Du pass vaccinal au portefeuille numérique obligatoire...
Publié par Yannick Chatelain, le 13 janvier 2022 2.6k
Le pass sanitaire et vaccinal crée un dangereux précédent pour un futur portefeuille numérique obligatoire.
par Yannick Chatelain : Professeur Associé Digital / IT, GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)
À la question « des portefeuilles numériques qui existent-ils ? », la réponse est « Oui » !
Les arguments de ses promoteurs pour en vanter les mérites sont simples : le confort, la facilité. « Bienvenue dans le monde du Digital ID Wallet » peut-on lire sur le site de la société Thales, qui avance naturellement tous les avantages escomptés de sa solution permettant de prouver son identité notamment sur Internet et d’affirmer que « Le confort et la tranquillité d’esprit qu’apporte le Digital ID Wallet aux citoyens est indéniable. »
Et de poursuivre :
« Dans le même temps, il permet aux pouvoirs publics de créer un compagnon mobile aux documents d’identité physiques. Il présente ainsi l’avantage d’être simple à émettre, à gérer et à vérifier, tout en offrant un outil puissant pour lutter efficacement contre l’usurpation d’identité, réduire le travail administratif et soutenir l’économie numérique. »
Plus avant encore la société naturellement très fière de sa solution miracle n’hésite pas à parler d’acclamation tant des citoyens que des pouvoirs publics :
« S’appuyant sur de nombreux retours d’expérience au travers de pilotes ainsi que sur sa participation active au processus de normalisation ISO, Gemalto a conçu une solution centrée sur le citoyen et acclamée aussi bien par les utilisateurs que par les pouvoirs publics. » En attente de la Ola ?
Que dire ? Qu’ajouter ? Toutes nos données personnelles concentrées dans un même portefeuille numérique, n’est-ce pas là le paradis ? Comme l’avance encore – et avec justesse – Thales :
« Grâce à cette solution, il n’a jamais été aussi simple de prouver son identité ou d’accéder aux droits et services qui nous sont réservés, que ce soit en ligne ou dans le monde dit réel ».
C’est certainement formidable, rien à redire. Quant à « acclamer »… pourquoi pas, mais avec quelques réserves.
Comment contredire de tels arguments ? Le fait que prouver son identité virtuelle soit extrêmement compliqué est un fait : ceux qui auront tenté de récupérer l’un de leur compte de réseaux sociaux en savent quelque chose. Pour autant et pour plus de confort mesurons-nous vraiment ce à quoi nous nous exposons ?
Nonobstant la solution proposée par Thales de façon fort alléchante, l’envers du décor contenu dans l’offre de l’entreprise est de mon point de vue nettement moins paradisiaque à moyen et long terme si cette offre ne se cantonne pas à un certain nombre de données décidées par l’usager et non pas imposées à l’usager et in fine par le pouvoir… Et c’est bien là où la menace se précise.
Pass sanitaire… pass vaccinal.. et après portefeuille numérique ?
Quand nous observons la façon dont nous sommes passés du pass sanitaire au pass vaccinal, ne reste-t-il plus que les données de santé à intégrer à la solution de Thales ? Cette obligation ne pourrait-elle alors être suivie d’une obligation d’en disposer décrétée par les pouvoir publics pour avoir un passeport numérique up to date ? Fantasme ? Complotisme ? Les faits sont là pour montrer qu’à la vitesse à laquelle les données personnelles sensibles sont réclamées par les pouvoirs publics, il est à redouter que progressivement nous nous dirigions – si nous ne sommes pas vigilants – vers une forme de portefeuille numérique obligatoire, intégrant des données sensibles, ouvrant alors la porte à toutes les dérives.
Il est encore temps d’alarmer. Bien loin du confort idyllique vanté par Thales, le portefeuille numérique en gestation que je pressens et qui pourrait bientôt être sur la table comme ont coutume de dire les journalistes, serait une véritable catastrophe pour nos démocraties. Nonobstant les avantages tout à fait réels vantés par la firme, une vision plus réaliste et objective se doit de souligner les innombrables possibilités coercitives qui pourraient être demain entre les mains des pouvoirs publics… nous rapprochant, pas à pas, du crédit social chinois… Le réalisme et l’objectivité tiennent en une phrase : « Ce qui semblait totalement invraisemblable hier en Occident, ne l’est plus… »
Vers un système de crédit social à la française ?
Démonstration :
Pour mettre en place son projet de « système de crédit social » (SCS, en chinois : 社会信用体系, shehui xinyong tixi), un projet initié en 2014, et développé originellement de façon un peu désordonné, projet visant à « augmenter la vertu des citoyens », le gouvernement chinois a pu s’appuyer – entre autres – sur le système de pistage développé par l’entreprise chinoise Sesame Crédit – une entreprise de financement et de notation de crédit – en ajoutant en matière de collecte d’informations sur les individus, leurs usages des réseaux sociaux, les caméras de surveillances intelligentes, et toutes sources de données susceptibles de cerner un individu et dépassant ipso-facto la seule sphère commerciale : le nec plus ultra du contrôle social… Autant dire qu’il y a quelques années encore cela faisait encore réagir l’Occident pour le moins critique et stupéfait de l’idée même du déploiement d’un contrôle social aussi poussé.
Si ce qui prêtait hier à sourire nos démocraties et faisait l’objet de vives critiques, voire de moquerie… La moquerie ne semble plus être d’actualité… la pandémie est passée par là. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, si l’on croise le rapport prospectif du Sénat admiratif du solutionnisme technologique chinois et vantant tous les mérites de la Chine dans sa gestion de la crise, sans oublier de valoriser ses approches les plus coercitives – d’avec le pass sanitaire, devenu désormais pass vaccinal…. La société Thales – qui revendique une approbation forte des pouvoir publics – pourrait fort bien jouer sensiblement le même rôle en France qu’aura joué Sesame Crédit en Chine, et devenir une porte technologique grande ouverte pour un contrôle social des plus débridé.
L’introduction de données de santé dans le système de Thales ne me semble plus relever d’une utopie. Au rythme où vont les choses dans la Datazerisation toujours croissante des citoyens français – pour leur bien – sans plus de réel contrepouvoir, le portefeuille de Thales m’apparait comme un marchepied dangereux dont pourraient possiblement s’emparer les pouvoirs publics. Il s’agirait dès lors d’y intégrer des données de santé, pour poursuivre sa marche en avant de collectes de données sensibles et continuer une marche forcée engagée vers une centralisation de toutes les données des citoyens. De là à rendre ce portefeuille obligatoire le pas pourrait alors être vite franchi.
Ce dont l’Occident se moquait hier n’est-il pas en passe de prendre forme en Occident, et en France sous couvert de gestion de la pandémie ?
Si tel était le cas, sans un halte-là, une fois la porte ouverte nous ne serions alors plus très loin du système de crédit social développé par la Chine… tout du moins les bases seraient posées pour développer un système de contrôle social qui n’aura alors rien à envier à l’empire du milieu, avec au regard du quantitatif de population un contrôle personnalisé d’autant plus facile…
Le Digital ID Wallet obligatoire intégrant dans un premier temps les données de santé ne relève ni du fantasme ni du complotisme. Si nous n’y prenons garde, avec l’instauration du pass vaccinal que le ministre de la Santé avait pourtant toujours exclu, un pass qui a même été – en son temps – qualifié alors par un des membres du gouvernement « d’idée choquante » force est de constater que les choses ont drastiquement évolué et nous ne sommes désormais en France plus qu’à une encablure d’un tel portefeuille obligatoire…
Article original publié sur Contrepoints le 5 janvier 2022
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