Dialogues entre raisonnement et intuitions
Publié par Jean Claude Serres, le 2 avril 2016 5.3k
Cet article fait suite à d’autres dialogues. On oppose couramment Raisonnement et intuitions au même titre que l’on oppose de façon simpliste la raison et le sensible. Dans ce genre de dualisme intuition et sensible semblent avoir plus de proximité, les deux termes étant aussi éloigner des processus logiques ou rationnels, qu’ils seraient proche l’un de l’autre. Delà à dire que les femmes seraient à la fois plus intuitives et sensibles alors que les hommes seraient plus portés vers les démarches rationnelles il n’y a qu’un pas qui n’est que trop souvent franchi.
Dans son article : l’IA au secours de l’intuition pour comprendre le monde quantique … Laurent Vercueil pose l’idée que la théorisation du monde quantique est contre intuitif. Au nom de cette idée très partagée l’article institue que l’intuition est un monde logique limité et fortement inconscient en tant que processus cérébral. Cette intuition procèderait d’un mode d’approche statistique ou déterministe de type mécaniste. Ce serait aussi en lien avec nos processus attentionnels conscients et leurs limites (contrôle exécutif suivant J P Lachaux), décrit dans un précédent article.
Voici mon premier commentaire à chaud de cet article « Cet article très intéressant est symptomatique des postures scientifiques. Il me semble que l'intuition est le produit ou résultat d'un processus (ou ensemble de processus) inconscients, de maturation de l'expérience mais aussi des apprentissages, c'est à dire du conditionnement de notre cerveau. La maîtrise de ce conditionnement qui passe par la déconstruction d'autres conditionnements est l'un des espaces clés de mise en œuvre de notre libre arbitre, dans une temporalité qui n'est pas celle de l'instant présent. L'intuition, qu'elle soit lente dans l'exercice du raisonnement logique ou fulgurante dans la faculté créatrice est le résultat de facultés cérébrales qui sont au cœur du développement de l'intelligence ou faculté d'adaptation et de prises des décisions stratégiques. L'une des dimensions de l'intelligence est le conditionnement à élaborer des raisonnements logiques pour prendre des décisions sectorielles, incluant peu de paramètres. ».
Pour approfondir et mieux discerner notre capacité à améliorer la pertinence et la fiabilité de nos intuitions il nous faut prendre en compte les processus cérébraux en inter action systémique qui font émerger nos intuitions fulgurantes ou itératives :
- Les processus attentionnels qui nous permettent de réagir à des signaux faibles de manière non consciente
- Les processus de maturation des représentations mentales ou cartes du monde élaborées de manière consciente, itératives et asynchrone, de façon arbitraire et ou rigoureuse
- Les processus de créativités intégratives et dérivatives qui procèdent par analogies, métaphores et démarches plus rationnelles (ex logiques héréditaires et contextuelles de l’émergence des brevets)
- Les processus d’apprentissages et de conditionnements liés aux spécificités cérébrales biologiques
Chacun de ces processus est un agent qui peut s’éduquer, se développer et s’adapter. En particulier la pratique systématique de l’analyse de pratique, des retours d’expériences, de la mémorisation de représentations mentales complexes et synthétiques, de prises de notes, de leurs formalisations et de leurs partages dans des temps courts sont des grand vecteur d’améliorations de la faculté de produire des intuitions fiables et pertinentes.
Si les techniques d’apprentissages et de conditionnements sont très efficaces, elles demandent de l’énergie et du temps. Pour intégrer de manière systématique tout apport extérieur dans des représentations multipolaires et plus précisément quadripolaires, il m’a fallut environ 4 années de pratique intensive. Mes capacités de maîtrise des risques en montagne ou d’orientation en montagne m’ont demandé aussi plusieurs années.
Ces techniques d’apprentissages et de conditionnements possèdent aussi des limites, celles liées à l’aventure de l’espèce humaine. Notre cerveau n’est pas capable de percevoir les ultra son ou certaines couleurs. Notre cerveau occidental est conditionné par les apprentissages scolaires, la démarche cartésienne comme par le système de comptage décimal. Une autre limite est l’âge cognitif de nos cerveaux singuliers. Deux individus de même âge peuvent vivre avec des cerveaux d’âges cognitifs différents. Le cerveau « numérisé » d’une personne peut fonctionner de manière très différente d’une personne non numérisée. C’est équivalent à la différence d’une personne qui pratique une langue dans toutes ses dimensions lecture écriture et verbalisation avec une personne illettré. Je reviendrais sur ce point dans un autre article.
L’intuition est une faculté cérébrale qui se développe et se fiabilise dans la limite des langages et des cultures qui la nourrissent. L’un des facteurs principaux de sa fiabilisation est la pratique d’introspection cognitive, posture méta qui vise à détecter et à mettre en doute ou en question le comment je pense ce que je pense. Cette posture méta résulte elle même de l’apprentissage et du développement de processus cérébraux générant des intuitions d’un autre ordre. Elle est la clé de développement du libre arbitre et s’inscrit dans une temporalité longue, sur plusieurs années.