Dessiner un meuble comme on raconte une histoire

Publié par Thomas Mouillon, le 2 avril 2014   6.2k

Pendant tout le mois d'avril, Thomas Mouillon propose une exposition de ses créations au Bauhaus. Où l'expérience personnelle et familiale se combine à la technologie d'un FabLab.

Pour travailler sur la notion de récit, j’ai commencé à développer des objets narratifs ; du mobilier. Je voulais penser ces objets pour leurs usagers. Ils devaient pouvoir être facilement appropriable. On devait pouvoir les comprendre, ou du moins avoir le sentiment que nous les comprenions. La démarche devait être évidente et facilement assimilable.

Je suis parti de la matière, du bois, de la planche, que l’on découpe à la manière d’un puzzle, pour obtenir des formes concrètes, que l’on peut assembler sans outil, sans savoir-faire, seuls avec nos mains. Ces objets se présentent à plat et deviennent un volume fonctionnel une fois construits.

Leurs usagers deviennent responsables de ces objets en les montant, alors qu’ils ne les ont pas conçu. Ils n’ont pas un rapport neutre à l’objet qu’ils animent, ils participent à son existence. Ils les ont investit, leur ont donné de l’affect. À leur manière, ils combinent mes préoccupations, ergonomiques, constructives et narratives, le savoir être, le savoir faire et le savoir dire. J’ai essayé de les rendre intelligent, et par là, intelligible. Je ne les considère pas comme des objets figés, mais comme des objets en mouvement. Ils ne sont pas à moi, ils s’appartiennent comme des êtres éveillés.

Cette histoire a pris forme lentement, et tire son origine dans toutes ces expériences que porte une vie. À la rencontre de différents mondes, de mon grand-père patronnier qui dessinait ses pièces de chaussure en cherchant à optimiser au mieux la peau qu’il découpait, de ces maquettes de squelettes de dinosaures en balsa dont les chutes créaient de si belles ombres sur les murs, et enfin à toutes ces chaises dans lesquelles j’ai imprimé la trace de mes fesses en me disant que j’y était bien assis ou inversement qu’elles manquaient de douceur.

Le projet s’est concrétisé en découvrant qu’il existait des machines outils à commande numérique qui permettaient de découper un plan avec une précision parfaite. La perfection de la machine renvoyait à la perfection du dessin. Le plan ne pouvait pas être dessiné au hasard. Une fois découpé, il ne devait pas contenir de chute et chaque pièce devait avoir un rôle dans l’élévation de l’objet. Sur ce principe, la liberté de forme et de matière me parut vite infinie. A chaque nouvel essai, j’entrevoyais de nouvelles possibilités à explorer qui tout en conservant le même langage permettaient de l’étendre vers d’autres directions.

La fraiseuse numérique transcrit un dessin filaire en un objet réel. L’outil suit le tracé qui lui a été commandé et qu’il découpe à la surface des panneaux usinés. Au fur et à mesure de l’avancement de la tâche, le dessin se révèle avec de plus en plus de netteté. En le voyant, nous comprenons que ce n’est pas simplement une forme gravée dans du bois, il suggère une fonction. Certaine pièces nous apparaissent avec évidence, d’autres sont plus mystérieuses. Le passage au volume est un jeu de géométrie descriptive. Le dessin à plat suggère des points dans l’espace que nous devons réunir ; des croisement entre des segments, des plans et des volumes suggérés par des encoches.

Si la nature de l’objet nous est donnée dès la première étape de fabrication, l’impression qui semble dire que la machine nous livre un objet fini est bien trompeuse. Pour réellement exister, l’objet demande du temps, et pour qu’une chaise nous invite à nous asseoir avec chaleur, elle demande un soin que la machine ne peut lui apporter. C’est le contact de la main - et de l’esprit qui l’anime - qui rend l’objet confortable, vivable et donc vivant.

MA est un projet que j’ai commencé en Mars 2013, suite à une discussion avec Pierre Verry - qui cherchait alors à rendre la fabrication de meuble accessible à tous. Les prototypes furent réalisés au FabLab de Grenoble, avec l’assistance technique de Jean-Michel Molenaar et le soutient de La Casemate.

En Septembre 2013, des tables sont réalisées pour l’exposition "Collection de collections" de Laboratoire Sculpture Urbaine. Un mot est laissé à leur sujet par Guy et Nicole Schneegans, designer et écrivaine. Ils ont travaillé sur ce qu’ils appelaient le mobilier puzzle durant les années 70 et 80 et menèrent une large réflexion sur l’imbrication, la chute et le passage du plan au volume. Ils co-publièrent un livre à ce sujet "Mobilier Puzzle", préfacé par Jean Prouvé en 1984 - année de ma naissance. La découverte de leur travail - débuté quarante ans plus tôt - fut extrêmement enrichissante. Je constate avec amusement qu’ils avaient déjà réalisé le modèle de petite table ronde. À partir de l’hiver 2013, Margot Girardier se met à réfléchir à l’identité graphique de MA, avec l’envie d’imaginer à son tour des objets utilisant ce langage. Greg Avril propose d’organiser au Bauhaus une première exposition pour présenter ce projet durant le mois d’Avril 2014.

J’espère que cette histoire sera l’occasion d’autres belles rencontres.

>> Illustrations : Thomas Mouillon