Des moucherons qui… s'écoulent comme le miel !
Publié par Panos Tsimpoukis, le 14 octobre 2019 4.2k
Crédit photo: Hans Braxmeier, Pixabay
À peine a-t-on étalé notre serviette à l’ombre d’un arbre sur la plage et commencé à contempler la mer, qu’on aperçoit quelque chose qui avait échappé de notre attention jusqu’à maintenant : une nuée des moucherons qui volent d’une manière incompréhensible au-dessus de notre tête. On a beau essayer de s’en débarrasser avec des mouvements brusques de la main, loin de cesser de danser, ils continuent à tournoyer en l’air ou à osciller de droite à gauche. S’il vous est déjà arrivé de vous demander comment ces moucherons arrivent à coordonner leurs mouvements en apparence inutiles, vous n’êtes pas les seuls. Tout un champ scientifique tente de comprendre ces chorégraphies mystérieuses auxquelles s'adonnent certains genres d’animaux.
On observe ce comportement au sein des nuées d'oiseaux ou des bancs de poissons qui, alors qu’ils se déplacent dans une certaine direction, ils changent tout à coup leur trajectoire. De même, les fourmis, comme si elles connaissaient les coordonnées exactes de l’endroit où elles vont trouver de la nourriture, parcourent, comme commandées, de grandes distances, laissant un observateur extérieur penser qu’elles ont conscience de leur destination. Les biologistes emploient le terme d'émergence pour décrire l’apparition d’un comportement collectif à partir des mouvements individuels de chacun des membres d’une espèce animale.
Dans le but de comprendre la manière dont ce comportement collectif émerge, les chercheurs étudient les interactions entre les membres de certaines espèces. La recherche sur ce sujet s’est avérée fort fructueuse. Un exemple est celui des fourmis, qui construisent des « ponts » en utilisant leurs propres corps, pour que d’autres fourmis puissent traverser. Certaines études ont démontré que le contact physique entre leurs corps est un élément décisif pour la compréhension de ce comportement. Cependant, pour les oiseaux ou les moucherons, c’est une autre histoire : les membres d’une nuée n'étant pas en contact direct, leurs interactions restaient jusque-là mystérieuses pour les scientifiques.
Des chercheurs américains de l’Université de Stanford ont élaboré une approche originale pour déchiffrer le comportement collectif de ces animaux : ils ont étudié la nuée des moucherons sous l’angle de la mécanique des fluides. Ainsi, de même qu’on n’a pas besoin de se référer à la structure microscopique d’un matériau pour étudier ses propriétés macroscopiques, une nuée pourrait être étudiée dans sa totalité sans tenir compte des interactions particulières entre ses membres. En l’occurrence, l’équipe de chercheurs a élaboré des expériences visant à repérer si les mouvements d'une nuée de moucherons correspondent à certains motifs reconnaissables. Les résultats de cette étude, publiés dans la revue scientifique Science Advances, ont montré que ce motif existe et qu'il est semblable à l’écoulement du… miel !
Pour y arriver, les scientifiques ont étudié une espèce de moucherons appelée Chironomous riparius. Ils ont en premier lieu enfermé certains moucherons mâles et femelles dans une bouteille qu'ils ont posée sur un mécanisme oscillant. Quelques jours plus tard, toute une population des moucherons était apparue. Dans la bouteille oscillante, ils volaient de droite à gauche. Leurs mouvements étaient enregistrés et ont été analysés grâce à un logiciel informatique.
D'après ces résultats, ce sont les moucherons qui se trouvaient en bas de la bouteille qui donnaient le sens du mouvement à toute la population de moucherons, tandis que ceux qui se trouvaient en haut de la bouteille se contentaient de les suivre. Le mouvement d’ensemble était donc semblable à l’écoulement d’un liquide très visqueux, comme du miel. Effectivement, quand on verse du miel, on s’aperçoit que la partie haute du liquide semble suivre la partie basse.
Cette étude n’intéresse pas que les biologistes. Elle a des applications dans bien d'autres domaines. Car en perçant les secrets de l’émergence des comportements collectifs, les scientifiques seront en mesure de synchroniser les mouvements des drones, par exemple, et même comprendre la manière dont l’information se propage dans les réseaux sociaux.