Des composants électroniques aux mini-ordinateurs industriels français
Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 12 juillet 2024 540
La place des technologies issues de l'informatique dans la gestion des procédés industriels (contribution ACONIT – René Gindre, Xavier Hiron)
Les premiers calculateurs scientifiques français associent massivement, depuis le début des années 1950, des relais et des tubes électroniques, composants de base du calcul analogique (machines pour lesquelles les données sont transmises via un courant modulé et dont les composants sont reliés entre eux par un circuit câblé).
La SEA, créée par l’ingénieur François-Henri Raymond, fut une firme parisienne déterminante pour l’essor de ce secteur du calcul industriel français. Parmi ses réalisations, on peut citer le calculateur OME P2, dont un exemplaire classé Monument Historique est conservé à Grenoble par l’association ACONIT. Parallèlement, une production de composants électroniques s’installe dans la proche banlieue de Grenoble dans le courant des années 1950, avec notamment la branche française Thomson-CSF du géant américain du secteur de l’électronique. Cependant, dès 1955 et avec l’apparition successive de composants nouveaux comme le transistor, la mémoire à tores et les circuits imprimés, ces calculateurs vont basculer progressivement vers une technologie numérique, dans laquelle l’information est traitée sous forme binaire.
La machine emblématique de cette période de transition est l’ordinateur Bull Gamma 3 ET, lequel associe la mécanographie, toujours très vivace dans le monde industriel de l’époque, à un tableau de programmation câblé, et doublé d’un tambour magnétique, préfiguration de ce qui deviendra la mémoire vive. Viendra ensuite, en 1958, la création, sur le campus de Saint-Martin d’Hères, du Laboratoire d’Automatique de - l’Université de - Grenoble (LAG), qui cherchera à intégrer ces composants nouveaux, notamment la mémoire à tores, développée en France par l’informaticienne Alice Recoque, pour assurer le contrôle, la commande et l’automatisation des processus industriels. Le LAG, dirigé par son fondateur René Perret, créera notamment le MAT 01 qu’il fera produire à une douzaine d’exemplaires par la firme Mors. Cette innovation deviendra le prototype d’une nouvelle génération de machines appelées mini-ordinateurs. Cette firme Mors sera ensuite cédée à la Télémécanique, branche Électrique, en 1967.
La période 1967-1988 est marquée par le succès de la branche grenobloise de la Télémécanique pour la fabrication des calculateurs destinés au secteur industriel des mini-ordinateurs, profitant du grand dynamisme de la recherche en électronique et en informatique de l’environnement grenoblois. Elle va mettre sur le marché une gamme complète de calculateurs utilisant des mots de 19 bits pour le contrôle de procédés :
- en 1968 : le T2000 (700 à 800 exemplaires), qui recevra un prix de design industriel ;
- en 1969 : le T1000 (version réduite du précédent) ;
- en 1970 : le T1600 (produit à quelques milliers d’exemplaires et utilisant des mots de 16 bits – cet ordinateur servira notamment au développement des langages Prolog et LSE).
A partir de 1971, les perspectives de recherche et développement dans le domaine de l'électronique pour le laboratoire LETI du CEA-Grenoble, qui emploie déjà près de 2 000 personnes, dépassent le cadre du seul secteur nucléaire. Elles sont stimulées par une forte demande de calculateurs pour d'autres types de procédés industriels. Un rapprochement s’opère avec la firme Télémécanique. Mais le site grenoblois de cette dernière, avec ses 300 salariés, tourne déjà à plein régime, et dans le but d’absorber ces demandes nouvelles, la Télémécanique est obligée d'ouvrir une seconde usine à Echirolles, employant cette fois 800 personnes, pour la conception matérielle puis logicielle, ainsi que pour l'intégration et la maintenance des ordinateurs. La production des cartes est réalisée à Caros, dans les Alpes-Maritimes, et l'assemblage des modules à Crolles, toujours près de Grenoble.
Entre 1973 et 1975, l’entreprise conçoit à Echirolles sa gamme de mini-ordinateurs Solar, grâce à la collaboration d’une équipe franco-américaine dirigée par Jesse T. Quatse, générant un grand succès commercial de plus de 16 000 exemplaires vendus. Leur conception se base sur l’emploi de nouveaux micro-processeurs de conception américaine associés directement à la carte mère, et que l’on appelle des Central Processing Unit – ou CPU. La gamme comprend alors trois modèles :
- le SOLAR 16-65, haut de gamme à CPU de 16 bits ;
- le SOLAR 16-40, milieu de gamme à CPU de 16 bits ;
- le SOLAR 16-05, gamme très économique à CPU de 16 bits, mais doublé d'une Unité Arithmétique Logique (ALU) de 4 bits seulement, ce qui implique quatre temps de traitement pour chaque calcul et rend cet ordinateur plus lent.
Mais en 1976, dans le cadre du Plan calcul et pour tenter de résister à la concurrence américaine, l'État français pousse la Télémécanique à se séparer de sa division Informatique, qui fusionne alors avec le département Petits ordinateurs et systèmes de la Compagnie Internationale pour l'Informatique (la CII-Honeywell Bull), pour former la Société Européenne de Mini-Informatique et de Systèmes (SEMS), filiale du groupe Thomson. La CII produisait déjà, et ce depuis 1971, sa propre gamme Mitra de mini-ordinateurs, concurrente directe du Solar. Les deux lignes de produits coexisteront à la SEMS, la fabrication des Mitra étant, elle aussi, transférée de Toulouse à Crolles. Puis la CII développera ses propres modèles spécialement conçus pour les nouveaux besoins scientifiques : les versions 115 et 215 du Mitra, ainsi que 4 versions successives de l’Iris (45, 50, 60 et 80). Parallèlement, la CII développera des langages machine innovants (dont ADA et le projet SFER) et investira très tôt dans les réseaux informatiques à distance. Commercialisés de 1971 à 1985, le Mitra 15, de taille réduite, et l'Iris 80, de plus grande ampleur, sont des ordinateurs qui permettaient de fonctionner en relation avec de grands systèmes informatiques tels que ceux produits par IBM. Au total, près de 8 000 exemplaires de ces deux ordinateurs ont été fabriqués.
Ainsi, l’informatique grenobloise aura-t-elle fortement contribué à l’essor du secteur de la recherche et développement à vocation industrielle français et aux aventures technologiques remarquables dont ces avancées sont porteuses.
Pour aller plus loin
SEA : https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_d%27%C3%A9lectronique_et_d%27automatisme
Télémécanique : https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9m%C3%A9canique
Gamme Solar : https://fr.wikipedia.org/wiki/Solar_(ordinateur)
Ainsi que le très intéressant article de 1984 sur l'essaimage de la Télémécanique, accessible en PDF, en partie supérieure de la colonne de gauche.