme pour l’Espagne, la Russie ou encore en Asie, augmentant ainsi la pêche de par la forte demande et se vend à prix d’or ! 150 à 200 euros le kilo ne favorisant pas la survie de l’espèce[10, 11].
La rupture des corridors écologiques n’était pas le seul responsable de sa disparition, la pollution est un autre facteur à prendre en compte. Cette espèce était très sensible aux pollutions, notamment à des PCB utilisés pour l’agriculture[12]. Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Le changement climatique a induit des invasions de nuisibles aux cultures céréalières, et au lieu de prendre le problème à la source tel que le changement des niches écologiques de ces nuisibles, le problème a été pris au niveau des parcelles agricoles, avec une pulvérisation massive d’entrants chimiques/produits phytosanitaires (appelés intrants), composé de PCB[13]. Ah ça, pour dézinguer les nuisibles, il y avait du monde. Mais pour voir les conséquences sur les autres insectes, tout le monde avait des œillères : pollinisateurs, poissons, amphibiens, tous morts. Dans le cas des anguilles, comment cela s’est produit ? Ces substances étant très persistantes, elles sont amenées avec le ruissellement des eaux de pluie vers les cours d’eau et se déposent au fond de l’eau pour se mélanger à la vase. Cette vase est ingérée par les poissons, et les anguilles ne faisaient pas exception à cette règle. Le changement climatique couplé à une rupture de continuité écologique a détruit l’écosystème de l’anguille et l’anguille de facto…
Aujourd’hui, je suis technicien des digues et barrages et je veille au bon état de ces ouvrages. Vous allez me dire, pourquoi avoir garder ces infrastructures si elles sont responsables de tels désastres ? Comme je l’avais dit avant, certains ont été détruits pour favoriser la biodiversité, mais devant l’enjeu économique, ils ont été reconstruits avec des nouveaux. Pourquoi s’embêter à construire des centrales nucléaires nécessitant des moyens immenses notamment pour le traitement des déchets alors qu’une simple turbine avec une force, qui est ici abondante de par la montée des eaux, suffit.
Des initiatives ont pourtant été faite pour sauvegarder cette espèce, avec notamment l’Union Européenne et sa Commission[9] : la réduction de pêche dite naturelle et récréative, à la réintroduction d’espèce ou rétablissement des continuums écologiques, mais rien n’a permis d’échapper à la catastrophe[7]. Des passes à anguilles ont été construites sur ces barrages, un arrêt des turbines pendant la période de migration des anguilles. Mais rien ne fait, l’espèce a disparu notamment dû à un manquement de connaissance de son cycle de vie, à des coûts élevés des équipements des barrages. Une procédure nécessitant plusieurs années pour la mise en place des équipements. Pas assez de médiatisation autour des enjeux de sauvegarde de cette espèce et peu de personne se sente concernée alors que l’anguille pourrait permettre la protection de nombreuses autres espèces (concept d’espèce parapluie).
Je dois maintenant vous laisser afin de réaliser ma veille technique et lancer les turbines des barrages afin d’apporter l’électricité pour allumer les purificateurs d’air avant que les gens ne se réveillent et partent travailler.
Références :
[1] L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique - Résumé à l’intention des décideurs | GIEC (2020).
[2] Hydroélectricité en France | Wikipédia (2021).
[3] Selune libre | European Rivers Network (2018). https://www.ern.org/fr/selune-libre/
[4] HENRY, É. Barrages de la Sélune : Zoom pour mieux comprendre le « feuilleton » | Ouest-France (2018). https://www.ouest-france.fr/normandie/avranches-50300/barrages-de-la-selune-zoom-pour-mieux-comprendre-le-feuilleton-5951331
[5] L’anguille européenne | Logrami (2015). https://www.logrami.fr/sensibilisation/poissons-migrateurs/anguille/
[6] Legault, A. Le franchissement des barrages par l’escalade de l’anguille. Etude en Sèvre Niortaise | Bull. Fr. Pêche Piscic. 1–10 (1988). doi:10.1051/kmae:1988010
[7] Projet DIADES : Diadromous fish and Ecosystem Services. Services écosystémiques et poissons migrateurs amphihalins face au changement climatique | Laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques (2019). https://borea.mnhn.fr/fr/projet-diades-diadromous-fish-and-ecosystem-services-services-%C3%A9cosyst%C3%A9miques-poissons-migrateurs.
[8] Anguille européenne : le gouvernement menace la survie de l’espèce | France Nature Environnement (2021). http://fne.asso.fr/communique-presse/anguille-europeenne-le-gouvernement-menace-la-survie-de-l-espece.
[9] Règlement (CE) N°1100/2007 Du Conseil du 18 Septembre 2007. Instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes | Conseil de l’Union Européenne (2007). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A02007R1100-20070925.
[10] Royaume-Uni : un vendeur de fruits de mer reconnu coupable de trafic d’anguilles pour 62 millions d’euros | Franceinfo (2020). https://www.francetvinfo.fr/monde/royaume-uni/royaume-uni-un-vendeur-de-fruits-de-mer-reconnu-coupable-de-trafic-d-anguilles-pour-62-millions-d-euros_3816969.html
[11] Férard, E. Des anguilles en danger critique d’extinction découvertes dans les supermarchés de Hong Kong | Geo (2020). https://www.geo.fr/environnement/des-anguilles-en-danger-critique-dextinction-decouvertes-dans-les-supermarches-de-hong-kong-200196.
[12] Macgregor, K., Oliver, I. W., Harris, L. & Ridgway, I. M. Persistent organic pollutants (PCB, DDT, HCH, HCB & BDE) in eels (Anguilla anguilla) in Scotland: Current levels and temporal trends. Environmental Pollution 158, 2402–2411 (2010).
[13] Berset, J. D. & Holzer, R. Organic Micropollutants in Swiss Agriculture: Distribution of Polynuclear Aromatic Hydrocarbons (PAH) and Polychlorinated Biphenyls (PCB) in Soil, Liquid Manure, Sewage Sludge and Compost Samples; a Comparative Study. (2006). doi:doi.org/10.1080/03067319508041324.