Des jeux Arts & Sciences à Experimenta 2020 : Entretien avec Robin Baumgarten, développeur

Publié par Marlene Ason, le 27 février 2020   2k

Robin Baumgarten est développeur de jeu indépendant spécialisé dans la conception d'installations physiques jouables. Il était présent à Experimenta 2020, la 10ème édition de biennale Arts Sciences pilotée par l'Hexagone Scène Nationale Arts Sciences qui se déroulait cette année à la maison Minatec du 11 au 21 février.

Dans ses valises, deux jeux un peu particuliers tout en ressorts et de lumières, qui ont attiré les curieux, petits et grands, pendant toute la durée du salon... Ca faisait bip, ça faisait zoum, ça clignotait, ça faisait de belles vagues arc-en-ciel, et surtout ça captait le regard et l'attention comme jamais.

J'ai eu l'opportunité de m'entretenir avec Robin lors du Salon Experimenta samedi dernier, juste devant sa dernière création, Quantum Garden. Nous avons pu parler de ses installations, de game design, de gamification, et du processus de création de jeux aussi uniques que Quantum Garden et Line Wobbler.

Robin Baumgarten | Crédit : Sébastien Floc'hlay

Entretien avec Robin Baumgarten, développeur de jeux indépendant

(Entretien traduit de l'anglais au français et retravaillé)

Marlene : Bonjour, je suis aujourd’hui avec toi, Robin Baumgarten. Nous sommes en France actuellement, d’où viens-tu de ton côté ?

Robin : Je suis allemand, mais je vis au Royaume-Uni à Londres. Je montre mes trucs un peu partout dans le monde et j’espère que ça va continuer.

Tu disais avoir un passé dans le game design et les jeux vidéos ?

J’ai fait des études en informatique et j’ai travaillé dans le développement de jeux mobiles. Je faisais des jeux mobiles pour Android et du développement sur Unity, et c’est de là que mes tests pour Line Wobbler et d’autres expériences ont commencé.

Tu es l’artiste derrière Line Wobbler et Quantum Garden qu’on peut voir exposés ici. Peux-tu nous les expliquer un peu ?

Quantum Garden est une installation interactive qui permet de visualiser des concepts scientifiques. Dans ce cas précis les particules quantiques, comment elles bougent et interagissent les unes avec les autres, à quel point elles sont impossibles à trouver, et la manière dont elles s’effondrent quand on les observe. Je l’ai fait en collaboration avec une université. J’ai essayé de la rendre aussi jolie que possible tout en montrant le concept scientifique. Du coup même si des enfants y jouent, ils ne savent pas vraiment ce qui se passe mais ils passent un bon moment.

Quantum Garden | Crédit : Eric Pessarelli

L’autre installation c’est Line Wobbler. C’est un dungeon crawler (nldr : jeu donjon-rpg) jouable sur une bande LED de 5m de long. On le contrôle avec une manette à ressorts, une nouvelle manette que j’ai construit moi-même, tu peux faire plier le ressort et bouger le long de cette bande. Même si ce n’est qu’en une seule dimension, on y trouve un gameplay engageant et amusant, avec des sons, des ennemis et des obstacles variés, et même un combat de boss à la fin. Ce sont les deux installations qu’on trouve ici.

Line Wobbler | Crédit : Marlene Ason

Jeux, science et gamification

Tu as choisi d’associer des scientifiques à ton prototype Quantum Garden, qu’est-ce qui rend ça intéressant ?

J’ai des amis à l’université qui travaillent dans la recherche ludique. Un de ces amis a proposé mon œuvre à un chercheur en physique quantique. Ils cherchaient à cette époque des œuvres, qu’elles soient déjà faites ou à créer sur place, pour mettre en avant la physique quantique. J’ai décidé « ok, travaillons ensemble. Tu me fournis des algorithmes et des mouvements intéressants, et je construis une installation basée dessus. » 

Penses-tu que les gens comprennent les bases de la physique quantique grâce à ton jeu ? Comment ça marche ?

Je ne le vois pas vraiment comme un outil éducatif, mais plutôt comme un outil d’inspiration. On peut voir les effets de la physique quantique en jouant avec cette installation. Mais ce sont des sujets très compliqués, les ordinateurs quantiques et la physique quantique. Je ne crois pas que les gens les comprennent bien avec l’installation mais ça leur dégrossit l’idée, surtout quand on ajoute l’explication du médiateur qui la leur montre.

Penses-tu que tes installations fonctionneraient sans médiateur pour expliquer les mécaniques ou les concepts ?

Oui, j’essaie de les rendre les plus interactives et jolies possibles, de manière à ce qu’on puisse y jouer sans explication préalable et quand même les voir réagir de manière satisfaisante. Mais je ne pense pas qu’on puisse comprendre la science derrière si personne ne l’explique.

Une médiatrice explique Quantum Garden | Crédit : Eric Pessarelli

Du coup c’est plutôt un point d’entrée vers la physique quantique qu’une explication ?

Oui, c’est une manière pour les gens de s’intéresser à la science. Par ailleurs, certains chercheurs aiment bien jouer avec pour voir certains effets. On peut voir les interférences destructrices sur les ondes sur mon installation grâce aux algorithmes codés dedans.

Au sujet de la gamification, tu travailles en ce moment avec des scientifiques. Que penses-tu de la ludification liée aux sciences, par rapport à la médiation traditionnelle dans les musées, les expositions et les salons ? Est-ce que tu penses que ça va se développer à l’avenir ?

Oui je pense. C’est toujours difficile de voir où va la ludification et ce que ça peut produire de bien, mais je pense que c’est un bon moyen de transmettre des concepts complexes pour les personnes apprenantes, les enfants mais aussi les adultes intéressés par un nouveau domaine.  J’ai vu beaucoup de tentatives infructueuses. C’est difficile de trouver le bon équilibre et de rendre le jeu fun tout en étant éducatif.

Un conseil pour les gens qui veulent s’investir dans la ludification des sciences ?

R : Pour moi, c’est d’abord un jeu, avant d’être éducatif. Il faut étudier précisément ce qui rend les jeux fun, et incorporer ces éléments de fun dans l’éducation. Ca n’a pas forcément besoin d’être un jeu. Peut-être juste une interaction plaisante, sans forcément avoir un but à atteindre ou un score à dépasser. Il y a beaucoup de choses à apprendre et beaucoup d’études à ce sujet, j’encourage plutôt les gens à faire leurs propres recherches.

Comment passer d'une idée à un jeu

Tu as utilisé des concepts de design de jeux vidéo pour créer tes installations. Pourquoi as-tu fait la transition des jeux vidéo aux installations physiques ?

Ca a été une transition fluide pour moi. J’ai beaucoup expérimenté lors de Game Jams et d’autres évènements, afin de voir ce que je pouvais construire, souvent en partant de mécaniques simples et en complexifiant ensuite. Par exemple, pour Line Wobbler, il y avait une bande LED qui traînait, je me suis dit « on peut tenter de faire un jeu sur cette bande LED avec la manette à ressort ». Le jeu s’est fait tout seul une fois qu’on a rassemblé ces deux éléments. On parle de game design émergent. C’était cool, et quand on le lâchait et qu’il oscillait, on aurait dit qu’il était un peu violent et que ça pourrait être une attaque, et donc il fallait ajouter des ennemis. A ce stade, on avait un point qui se déplace, des ennemis, que pouvait-on ajouter de plus ?

La manette à ressort en action | Crédit : Eric Pessarelli

Pour revenir sur ce que tu dis sur le fait de te baser sur des mécaniques très simples, peux-tu expliquer ce processus ?

Quand je commence à bidouiller, j’ai cette mécanique clef ou ce « truc » initial, ce concept clef, ça peut être le mouvement de l’objet physique, ou un capteur qui sort des données intéressantes. J’utilise ça au départ et ensuite j’essaie de trouver une mécanique de jeu ou un concept de gameplay intéressant. Evidemment, ça n’arrive pas souvent. Il y a beaucoup d’expérimentations et d’échec. C’est très important, on dirait que c’est facile quand on ne voit que les réussites, mais ça le n’est pas. Line Wobbler est peut-être le meilleur exemple. Ca a marché tout de suite, l’idée coulait de source, mais pour Quantum Garden, je suis encore à la recherche d’un jeu qui se base dessus. J’ai des prototypes, mais aucun n’est vraiment ce que je cherche.

Tu dis que Line Wobbler est conçu pour être fun. Connais-tu le concept de “juiciness” dans les jeux vidéo ? Peux-tu nous expliquer ce qu’est le “juiciness” ?

Le "juiciness”, c’est basiquement prendre un concept de jeu et y rajouter des effets pour le rendre plus intéressant. On peut utiliser plein de choses en ce sens, les secousses de l’écran (ndlr : screenshake), l’amplitude d’écrasement ou de rebond, ou la fluidité (ndlr : squishiness, bounciness or smoothness). Pour Line Wobbler, c’est très minimal comme zone de jeu. J’essaie de le rendre “juicy” en le rendant le plus fluide possible. C’est à 120 fps maintenant, c’est plus fluide qu’un écran, c’est plus lumineux qu’un écran, et ça réagit super vite, il n’y a aucun lag entre l’action et la réaction. Du point de vue du gameplay, il n’y a aucun temps de pause, tu peux toujours… Il y a une immédiateté, une corrélation entre ce que tu fais et ce qui arrive dans le jeu.

Le "juiciness" passe aussi par les effets lumineux et sonores | Crédit : Eric Pessarelli

Montres-tu tes installations ailleurs que dans les expositions ? Tu les loues, tu les vends, tu les mets dans des salles d’arcades ou des game labs ?

C’est exactement ce que je fais, surtout avec Line Wobbler. Ca a commencé comme une bidouille liée au jeu. Vu que j’ai travaillé dans les jeux vidéo avant, je l’ai montré à beaucoup d’évènements de jeux vidéo. De là, je vois où ça peut me mener. J’en ai quelques uns dans les musées, d’autres dans des salons comme celui-là, mais je suis aussi en discussion avec des salles d’arcade. D’ailleurs, certains des Line Wobblers sont dans des salles d’arcade aux Etats-Unis, c’est assez intéressant, et à Berlin. C’est ça qui est intéressant à découvrir, si c’est une oeuvre d’art, une installation, un jeu vidéo, ou même un jouet. C’est un peu de tout ça pour moi, et je suis encore en train de voir ce qui marche et ce qui est sympa à faire.

Le mot de la fin

Tu es venu nous présenter deux projets aujourd’hui. D’autres projets en préparation ?

En fait cette année je vais surtout consacrer plus de temps à ces deux projets, surtout pour les agrandir. Avec Quantum Garden j’ai envie de le faire plus grand, de voir si je peux en faire une version de six mètres de long sur un mur. Evidemment se pose la question du coût et du lieu. Pour Line Wobbler c’est la même idée, j’aimerais en faire un sur la façade d’un immeuble, peut-être pour un festival des lumières ou un truc du genre. Dans le futur on verra, j’ai quelques nouvelles idées mais rien de très concret pour l’instant.



Retrouvez les créations de Robin Baumgarten sur son site web et sur Twitter.

Un grand merci à Robin Baumgarten pour sa gentillesse et sa spontanéité ainsi qu'à Sébastien Floc'hlay pour la captation audio et vidéo de l'interview.