Enseignants, scientifiques : quel est votre plus bel échec ?
Publié par Marion Sabourdy, le 11 février 2015 3.2k
Les scientifiques étaient présents à la première FailCon grenobloise ! On peut être enseignant, chercheur et se prendre parfois les pieds dans le tapis… pour mieux se relever !
Le 29 janvier dernier se tenait au Musée de Grenoble la première « FailCon » grenobloise à l’initiative de Blandine Rageade, étudiante à Grenoble Ecole de Management, Benoît Collet, consultant chez 2MS et Eric Pierrel, CEO d’Itris Automation et (hyper)actif dans l’écosystème Digital Grenoble. Le concept : une soirée de conférences et tables rondes lors desquels des entrepreneurs partagent leurs échecs et la manière dont ils se sont relevés.
Pour cette première, les organisateurs ont souhaité donner une place à l’enseignement et à la recherche et ont pour cela sollicité l’équipe d’Echosciences afin de proposer des noms. Pas simple de venir parler d’échecs personnels devant un public de 250 personnes ! Vous retrouverez ci-dessous un condensé des témoignages de ces chercheurs, réécrits à partir de nos échanges préparatoires.
C'est parti pour la #FailConGre ! pic.twitter.com/mG3Hb7OOXT
— Marion Sabourdy (@Fuzzyraptor) 29 Janvier 2015
Joël Chevrier, chercheur à l’Institut Néel et professeur de physique à l’UJF a lancé les « hostilités » avec une petite conférence où il a confessé ses échecs répétés dans l’enseignement. « La recherche scientifique s’organise autour du laboratoire : ainsi elle dispose du temps long et peut encaisser les échecs inhérents à sa prise de risque. Du côté de l’enseignement scientifique, nous faisons face aux mêmes contraintes que dans les laboratoires, pour se confronter au réel et à sa résistance, mais nous n’avons ni le temps, ni les moyens pour le faire correctement. Et ce n’est pas un problème de compétence des professeurs. Nous n’avons simplement pas le temps de faire des erreurs, de nous heurter par des échecs à la résistance du réel. Et donc, nous proposons des travaux pratiques comme des « livres de cuisine » : les élèves doivent suivre des consignes sans vraiment les questionner ».
Place à @J_Chevrier pour parler échec et enseignement ! #FailConGre pic.twitter.com/huR2yrWGGE
— Marion Sabourdy (@Fuzzyraptor) 29 Janvier 2015
Qu’est-ce qui pourrait sortir les enseignants et les élèves de cette situation ? Le smartphone, selon Joël (qui en a profité pour en dégainer un et lui faire faire le pendule devant les yeux anxieux du public) ! « Une solution peu chère, facile à mettre en œuvre à grande échelle, ouverte sur le monde, performante. Un vrai laboratoire de poche qui fait « vite et bien » de la science et la met au service de la vie de tous les jours ».
>> Pour aller plus loin, lire l’article de Joël : L’iPhone : "pocket lab" pour les étudiants en physique
Joël a ensuite rejoint les trois autres scientifiques de la soirée pour une table ronde intitulée « L’apprentissage de l’échec dans l’excellence », que j’ai eu le plaisir d’animer. Xavier Delfosse, astronome à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble a confessé un premier échec :
« En 2007, nous avons annoncé dans la presse la découverte de la première planète extra-solaire de type tellurique dans la zone habitable d’une étoile. A l’époque, nous avions obtenu les meilleures données possible grâce à la méthode des vitesses radiales et nous avions testé toutes les hypothèses : celle de la présence d’une planète l’emportait. Les détections ont même été confirmées par d’autres équipes. Quatre ans plus tard, nous avons commencé à avoir des doutes : le signal n’était plus aussi stable. Nous avons découvert qu’il était du à un phénomène stellaire sous-estimé ». La planète n’en était pas une ! Pas évident à annoncer au public, sachant que la presse avait présenté la nouvelle comme la détection d’une planète et non comme une hypothèse ! Selon Xavier, cet échec n’a pas eu de conséquence trop néfaste, notamment grâce à la relation de confiance qu’ont les chercheurs avec les journalistes scientifiques français - « les anglo-saxons sont plus tendancieux » - et parce que son équipe a une bonne réputation.
« En recherche, la vérité d’un jour n’est pas la vérité de toujours. Nous avons perdu une planète mais gagné en connaissance de la physique des étoiles, ce qui nous aide maintenant pour détecter de nouvelles planètes. Belle illustration de la recherche fondamentale, d’autant plus quand elle s’attaque à une problématique nouvelle. Il faut bien avancer malgré des hypothèses fragiles, accepter de se tromper, sinon on ne fait rien et on n’en sait pas plus ! ». Et Xavier de citer Aurélien Barreau, autre chercheur grenoblois, au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie : « Paradoxalement, la science se doit toujours d’être à la fois prudente et aventureuse, humble et arrogante, modeste et ambitieuse ».
Une représentation des sciences loin de celle du public et des étudiants : « La science est parfois présentée comme un lieu de vérité, de certitude. Quand ils réalisent que certains travaux se basent sur des hypothèses non encore solidifiées, certains étudiants vivent difficilement ce contraste ». Xavier souligne lui aussi le problème du temps : « Lorsque l’on fait un stage de 3 mois, on ne perçoit pas cet aspect de consolidation des hypothèses. C’est important de le présenter aux étudiants pour qu’ils sachent que c’est une démarche normale de la recherche. Plus ou moins visible en fonction de la nouveauté du domaine et de la consolidation des connaissances, mais toujours présente quand on fait du neuf ».
Miguel Aubouy, docteur en physique théorique, conférencier et écrivain, a ensuite pris la parole. En tant que directeur d’un groupe de travail chargé de rendre plus innovante la R&D technologique du CEA, Miguel s’est longtemps heurté – et se heurte toujours - à l’enseignement du processus d’innovation. Selon lui, l’innovation est la conséquence de trois épreuves :
- une épreuve d’observation lors de laquelle « il s’agit de trouver la bonne question à se poser. La difficulté tient au fait que cette question n’est pas évidente. Elle est en quelque sorte cachée. C’est presque rien. C’est un minuscule détail qui passe inaperçu pour la plupart des gens »
- une épreuve d’imagination dans laquelle « il s’agit de trouver une idée, mais pas n’importe quelle idée (…) une idée qui va permettre de quitter le domaine de l’inspiration pour aller vers celui des réalités »
- une épreuve de ténacité, « il s’agit de réaliser l’idée en un produit très particulier (…) pas simplement le premier prototype [mais l’objet] qui renouvelle brusquement les questions que l’on se pose sur l’idée de départ »
Pour Miguel, enseigner les deux premières étapes ne pose pas trop de problème. En revanche, la troisième lui semble particulièrement ardue : « je ne sais pas enseigner le courage aux gens ».
>> Pour aller plus loin, lire les articles de Miguel :
- Pourquoi les premiers de la classe sont-ils les cancres de l’innovation ?
- Pourquoi sommes-nous si bien préparés à ne jamais découvrir ?
- N'apprends qu'avec réserves !
Ca parle inspiration par l'aspiration pdt la table ronde sur l'enseignement de @Fuzzyraptor #failcongre #aspirateur pic.twitter.com/xNRIKYVr0I
— Ludovic Lecordier (@LudoQM) 29 Janvier 2015
Le courage, la capacité de se lancer, d’oser… C’est ce qu’Agnès Guerraz – seule femme speaker de la soirée - souhaite transmettre aux chercheurs qu’elle accompagne en tant que directrice adjointe en charge des partenariats et de l’innovation à la direction recherche et valorisation de l’UJF, elle-même docteur en mathématiques appliquées, ancienne de grands groupes et centres de recherche comme Xerox Research Centre Europe, France Telecom R&D, University College London, Inria.
« Dans le monde de la recherche, l’excellence est mise en avant et cette évaluation permanente peut être difficile à vivre et peut donner l’impression qu’un échec est définitif. En réalité, beaucoup de projets n’aboutissent pas mais en France, de tels échecs sont assez mal vus. Les chercheurs ont pris l’habitude de ne pas se lancer, à moins d’être vraiment excellents dans leur domaine. L’idée du « parcours idéal » a la vie dure et représente un réel frein culturel. Notre travail, c’est d’inciter les chercheurs à se lancer, sans attendre que leurs projets soient parfaits. Nous les aidons à préparer leur dossier et nous les préparons à l’éventualité de l’échec. En revanche, si un chercheur n’est vraiment pas prêt, nous lui proposons de remettre à plus tard. Pas la peine de le pousser vers l’échec non plus ! »
Pour faire évoluer les mentalités, Agnès entrevoit une piste du côté de l’entreprenariat étudiant : « de nombreux doctorants s’y intéressent. L’université leur propose même un label pour y réfléchir et également un statut d’étudiant-entrepreneur. Ils peuvent baser leur projet d’entreprise sur leurs travaux de recherche, ce qui leur permet d’évoluer dans un domaine qui les intéresse ».
>> Pour aller plus loin, lire le témoignage de Pascaline, qui a reçu le Prix du Jeune entrepreneur oZer
Et vous, quel est votre plus bel échec ? Et surtout, comme avez-vous surmonté cela ?
>> Pour en savoir plus :
- Pas d’échec pour la FailCon de Grenoble, Joël Kermabon de Place Gre’Net
- Première conférence FailCon : échouer pour réussir, Caroline Chaloin, Dauphiné Libéré
>> Crédits : Chuck Olsen (Flickr, lice ce cc), Ben Didier (Flickr, licence cc)