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Mémoires du Futur

Du vrai et du faux

Publié par Jean Claude Serres, le 27 février 2021   1.8k

Introduction dialogique

Le 10 février, François Busnel a réalisé une « Grande Librairie » de très grande qualité en invitant sur son plateau quatre personnalités de haut vol, chacune dans son domaine d’expertise et d’écriture. Florence Aubenas a enquêté sur un crime, en logique de journaliste, questionnant autant le parent de la victime, que le criminel pressenti et qui disparaît alors qu’il se savait être innocenté dans la nouvelle comparution au tribunal. Son livre a pour titre « L’inconnu de la poste ». Elle traite d’un « fait divers». https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-13/2235327-emission-du-mercredi-10-fevrier-2021.html

La seconde personne apporte un autre regard. Elle essaie de témoigner du vécu d’un procès, autant du coté de l’accusé que des proches de la victime. La justice n’a pas pour but de trouver les causes du crime mais d’établir la juste peine afin que chacun puisse faire sa réparation. Laure Heinich, avocate pénaliste, viendra, quant à elle, présenter son premier roman « Corps défendus ».

Tiffany Tavernier présente un nouveau roman avec son livre « L'Ami ». Cet ami peut être un voisin, que l’on invite, à qui on se confie. Un jour cet « ami » se retrouve incarcéré, pour des crimes, comme un prédateur sexuel ou « serial killer ». Cette personne qui était en confiance avec cet « ami » n’a rien vu venir, n’a rien ressenti et se trouve profondément déstabilisé.

Enfin c’est le regard d’un sociologue que l’on voit beaucoup sur les plateaux : Gérald Bronner qui vient présenter son nouveau ouvrage « Apocalypse cognitive ». Dans le contexte de la grande librairie il questionne pourquoi nous sommes autant attirés par la télévision et ses images. Les « faits divers » aimantent les lecteurs. Le journal « le Monde » a ainsi du intégrer le journalisme des faits divers depuis une dizaine d’années, pour satisfaire les attentes de ses lecteurs. Plus loin je vais approfondir le questionnement scientifique depuis sa posture de sociologue et sa méthodologie ainsi que ses témoignages en tant que personne humaine.

Avant de me lancer dans cette écriture, je souhaite partager d’autres regards que je trouve en synergie avec les questionnements portés par cette émission :

 a) Entretien entre Étienne Klein et Lionel Naccache (neuroscientifique ) à propos de notre fonctionnement cérébral, issue de son dernier livre passionnant "Le cinéma intérieur".

Notre cerveau, à partir informations visuelles fournies par les yeux, sous forme d'images fixes en fréquence de 10 images par seconde, reconstruit un film continu. Ce film intérieur est une fiction similaire a un film de cinéma (24 images par seconde). Le cerveau interprète, imagine, corrige ce que nous croyons être notre conscience continu de la réalité. https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/la-conscience-ou-lart-de-se-faire-un-film

b) Entretien entre Étienne Klein et François Jullien (Philosophe Sinologue) à propos de son livre dont le thème est « l’art de décoïncider» plutôt que de chercher à s’adapter. Soit faire un pas de coté, garder une posture modeste et s’engager sur une voie de traverses au lieu de se conformer au groupe.  https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/lart-de-decoincider-selon-francois-jullien

« Apocalypse cognitive» de Gérald Bronner

La réalité c’est ce qui continue d’exister quand on a fini d’y croire

Le dernier ouvrage de Gérald Bronner aborde notre rapport à l’information. La quantité d’informations que peut ingurgiter par notre cerveau est telle aujourd’hui que le « marché cognitif est dérégulé ». Cela fait écho au dernier ouvrage de Jacques Attali : L’histoire des médias.

 L’auteur de La démocratie des crédules, sociologue, élargit et enrichit son regard en explorant certaines des avancées des neurosciences pour le bien-être des lecteurs. Comment rester cloisonné dans une seule spécialité pour traiter d’un tel sujet ? J’apprécie cette approche « multipolaire ». Naccache et Bronner

Je vais ici porter quelques commentaires sur l’introduction de ce livre très facile d’accès. Certaines phrases révèlent cependant combien une pensée multipolaire, par essence décentrée d’une spécialité, résiste à ce chercheur scientifique imprégné du dualisme méthodologique et primé en 2013 par l’association « Union Rationaliste ».

Page 13 – «  croyance et pensée méthodique entrent en concurrence » : dualisme méthodologique, dans les pages suivantes (ex soit abandonner sa croyance….soit considérer que c’est la théorie de Darwin qui est fausse).

Page 20 – «  peut on vraiment faire le pari intellectuel qu’un marché libre des idées fera émerger les produit cognitifs les mieux argumentés du point de vu de la norme de la rationalité ? »

Page 22 – ce temps de cerveau libéré, qu’allons nous en faire ?......De toutes les civilisations intelligentes possibles l’humanité fera t’elle partie de celles qui peuvent surmonter leur destin évolutionnaire ? ….l’heure de la confrontation avec notre propre nature… projets de société fondés sur des anthropologies naïves…et ils font de nos intuitions les plus immédiates et de nos appétits les plus impérieux une forme de légitimité politique. »

Ces éléments de texte coulent de façon limpide et évidente dans l’écriture très (trop ?) accessible. Pourtant cela demande réflexion et posture méta. J’y décèle outre le strict dualisme méthodologique se caricaturant en « croyance contre rationalisme » véritable dualisme ontologique, des amalgames réducteurs et une nécessaire dé-coïncidence.

 Amalgames et dualismes réducteurs :

(Vrai / Faux) -   (Pensée méthodique / Croyance) – (Intuitions les plus immédiates / Nos appétits les plus impérieux) – (les mieux argumentés/ norme de la rationalité) -

 Nécessaire dé-coïncidence :

Pour sortir des amalgames et des dualismes réducteurs, pour enrichir la pensée et nourrir le discernement, nous avons besoin d’étayer le contenu des « idées titres » comme « Théorie de l’évolution », croyances, intuitions, connaissances, etc. Une « idée-titre » caractérise en fait un système d’idées organisées, c'est-à-dire un ensemble d’idées qui font système : une idéologie.

Une « pensée méthodique » est une pensée qui fait système d’un ensemble  d’idées élémentaires en respectant des règles, grammaire, logique, raisonnement, etc., constitutive de la pensée ou d’une « idée-titre ».

 L’idéologie scientifique est une pensée méthodique singulière, logique, démontrable et surtout pouvant être validée par le respect des règles de K. Popper : réfutabilité, fiabilité, répétitivité, etc. La communauté d’un domaine scientifique donné est capable de valider ou non une théorie et l’expérience qui tend à la prouver. La « vérité scientifique » est une vérité datée et réfutable sur un plan scientifique. L’ensemble des « vérités scientifiques » constitue ce que l’on désigne par les savoirs ou les connaissances scientifiques.

 Une pensée méthodique est une pensée qui s’inscrit dans un système méthodique ternaire : Sens - Energie – Forme. La forme est son explicitation comme dans la rédaction d’un article avec le titre (l’idée-titre), le chapeau (son résumé) et le contenu. L’énergie caractérise le comment un ensemble d’idées élémentaires font système à partir des règles constitutives. Le sens enfin caractérise le but, le pourquoi et les objectifs de cette pensée.

La pensée méthodique religieuse (l’exégèse), la pensée méthodique littéraire et artistique, la pensée stratégique et politique (l’art de décider) et la pensée scientifique diffèrent par les règles constitutives (grammaire, logique, raisonnement, etc.) comme par leurs finalités (but énergie, forme).

 Gérald Bronner n’arrive pas à accéder à l’élaboration d’une pensée multipolaire qui implique de faire dialoguer (dialogique et reliance d’Edgar Morin) des systèmes de pensées aux règles et finalités différentes. Quelque soit le système d’idées organisées (arts, religions, sciences, stratégies) on pourra trouver des acteurs intégristes, fondamentalistes, ou au contraire empreint de doute ontologique ou méthodologique.

 Pour illustrer un amalgame très inconsistant de Gérald Bronner  (Intuitions les plus immédiates / Nos appétits les plus impérieux), nos appétits les plus impérieux sont le produit de nos circuits de la récompense, de nos dépendances et de nos émotions. Nos intuitions (cf La face cachée des intuitions mon dernier livre [en PDF joint]), n’ont d’immédiat que leurs émergences conscientes ( de quelques millisecondes à centièmes de secondes) et souvent après coup de l’action « réflexe ». L’élaboration des intuitions résulte de la maturation (en mois et années), de l’autodiscipline, des compétences, de l’expérience, de la présence attentive (pleine présence au réel) des signaux faibles.

(lire aussi de la théorie du complot et les autres articles référencés à la fin)