Dream et Re-Dream : Comment un apprentissage moteur peut être obtenu pendant le rêve
Publié par Laurent Vercueil, le 22 janvier 2020 3.1k
La nuit qui précéda sa finale remportée à Roland Garros en 1983, Yannick Noah rêva du match qu’il devait livrer le lendemain contre Mats Wilander. Ce fut alors un match interminable, formidablement fastidieux et épuisant, huit heures de calvaire, un véritable cauchemar au terme duquel... il perdait.
Au réveil, dans l'incertitude du demi-sommeil et encore perturbé, il interrogea fébrilement son père : « On est lundi ? ». « Non, nous sommes dimanche matin, et tu as la finale de Roland Garros devant toi ». Soulagement du sportif : rien n’est joué, tout reste à faire [1].
Une anecdote aussi frappante est l’occasion de soulever plusieurs questions : Pourquoi Noah était-il perdant dans son rêve et gagnant dans la réalité ? Existe-t-il un lien entre le fait qu’il ait perdu le premier match et gagné le second ?
Le temps passé à jouer, en rêve, peut-il avoir profité à Noah ? Certainement connaissait-il suffisamment son adversaire pour lui faire jouer, dans son rêve, son jeu. Il est possible, pourquoi pas, que l'expérience accumulée au cours de ce match interminable lui ai profité, lorsqu'il s'est agit de le jouer - pour de vrai. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, on peut apprendre de ses propres rêves (voir ici), comme dans une forme d' "hypnopédie", tel qu'Adlous Huxley l'avait imaginé, en 1932, dans "le meilleur des mondes". Sauf qu'il n'est pas nécessaire de porter des écouteurs qui nous répètent les cours dans notre sommeil (ou, dans le chef d'oeuvre dystopique d'Huxley, des principes moraux dictant les valeurs qui doivent orienter nos comportements), il suffit de vivre l'expérience du rêve et d'en tirer les enseignements, qu'ils soient explicites (par exemple, pour citer les rêves désagréables les plus fréquents : "ce n'est jamais très bon d'arriver en retard", "il est confortable d'être habillé plutôt que nu en société", "lorsqu'on passe un concours, il faut disposer du matériel recommandé", etc...) ou implicites, c'est à dire, comme Noah, moteur.
Moteur ? oui, c'est à dire les processus qui permettent, avec la répétition d'un geste ou d'une action, d'en former des routines efficaces. Un exemple, dans cette étude de 2010 (3), qui s'est intéressé à la réalisation pratique d'un geste de précision de lancer vers un cible. Mais quatre groupes de participants étaient constitués pour lesquels les consignes respectives étaient les suivantes: le premier groupe n'avait rien à faire de particulier entre les deux séances d'évaluation de la précision. Le second groupe devait s'entrainer, en pratiquant en journée, à l'état d'éveil. Le troisième groupe était constitué au départ de ceux qui s'étaient auparavant déclarés "rêveurs lucides", c'est à dire capables d'orienter à volonté le contenu du rêve (pour exemple, on peut lire ceci). A ceux-là, la consigne était donnée de pratiquer un entrainement pendant les rêves, de façon à améliorer leur technique de lancer. A posteriori, certains y étaient parvenus, tandis que d'autres non. Ce groupe était séparé en deux sous-groupes, ceux qui étaient parvenus à s'entrainer au cours des rêves lucides et ceux pour lesquels cela avait été un échec.
Compliqué ? Les auteurs ont fait un petit schéma qui résume bien les tâches des différents groupes et les résultats, mesurés en pourcentage d'amélioration entre les deux séances.
Les résultats montrent que la meilleure progression est observée chez les sujets qui ont eu tout loisir de s'entrainer au cours de la veille (amélioration de 15%) alors que ceux qui ne faisaient rien restaient au même niveau de performance (0,5%) ou perdaient un peu (-2,5%). Par contre, ceux qui étaient parvenus à réaliser un entrainement au cours d'un rêve lucide, progressaient de 8%.
Ainsi, la victoire de Noah s'explique peut-être par ce rêve, non lucide mais préparateur, qui lui aura coûté une défaite intime et confidentielle, mais valu un immense succès public. A cette heure, le dernier vainqueur français de Roland Garros.
Notes
(1) Et bien sûr, cette fois, il va triompher. J'ai trouvé cette anecdote dans « Champion dans la tête : La recherche de la performance dans le sport et dans la vie » François Ducasse et Makis Chamalidis, 2006
(3) Erlacher, D., & Schredl, M. (2010). Practicing a motor task in a lucid dream enhances subsequent performance: A pilot study. The Sport Psychologist, 24(2), 157–167.
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