Des couleurs éternellement vives grâce à l’étude du plumage du geai ?
Publié par Esrf Synchrotron, le 22 décembre 2015 10k
Les scientifiques savent maintenant pourquoi les oiseaux ont des plumes qui ne ternissent pas avec l’âge, pourquoi le geai a un plumage bleu intense et inaltérable. Une équipe scientifique de l’Université de Sheffield, Grande-Bretagne, a utilisé les rayons X du synchrotron européen de Grenoble, l’ESRF, pour étudier les plumes bleues et blanches du geai. Ils ont découvert que les couleurs vives de son plumage étaient liées non pas à des pigments mais aux modifications de la nanostructure de ses plumes. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives dans la création de couleurs synthétiques pour les peintures et les vêtements, qui ne terniraient plus. Ou quand la nature inspire la création de nouveaux matériaux !
L’étude du plumage du geai à la lumière du synchrotron de Grenoble
Pourquoi, contrairement à nos cheveux qui deviennent gris avec l’âge, les plumages des oiseaux gardent toujours ces belles couleurs vives. Ce mystère de la Nature resté longtemps sans réponse a pu être résolu par une équipe scientifique de l’Université de Sheffield, grâce à l’utilisation des techniques synchrotron de la ligne de lumière ID02, à l’ESRF.
Image de la plume scannée à la lumière synchrotron
Cette découverte a pu être faite grâce à la modernisation des lignes de lumière de l’ESRF, qui offrent désormais des solutions technologiques inégalées pour l’exploration de la matière. Comme le précise Sylvain Prévost, scientifique sur la ligne ID02, à l’ESRF, « cette expérience illustre le caractère unique de la ligne de lumière ID02, instrument DXPA à très haut flux, qui a fait l'objet d'une ambitieuse remise à niveau. Le nouvel ID02 permet d'accéder de façon inédite à des dimensions couvrant depuis les distances interatomiques jusqu'aux micromètres (0.2 - 5 000 nm) pour des temps de mesure de l'ordre de la milliseconde. La longueur unique de cet instrument a permis, pour cette experience, de donner accès aux plus grandes dimensions autour du micromètre, et ainsi de mieux comprendre les phénomènes d'interactions avec la lumière visible. Je suis très heureux de constater qu’une fois de plus les techniques de rayonnement synchrotron, en particulier la diffusion de rayons X aux petits angles DXPA, technique non destructive d'étude de la matière à l'échelle nanoscopique, permettent d’élucider certains des mystères de la Nature.”
Les scientifiques ont découvert qu’au lieu de pigments (comme pour nos cheveux) qui se terniraient avec le temps, les oiseaux utilisent des changements bien contrôlés de la nanostructure de leurs plumes pour obtenir leurs couleurs vives.
La plume du geai, qui va de la couleur ultraviolette au bleu vif en passant par le blanc, est constituée de kératine spongieuse, composée de nanostructures, identique à la matière des cheveux ou ongles. Les scientifiques ont découvert que le geai est capable de contrôler très précisément la taille des orifices de cette structure spongieuse, déterminant ainsi la couleur perçue de la plume. Comme l’explique Dr Andrew Parnell, du département de physique et astronomie à l’Université de Sheffield, « nous avons découvert comment était formée et contrôlée la nanostructure à l’origine de la couleur du plumage du geai, en ajustant la taille et la densité des orifices de la structure spongieuse. »
Lorsque la lumière éclaire la plume, la taille des orifices détermine la façon dont la lumière est diffractée et la couleur réfléchie. En conséquence, plus les orifices sont grands, plus la plage de longueurs d’onde de la lumière réfléchie est grande, ce qui produit la couleur blanche. Un orifice plus petit, avec une structure plus compacte, produit une couleur bleue.
Si les couleurs étaient formées de pigments, comme pour nos cheveux, la couleur des plumes se ternirait avec le temps, deviendrait grisâtre. Or, dans le cas du geai, la nature ayant développé une manière de créer des couleurs à partir de changements structurels, la nanostructure des plumes reste intacte, expliquant pourquoi le plumage du geai ne devient pas gris avec l’âge.
La nanostructure spongieuse responsable de la couleur des plumes du geai - Images ESRF
S’inspirer de la Nature pour imaginer de nouveaux matériaux
Pour Andrew Parnell, cela ouvre de nouvelles perspectives pour imaginer de nouveaux matériaux "Cette découverte signifie qu’à l’avenir, nous pourrions peut-être créer des couleurs synthétiques aussi durables pour les vêtements, matériaux. Les technologies actuelles ne permettent pas de fabriquer des couleurs avec ce niveau de contrôle et de précision : nous utilisons toujours des pigments et des colorants. Maintenant que nous avons réussi à percer certains des mystères de la Nature, nous pouvons commencer à essayer de développer de nouveaux matériaux, comme des vêtements ou des peintures utilisant cette approche par nanostructure. Potentiellement, cela pourrait signifier que grâce à cette méthode, on pourrait créer un pull rouge qui ne ternirait pas au lavage!”
Un des scientifiques de l'Université de Sheffield examinant les échantillons installés sur la ligne de lumière ID02 de l’ESRF, Grenoble
Ces travaux permettent également d’expliquer d’autres mystères de la Nature : pourquoi les verts structurels non irisés sont si rares dans la nature, ou encore pourquoi la rainette, cette petite grenouille au vert vif, devient bleue après sa mort. Comme l’explique Adam Washington, docteur à l’Université de Sheffield “Ceci s’explique par le fait que pour créer la couleur verte, il faut une longueur d'onde très complexe et étroite, ce qui est particulièrement difficile à obtenir par changements de la nanostructure. Par conséquent, la manière qu’a trouvé la nature pour contourner cela et créer la couleur verte - une couleur de camouflage évidente - est de mélanger la structure du bleu, comme celle du Geai, avec un pigment jaune qui absorbe une partie de la couleur bleue ". Ainsi, quand la grenouille meurt, le pigment jaune se désintègre rapidement, laissant la seule structure du bleu apparaître.
Vue aérienne de l'ESRF @Pierre Jayet