Du fossile aux géoparcs
Publié par Marjorie Bison, le 6 novembre 2014 5.3k
Le géopatrimoine, ça vous parle ? Si je vous dis « patrimoine géologique », je sens que vous me comprenez mieux. Vous avez tout de même besoin d’un petit rappel ? Suivez-moi.
Un soir de fin d’été, je me promène dans les rues de Chambéry dans le but de profiter de la fraîcheur nocturne. Flânant au milieu du Carré Curial – une ancienne caserne en plein milieu de la ville – mon regard tombe sur des formes originales incrustées dans les arcs de la place. En les examinant d’un peu plus près, les empreintes m’apparaissent être celles de fossiles ! Malheureusement, mes connaissances en géologie remontent à l'âge de pierre... De retour chez moi, je fais quelques recherches sur la toile et tombe sur le petit livre « Promenades géologiques à Chambéry », de Nathalie Cayla, Professeur agrégé (PRAG) spécialisée dans les géopatrimoines et le géotourisme, au laboratoire EDYTEM (Environnement, DYnamiques et TErritoires de Montagne) à l’Université de Savoie.
Interpellée, je redécouvre alors un monde minéral que j’avais entraperçu pendant mes premières années de fac et je décide de rencontrer Nathalie Cayla, pour en savoir un peu plus sur les balades et le patrimoine géologique de manière plus générale. Le monde inerte nous entoure et nous l'utilisons mais pourtant, avons-nous conscience de son importance ? Il nous passe souvent bien au-dessus de la tête, principalement en raison des notions complexes qu’il faut maîtriser pour comprendre les géosciences. Toutefois, depuis les années 1980, la mise en avant de la géologie a gagné du terrain au sein de la sphère patrimoniale et en viendrait même à faire concurrence aux patrimoines que je qualifierai de « vivants » (forêts, récifs, sanctuaires de faune et flore, etc.).
L'origine et le développement des géoparcs
Nous assistons petit à petit en France à l’éclosion de géoparcs (réseau soutenu par l’UNESCO), c’est-à-dire des territoires présentant un patrimoine géologique remarquable internationalement. C'est en 1991 à Dignes les Bains que s'est tenu le premier groupe de travail visant à réfléchir aux géoparcs, dont l’objectif est de valoriser le patrimoine inerte, ce qui implique aussi sa protection et sa préservation. Le dernier géoparc en date à voir le jour est celui du Chablais, suivant de près celui du PNR des Bauges (2011). Avec sa récente candidature, le Vercors en fera aussi peut-être partie ! Aujourd’hui, on dénombre 58 géoparcs au niveau européen et 94 à l'international. Entre temps, le géoparc du PNR des Monts d’Ardèche devrait voir le jour…
Comment déterminer la valeur patrimoniale d'un objet géologique ?
C'est là que la définition du patrimoine, soit un regard différent porté sur quelque chose, intervient. En effet, au-delà du fait que l'objet géologique soit représentatif de l'histoire de la Terre, il doit aussi attester d'une certaine valeur ajoutée qui peut aller de la diversité et/ou spécificité des espèces animale et végétales inféodées à ce lieu géologique, à l'aspect religieux en passant par une esthétique particulière !
Quelques exemples d'objets classés "géopatrimoine"
Un des exemples connus est celui de l'Ayers Rock, un synclinal - pli concave dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus jeunes - de grès en Australie, surnommé l'iceberg du désert. En effet, ce bout de roche n'a pas d'intérêt géologique à proprement parler mais l'aspect artistique du relief causé par la présence de la roche perdue au milieu du désert, ainsi que les couleurs changeantes par le soleil, donnent alors au lieu toute son originalité.
Le ciment inventé par Vicat à Grenoble et la prolifération des cimenteries dans le massif de la Chartreuse est un bon exemple de sites témoignant d’une forte valeur additionnelle économique. En effet, les roches ont toujours été utiles à l'homme, notamment pour la construction et dans cette carrière, le calcaire et l'argile étaient en parfaites proportions pour la fabrication du ciment.
Et le public dans tout ça ?
Au-delà de l’intérêt géologique et de la préservation, classer un site en tant que géopatrimoine permet de faire prendre conscience de la vulnérabilité de certaines roches et lieux. Ainsi, le géopatrimoine amène une dimension éducative non négligeable. Selon les pays, la valorisation de ce patrimoine par l’intermédiaire de la médiation peut prendre différentes formes. Durant sa thèse, Nathalie Cayla a notamment contribué à l’étude de la valorisation géotouristique du patrimoine géologique de l’arc alpin montrant que les pays germanophones se distinguent des pays latins en favorisant des aménagements in situ (sentiers d’interprétation avec pancartes explicatives) plutôt que des musées. Cependant, de nombreuses autres activités, quoique moins représentées, ont été associées à la découverte du patrimoine géologique. Ainsi, il est possible de faire de la spéléologie, du VTT, de l’escalade ou encore du kayak tout en assimilant des connaissances géologiques associées à l’environnement.
Au détour d'un chemin, vous pourrez donc trouver des panneaux, bornes, fascicules sur l'histoire géologique d’un site, ou encore des groupes de visiteurs, les yeux rivés sur des affleurements décrits par un guide spécialisé dans la géologie de la région. Aujourd'hui, aucun site internet ne recense toutes les balades ou sites géologiques de France. Voici quelques documents où il vous sera possible de piocher de l’information : balades géologiques (circuits géologiques en ville), guides géologiques, ViaGeoAlpina, et bien sûr parcs et offices du tourisme.
Quant à moi, j’ai découvert l’origine de mon fossile trouvé dans le Carré Curial : une ammonite incrustée dans de la roche calcaire de Lemenc. Utilisée dans la construction, notamment pour les arcs de ce bâtiment, la roche est « d’une couleur gris bleuté, […] parcourue de filons de calcite et abritant des cristaux de pyrite ». Et me voici en train de rêver à cette mer tropicale qui a vu naître mon ammonite il y a quelques 150 millions d’années !
Merci à Nathalie Cayla pour avoir répondu à mes questions sur le géotourisme. Pour des informations plus détaillées, voici le lien vers sa thèse.
>> Crédits : Antoine Pardigon, shawn YANG, bison38 (flickr, licence cc), Nathalie Cayla