Psychanalyse de l’âge du béton
Publié par Virginie Girard, le 9 avril 2021 990
2020. Article écrit par Maud DELORME, Étudiante M2BEE.
De Notre-Dame-des-Landes à Saint-Martin-le-Vinoux en passant par Saint-Jean-de-Luz, nous sommes partout. Nous nous implantons rapidement dans les territoires, sans prendre en compte l’avis des êtres vivants concernés. Nous rasons les forêts, bétonnons les zones humides et supprimons les derniers écrins de verdure des villes. Qui pourra nous arrêter ?
Mal aimés ... mais pourquoi ?
Nous sommes les GPII : Grands Projets Inutiles et Imposés. On nous qualifie souvent de monstrueux, dévastateurs, injustes ou polluants. Nous déclenchons de vives contestations au sein des défenseur.seuses du vivant et nous créons des tensions dans les territoires où nous nous imposons. On nous accuse de manquer de clarté, d’être des non-sens démocratiques et financiers et surtout des absurdités écologiques. Est-ce aberrant de vouloir construire un surfpark à 1,5 km de l’océan comme celui à Saint-jean-de-Luz ? Pourquoi s’opposer à la construction de poulaillers géants comprenant 22 poules ou dindes par mètre carré (ex. poulailler industriel dans l’Allier) ? Qui voudrait renoncer à des zones commerciales détruisant 21 hectares de terres cultivables (ex. projet de zone commerciale à Béner dans la Sarthe) ? Notre force est notre nombre : nous sommes très bien implantés en France et très divers !
Malgré les critiques, nous sommes en bonne voie pour faire chuter drastiquement la biodiversité ! En France, un oiseau sur trois est menacé et le WWF a constaté une chute de 68 % des populations de vertébrés sauvages étudiées entre 1970 et 2016. D’après les expert.es, nous sommes sur le chemin de la destruction massive des écosystèmes. Nous pouvons être fiers de contribuer à cette dynamique apocalyptique !
« La destruction et la fragmentation des milieux naturels est la principale cause de la disparition de la biodiversité avec la surpexploitation des espèces, le changement climatique, la pollution et les espèces envahissantes » Sébastien Moncorps, directeur du Comité Français de l’UICN.
Nous fragmentons les territoires et les pensées, détruisons les petits commerces et achevons la biodiversité. Plus de 35 % des zones humides ont disparu dans le monde entre 1970 et 2015, mais il en reste encore beaucoup à assécher. En France environ 60 000 ha sont artificialisés chaque année, mais si les groupes militants mettaient moins leur nez dans nos dossiers, on serait sûrement plus imposants.
A Saint-Martin-le-Vinoux dans la métropole Grenobloise, 5000 m² de potagers et d’arbres fruitiers s’établissaient il y a encore quelques semaines. Cet ensemble de parcelles cultivées au milieu d’immeubles rassemblait tous les dimanches les utopistes du quartier ou des villes limitrophes. Iels venaient se rencontrer, jardiner, festoyer et profiter de cet écrin de verdure au milieu de villes toujours plus bétonnées. Face à l’augmentation du nombre d’habitant.es, des promoteurs ont eu une idée de génie : raser les jardins de la Buisserate pour construire quatre beaux immeubles. Notre projet soutenu par la mairie et la métropole Grenobloise a semé la pagaille dans ce joyau vert. En contrepartie de l’artificialisation des sols, la mairie a promis de créer d’autres îlots de fraîcheur dans la ville. Mais on sait tous.tes ce que ces promesses valent, n’est-ce pas ? Le milieu qui est détruit ne sera jamais retrouvé à l‘identique.
Ne croyez pas et - ne tentez pas de faire croire - que dix jeunes arbres vont remplacer un grand et vieil arbre abattu : c'est une contre vérité sociale, écologique et financière. Francis Hallé
Selon Francis Hallé, botaniste mondialement connu, « abattre un arbre adulte et le remplacer par un ou plusieurs jeunes arbres est une triple arnaque ! ». Il a raison ! Un arbre adulte a une importance patrimoniale, il est témoin du temps et porteur de souvenirs. Aux jardins de la Buisserate, Raphaël, âgé de 96 ans, s’occupait des jardins depuis plus de 60 ans ! Tous les arbres fruitiers, maintenant abattus, ont été greffés par ses mains. D’un point de vue écologique, il faut attendre de nombreuses années pour que les jeunes arbres absorbent autant de dioxyde de carbone, piègent autant de poussières et abaissent la température comme les vieux arbres. Heureusement, les communes et les promoteurs vont dans notre sens. Iels ne semblent pas se saisir des enjeux écologiques actuels et de la nécessité de protéger les milieux naturels. Iels ne veulent pas agir pour le vivant, mais iels ne veulent même pas agir pour elleux ! Grâce à nous, les sociétés perdent en biodiversité mais aussi du temps et de l’argent ! Les humain.es oublient que les milieux naturels présentent de nombreux bénéfices : les sols retiennent les eaux de pluie et permettent de ralentir les ruissellements. Leur rôle tampon permet de lutter contre les sécheresses et inondations, et leur humidité rafraîchit l’air ambiant.
Heureusement pour nous, une zone humide détruite comme pour le projet de barrage de Sivens ou celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne pourra jamais réatteindre sa biodiversité initiale. Les compensations proposées par les élu.es ou promoteurs ne sont pas souvent à la hauteur de nos destructions. Et la plupart du temps nous gagnons face aux écolos rêveur.ses qui ne sont pas de taille !
Nos victoires, soutenues par le pouvoir
Alors que la défense des jardins de la Buisserate se constituait, la BAC (Brigade Anticriminalité) a arrêté 6 activistes dans la nuit du 4 au 5 septembre 2020. Soupçonné.es de vouloir créer une ZAD (Zone à Défendre), iels ont été placé.es en garde à vue pendant 60h sous juridiction anti-terroriste. Iels ont finalement été mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations et tentative d’installation en réunion sur le terrain d’autrui. Cette première perte d’activistes a été bénéfique pour nous, libérant notre champ d’action. Cependant, la mobilisation des jardins n’a pas faibli. Profitant du confinement, le lundi 02 novembre, les promoteurs ont pu commencer la destruction des jardins sans trop de résistance. Les humain.es sont confiné.es chez eux, mais les travaux de destruction du vivant sont maintenus ! Une poignée de militant.es a tenté de faire bonne figure mais n’a pas tenu longtemps face aux gendarmes et bulldozers. Les arbres fruitiers vieux de 60 ans ont été rasés en quelques minutes. Les cultures écrasées sous le poids des machines. Toute la biodiversité présente a été réduite en poussière, effaçant à jamais ce lieu de rencontres, de moments de détente et de bonheur. Il ne leur reste plus que les souvenirs et les traces des pneus visibles dans la terre encore récemment fertile. Nous avons gagné ! Une fois de plus, nous avons permis de supprimer un peu plus de vivant de cette Terre.
Destructeurs, mais aussi fédérateurs
Que feraient tous.tes ces utopistes sans nous ? Où se rencontreraient-iels ? Car oui, bien que nous dérangeons leur conscience écologique, nous leur permettons de créer des collectifs. Ces personnes se rassemblent avec une même idée : protéger le patrimoine naturel, culturel et la quiétude de ces milieux. Les petits espaces naturels urbains comme les jardins de la Buisserate sont appréciés des voisin.nes et curieux.ses qui s’en servent pour cultiver les terres et se nourrir. Iels ont l’impression de reprendre du pouvoir sur leur alimentation et leur façon d’habiter le monde.
Grâce à nous, une multitude d’humain.es se regroupe et s'organise. Ensemble, iels créent des groupes de lutte, échangent des opinions, développent de nouvelles compétences. Parfois même iels s’installent sur les zones qui nous sont dédiées. Iels apprennent à lutter, défendre un territoire, transmettre leurs messages, sensibiliser leurs proches, travailler la terre, reconnaître la faune et la flore. Sans nous, des territoires resteraient inconnus de leurs habitant.es. Les luttes contre nos projets sont fédératrices ! Elles regroupent des personnes de tout âge, tout horizon. Dans leurs sociétés où tout est régi par l’argent et le virtuel, se rassembler avec des personnes aux mêmes convictions et idéaux leur fait du bien. Rien que pour cela, les humain.es devraient nous apprécier !
Un nouveau monde s’organise avec un objectif de protection de l’environnement. Mais les citoyen.nes n’ont pas compris que nous sommes plus forts. En se réappropriant l’espace public et en inventant des méthodes de décisions collectives et inclusives, l’humain.e croit se reconnecter à son environnement. Mais il oublie que l’argent et le développement économique restent les maîtres mots des sociétés actuelles. Nous sommes créés par de riches entreprises, peu conscientes de l’urgence écologique et peu soucieuses du bien-être des êtres-vivants. Sans prise de conscience massive et actes de contestations efficaces, nous arriverons toujours à nous imposer.
Malheureusement, certain.es humain.es ne pensent pas comme nous. Iels ne considèrent pas la “nature” comme un outil ou une ressource. Pour elleux et comme pour les sociétés traditionnelles, il n’y a pas de démarcation entre l’environnement naturel et leur foyer. Le dualisme humain/nature, renforcé par leurs sociétés occidentales capitalistes, ne fait pas partie de leur système de pensée. Ces écolos radicaux.les dangereux.ses souhaitent préserver l’environnement pour ce qu’il est, protéger les êtres vivants quelle que soit leur place dans l’écosystème. Dans cette vision prônée par quelques extrémistes, les végétaux et les animaux non-humains sont des alliés et non des ressources. Ils n’ont pas besoin de protection. Cette façon de penser est une force, heureusement pour nous, iels en sont inconscient.es.
Pour en savoir plus...
https://theconversation.com/le...
https://theconversation.com/le...
https://theconversation.com/lh...
https://www.youtube.com/watch?v=F3ZcXn2qGUY&t=279s&ab_channel=Pr%C3%A9sage