École du futur et mondialisation de l’Enseignement supérieur

Publié par Jean-François Fiorina, le 15 septembre 2014   4.2k

Jean-François Fiorina, Directeur adjoint de Grenoble Ecole de Management nous propose son interview d'Hélène Michel, professeur à GEM et spécialiste des serious games, de retour de la côte est des Etats-Unis.

Hélène Michel, professeur à Grenoble École de Management, notre spécialiste des serious games, revient sur sa participation à la dernière Learning Expedition d’Educpros au printemps dernier. Programme : la côte Est, Boston et son écosystème exceptionnel où éducation rime souvent avec business de manière très efficace.

[Retrouvez le blog de Jean-François Fiorina en cliquant sur la bannière !]

Jean-François Fiorina : Qu’est-ce qu’une Learning Expediton ?

Hélène Michel : C’est une manière de s’imprégner de la gestion de la chaîne de valeur de l’éducation chez d’autres partenaires, de comprendre le rôle de chacun de ses éléments : recrutement, communication, marketing, moocs, entrepreneuriat – on parle d’accélérateur, pas d’incubateur jugé un peu trop « cocooning », on vise le pitch idéal pour préparer sa levée de fonds, passer au mentoring pour les autres étapes de développement. L’exemple d’Harvard est éclairant par son ciblage. Tout est pensé à 100% pour le smartphone du recrutement à la communication. C’est le choix de l’usage qui prime puisque le taux de pénétration du téléphone est le plus élevé.

Ce sont également des espaces de rencontres avec des dirigeants, des étudiants. La Learning Expedition offre une vision globale d’un écosystème éducatif. Le groupe de visiteurs a accès à des personnes de très haut niveau qui dévoilent leur stratégie. Ils partagent leurs expériences, montrent ce qu’ils font et attendent la même démarche de notre part. Les relations sont directes ! Les Américains ne se sont pas gênés pour nous dire, par exemple, que nous sommes frileux question entrepreneuriat en France ou projets de développement, ça bouge peu…

Mais passé l’effet "Waoooh !", nous n’avons pas à rougir de ce que l’on fait même s’ils sont très forts dans la communication et la valorisation. Ce qui est le plus impressionnant, c’est la manière – très professionnelle et engagée – dont les étudiants nous parlent. Ils cherchent à avoir un impact sur leur environnement. Ils veulent tous changer le monde ! On sent une grande fierté et un fort sentiment d’identité, d’appartenance. Leur capacité à faire du bon storytelling est impressionnante. Tout est matière à histoire, a un sens, vise l’universalité sans être caricatural. Même un étudiant en biologie s’inscrit dans cette démarche.

Quand cela se joue-t-il ? Est-ce le poids de la tradition, de formations spécifiques ?

Je pense que tout se joue avant l’Université. Depuis l’école, le lycée, les élèves savent se présenter. Il y aussi beaucoup de sélection pour arriver dans ces sphères. Ces jeunes ont des parcours remarquables. Ils sont tous investis dans l’humanitaire, le sport souvent de haut-niveau et veulent reprendre l’entreprise familiale. Ils ont des choses à dire, cela fait partie de leur mission d’étudiants. On se demande même s’ils n’y a pas des figurants tellement ils sont bons ! Au Babson College, la Mecque de l’entrepreneuriat, l’étudiante qui nous a fait visiter était rémunérée pour faire cette présentation. Cela nous a rassuré et les rend plus humains !

Les professeurs du Babson College ne demandent même plus de business plan aux étudiants ! On les juge sur la qualité de leur pitch, sur leur capacité à faire passer un concept, un message. Tout est donc dans le comportement comme dans celui des dirigeants que nous avons rencontrés par les sessions de présentation d’une heure (pile !). Ils sont présents et concentrés à 100%. Pas de téléphone, pas d’ordinateur…

Pas de langue de bois ? À la fin que deviennent ces étudiants ?

Les pros sont nécessairement formés aux présentations. Mais ce qui m’a le plus marqué, ce sont les étudiants, leur comportement est remarquable quelque soit leur origine ou niveau.

Si vous deviez retenir trois faits marquants ou « best practices » de cette Learning Expedition à Boston ?

1/ La capacité à faire des choix « contre intuitifs » et à s’y tenir. Comme le concept du « mobile first » appliqué par Harvard pour toutes les communications internes et externes. Également le choix d’une communication très visuelle.

Meeting Edx "Learning is Business"

Y compris pour la pédagogie ?

Non, en partie seulement. Cela concerne les relations avec les étudiants, les prospects (recrutement), l’administration. 12 personnes sont dédiées à cette communication digitale à Harvard. Je citerais aussi le choix de Babson de ne plus demander de business plans.

2/ Mais nous avons aussi de belles choses à leur dire, y compris au MIT ! Ce que nous produisons intéresse. Beaucoup sont venus pour bien comprendre ce que nous faisions. Armée de ma boîte Nanorider sous le bras, j’ai attiré beaucoup d’intérêt. Je l’ai laissé au MIT (Martin Trust Center) et au MIT Game Lab. Des représentants du MIT sont venus à GEM pour l’expérimenter et l’incuber, valoriser ce savoir faire technologique.

3/ La dynamique Moocs et EdTech. J’ai plus souvent eu l’impression d’assister à des réunions ciblées business telle qu’une place de marché plutôt que sur l’éducatif. Quel indicateur économique à développer, quelles ressources financières potentielles ? Nous avons été marqués par cette vision économique, la génération de data analytics revendues en BtoB. Ce sont des business developers. "Learning, it’s business !"

Je vous rejoins. Le post qui a suscité le plus de buzz sur mon blog au premier semestre abordait cette question de l’utilisation des data dans le monde de l’Enseignement supérieur, et pas seulement en matière de pédagogie !

Oui. C’est un vrai marché avec de nouveaux entrants.

Et les grandes marques ?

Je pense que c’est un marché de marques et de notoriété. Une start-up qui travaille en collaboration avec des structures bien établies génère une vraie différenciation.

C’est quoi un bon écosystème éducatif ?

Comme le dirait Emmanuel Davidenkoff, c’est la synthèse de Boston et de San Francisco. On prend un café en discutant avec un Français qui venait de Rennes. À 35 ans, il a fini sa thèse à Boston et venait de vendre son algorithme musical à Spotify pour une coquette somme !

C’est à la fois très organisé comme au Martin Trust : les aides vont crescendo, d’abord 200 dollars sur un projet puis on passe à 2000 dollars, puis aux rencontres informelles, aux pitches pour les 60 personnes qui sont là. Pas de ppt ! Cela paraît informel (petits-déjeuners, apéritifs) mais c’est très codifié. Le processus prend plusieurs années, de levées de fonds en validations.

Une déception ?

De ne pas être restée !  ;-) Plus sérieusement, j’aurais aimé avoir plus de temps pour les faire jouer à Nanorider, pour montrer plus de choses, rencontrer d’autres personnes. Mais sur le fond, j’aurais du y aller plus tôt. Il faut démystifier tout ça, aller au contact !

D’autres Learning Expeditions sont-elles prévues ?

Oui, à San Francisco, pour voir les grands acteurs du web de la Silicon valley (Google, Linkedin…). A l’Ouest, la culture est différente. Les EdTech y sont très développées. Comment ces start-up se développent-elles ?

Autres zones ?

Il faudrait faire visiter l’Europe ! Un mois après être allée au MIT, le MIT était à Grenoble. Donc… c’est possible en privilégiant des lieux dédiés à la rencontre.

On va vers un modèle éducatif à l’américaine ?

Sur le déploiement, oui. Sur le fond, ce modèle du storytelling est-il adapté à tous ? J’en doute. Et il y a d’autres façons d’enseigner, au-delà des MOOCs, il y a de la place. Ce que retiens, c’est la densité de leur campus qui rend l’endroit super intéressant pour développer des projets.

Je pense que les MOOCs sont de fantastiques moyens de toucher les étudiants qui ne sont pas dans « le circuit », sur des parcours balisés types finances, management, entrepreneuriat… La probabilité d’avoir les futurs génies reste limitée même pour ces très grandes marques américaines. Par contre, imaginons un étudiant en Inde qui tente un MOOC. S’il excelle, il sera contacté par l’Université qui le porte pour faire un PhD ou par une grande entreprise, type IBM, qui recherche un ingénieur à haut potentiel. Ils ne veulent pas passer à coté du futur Bill Gates ou Steve Jobs ! Mes vrais concurrents seront Amazon ou Google plus qu’Harvard ou le MIT puisqu’ils partent du big data vers l’éducatif et non l’inverse.

Votre prochaine actualité ?

Écrire une version internationale du jeu Nanorider en association avec le MIT.

Bonne idée ! Ils maîtrisent la chaîne de valeur et cherchent donc à valoriser idées et produits. Merci pour cet entretien et cet enrichissant retour d’expérience. 

>> CréditsJohn Lester (Flickr, licence cc), Hélène Michel