Des matériaux vraiment révolutionnaires ?
Publié par Josephine Ziel, le 3 octobre 2014 5.4k
A une semaine des Fondamentales du CNRS, rencontre avec Vincent Bouchiat qui m’a parlé du graphène, de sa fabrication et de ses applications.
A l’Institut Néel, de nombreux chercheurs travaillent sur les matériaux d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Pour préparer les Fondamentales du CNRS ayant lieux les 10 et 11 octobre prochains, je suis allée à la rencontre de Vincent Bouchiat qui interviendra dans la table ronde "Des matériaux vraiment révolutionnaires". Ce chercheur, avec son équipe "Systèmes hybrides de basse dimensionnalité" à l’Institut Néel, concentre ses recherches sur le graphène.
Le graphène et ses moultes propriétés
Le graphène est une feuille en deux dimensions composée uniquement d'atomes de carbone. Un empilement de plusieurs monocouches de graphène est appelé le graphite. Auparavant, la synthèse du graphène se faisait par clivage de graphite que l’on trouve dans la nature, le graphène peut aujourd’hui être fabriqué en laboratoire. Une nouvelle technologie permet de faire croître le graphène par injection de gaz et d’obtenir ainsi cette couche 2D d'atomes de carbone.
Les propriétés du graphène sont multiples : il est un excellent conducteur électrique et thermique, possède une excellente résistance mécanique et une dureté importante. De plus ce matériau est étanche et biocompatible. Ces nombreuses propriétés rendent le graphène intéressant à étudier, car on peut aisément les combiner avec les propriétés d'autres matériaux. Il est possible à partir du graphène d’obtenir des systèmes hybrides en associant deux objets hétérogènes avec différentes propriétés. Sa forme de feuille 2D est facilement empilable avec d'autres matériaux 2D.
Les travaux réalisés au sein de l'équipe de Vincent Bouchiat portent sur la synthèse et le transfert de graphène, ainsi que sur l'étude des propriétés du graphène pur ou en combinaison avec d'autres matériaux. La vidéo ci-dessous (en anglais) résume les travaux menés.
Quelques exemples d'applications du graphène permettent d'envisager un vaste champ de possibilités:
- En empilant différentes couches, on peut par exemple faire varier les propriétés électroniques du matériau. Ces techniques pourraient permettre à terme de remplacer des électrodes. Grâce au graphène, les nouvelles électrodes seraient transparentes, plus flexibles, plus durables et moins polluantes.
- Les propriétés du graphène permettent de plus d’obtenir des membranes souples qui peuvent être facilement manipulées et suspendues. On peut par exemple déposer une couche de graphène sur un tapis d’objets piquants sans que celui-ci soit endommagé. L'image ci-dessous à été obtenue par un microscope à force atomique et montre une membrane de graphène déposée sur une grille de Silicium et suspendue au dessus d’une cavité cylindrique de 1 micromètre de diamètre. On peut donc imaginer poser une telle couche de graphène au-dessus de n'importe quelle autre structure...
© 2013 Cornelia Schwartz, Institut Néel, CNRS-Grenoble
- De même, on peut poser sur un feuillet de graphène des objets comme des molécules ou des quantum dots. L’étanchéité et la biocompatibilité de ce matériau permettent de mesurer le signal électrique de l’activité de neurones. L’interaction entre les différents atomes du carbone peut être représentée par l’image d’un l’échiquier. En effet, chaque élément posé à la surface est en interaction avec les objets qui l'entourent : les objets peuvent être atirés les uns par les autres ou au contraire repoussés. En changeant la configuration de la surface, on peut alors changer l'interaction des objets qui se trouvent dessus. On peut alors imaginer appliquer un champ électrique sur la feuille de graphène, ou faire des trous dans le matériaux par réaction chimique. On changera alors à chaque fois les propriétés de la feuille de graphène et ainsi les interactions entre les différents objets posés à la surface.
Le matériau de demain ?
Le graphène est produit à partir d’objets simples. Ainsi, ce matériau peut répondre aux défis de demain comme la disponibilité des ressources. De faible coût, le graphène est de plus non polluant et recyclable. Son principal avantage est qu’il est possible de l’intégrer dans différents environnements. Dans un monde où le développement durable et notre attention à l'environnement prend beaucoup d'importance, le graphène sera d'un grand avantage!
A la question "est-ce que le graphène est le matériau révolutionnaire de demain ?", Vincent Bouchiat souhaite plutôt parler d’une « révolution tranquille ». Les fonctions du feuillet de graphène dépendront de sa forme et l’assemblage. Le fait de coupler différentes couches minces par forces électriques, pour passer de couches à deux dimensions à un objet en trois dimensions, permet de combiner au mieux les propriétés de différents matériaux.
Un cadre unique
Ces travaux, Vincent Bouchiat les mène dans un cadre unique à ses yeux. Le fait de pouvoir expérimenter en toute liberté, de tester des idées par manipulation, est unique au CNRS. Il s’agit d’un vrai contrat de confiance avec les chercheurs. Dans cette structure, les chercheurs ne sont pas seuls mais la mise en synergie de compétences complémentaires et la mise en commun de moyens techniques permet des avancées communes. Lors de notre discussion, Vincent Bouchiat a souligné à plusieurs reprises que le travail dont il nous parle aujourd’hui est le fruit des recherches d’une équipe composée de chercheurs et chercheuses !
Chercheurs et société
A ma question sur le rôle du chercheur auprès de la société et inversement, Vincent Bouchiat a répondu avec conviction : 'Il y a 20 ans, il y avait des moyens pour réaliser nos objectifs. Aujourd’hui, la recherche est financée en grande partie par projets fléchés. L’enjeu sociétal est donc de montrer que la recherche est un moyen d’avancer. Le cycle pour réaliser une découverte est en moyenne de 20 à 30 ans. Par exemple, le laser a mis environ 30 ans à être diffusé et aujourd’hui cet outil est implanté comme bienfait pour la société. Dans une société vendeuse de court terme, le temps chercheurs qui se compte en années suscite souvent l’incompréhension. Il faut faire comprendre que les temps d’action et de maturation des idées doivent être respectés. La recherche fondamentale doit être libérée de cette contrainte de temps.
D’autre part, les chercheurs ont un rôle pédagogique. Le divorce entre la « science froide » et la société est mauvais pour le renouvellement des générations de chercheurs. Le public est curieux de savoir comment les travaux peuvent être utiles. Pour répondre à cette demande de compréhension, les chercheurs ont un devoir de vulgarisation. Il faut être conscient qu’il n’y a pas d’avancées sans risque, et que l’honnêteté des chercheurs face au public aidera à gagner sa confiance. C'est donc main dans la main, que nous pouvons essayer de comprendre notre monde".
De son côté, Vincent Bouchiat vulgarise volontairement les travaux scientifiques en répondant aux demandes. Dernièrement, lors de l’université d’été des socialistes, le chercheur a parlé de la place de l’innovation dans la transition énergétique. Quant à ses travaux sur le graphène, il a régulièrement l’occasion d’en parler, par exemple dans Sciences et Avenir ou dans Le Monde.
Nous vous donnons rendez-vous le 11 octobre pour discuter de graphène, et des matériaux de demain!
>> Illustrations: Vincent Bouchiat, Institut Néel, Cornelia Schwartz, AlexanderAlUS