Des aurores bleues dans l’atmosphère martienne
Publié par Jean Lilensten, le 29 juin 2015 4.4k
Le planétologue Jean Lilensten nous raconte la découverte d'aurores polaires sur Mars... ainsi que de l'emballement médiatique qui a suivi une annonce de la NASA.
En 2005, l’instrument SPICAM à bord du satellite de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) Mars Express observe le rayonnement ultraviolet (UV) de Mars. Par des manœuvres de dépointage, qui ne peuvent s’effectuer trop souvent, il permet également d’observer le rayonnement de l’atmosphère de la planète rouge, sur le fond noir du ciel. Or, chaque fois que Mars Express survole une anomalie magnétique, c’est à dire une zone où le champ magnétique crustal est intense, on constate que le rayonnement UV atmosphérique s’amplifie.
Jean-Loup Bertaux, le "principal investigateur" de SPICAM se doute bien qu’il s’agit d’électrons du vent solaire qui excitent le dioxyde de carbone atmosphérique et créent des aurores, comparables à nos aurores boréales. L’équipe de planétologie de Grenoble, et en particulier Olivier Witasse et Jean Lilensten, confirme par le calcul qu’il s’agit bien d’aurores dues à des énergies électroniques de l’ordre de 500 électrons-volts (eV). L’article est publié dans Nature en 2005 : nous avons découvert les aurores martiennes. Simplement, comme elles se produisent dans une longueur d’onde invisible à l’œil humain, la nouvelle est faiblement médiatisée.
En parallèle, la communauté scientifique s’attaque à un mystère martien : Il y a trois milliards et demi d’années, l'atmosphère de la planète était au moins de 2 bars – minimum nécessaire pour maintenir de l’eau liquide sous du dioxyde de carbone – or, aujourd’hui que l’eau a disparu, l’atmosphère de Mars est cent fois plus ténue que celle de la Terre. Dans la décennie suivant la publication sur les aurores se dessine un scénario probable. Tout d’abord, un échappement de l'atmosphère dit « catastrophique », dû à un bombardement incessant d’astéroïdes, à un volcanisme éruptif d’une échelle inconnue sur Terre. Puis, au cours des millénaires, une rape douce mais permanente due d’une part au vent solaire, d’autre part à son rayonnement. C’est l’américaine Janet Luhman et le français François Leblanc qui démontrent le mécanisme du vent solaire, et c’est l’équipe grenobloise qui explique celui du rayonnement solaire (Lilensten et al., 2013).
La NASA souhaite la preuve expérimentale de ce mécanisme et envoie le satellite MAVEN en 2013. Les résultats ne sont pas encore publiés, et les équipes y travaillent. Mais déjà, MAVEN confirme en janvier 2015 les observations aurorales dans l’ultraviolet que nous avions faites dix ans plus tôt. Entre 2007 et 2013, nos équipes continuent la comparaison des données SPICAM et de notre modèle, et en parallèle, la première Planeterrella est créée.
Une polémique scientifique se développe autour des énergies électroniques à l’origine des aurores : 500 eV ou plus ? Pour en avoir le cœur net, la Planeterrella est remplie de dioxyde de carbone. Nous faisons l’expérience en avril 2015. Et à notre grande surprise, nous observons des aurores bleues. De retour au labo, un peu de bibliographie nous apprend que ce rayonnement, dû à la bande Fox-Duffenbak-Barker du CO2, est bien connue des spectroscopistes. Nous introduisons les données atomiques de la bande FDB dans notre code ionosphérique et nous pouvons modéliser l’émission dans la Planeterrella. Mais pour Mars, il nous faut connaître l’énergie des précipitations la nuit, au dessus des anomalies magnétiques.
Au plus grand meeting européen de géophysique, l’assemblée générale de l’EGU, Andréa Opitz, jeune chercheuse de l’ESA, montre les données de Venus Express, le clone de Mars express qui observe Vénus. Elles peuvent être facilement extrapolées sur Mars et nous pouvons terminer nos calculs : les aurores martiennes sont visibles à l’œil nu. En plus du bleu à 140 km, les aurores sont vertes et, plus haut, rouges (à 160 kilomètre). L’article paraît dans Planetary and Space Science le 26 mai 2015 (Lilensten et al., 2015). La NASA et le CNRS publient leurs communiqués de presse, ainsi que l’Université d’Aalto, et celle de Hongrie où travaillent des co-auteurs (lire notamment les articles de l'INSU, de l'OSUG, de l'Université d'Aalto et de la NASA).
Immédiatement, la nouvelle fait le tour du Web. La NASA la poste sur sa page de garde. Il n’en faut pas plus pour que les internautes lui attribuent la découverte, à notre grand amusement. Les sites se multiplient, la nouvelle devient virale… Quelques exemples avec les sites ou blogs suivants : IFLScience, Il notiziario online dell'Istituto Nazionale di Astrofisica, Verkkouutiset, Uusi Suomi, Science Newsline, United Press International, Science Daily, Buke Hiziroglu, Astrobiology Magazine, Tech Times, Motherboard, Futura-Sciences, Chroniques de l'espace-temps, Sky at Night Magazine ainsi que les vidéos de GeoBeats News et Fun with Knowledge.
Une recherche sur « blue aurora mars » donne rapidement des milliers, puis des centaines de milliers de réponses, jusqu’à 2 millions, plus encore en espagnol. Ce qui nous amuse le plus, c’est que les trois photo-montages que nous avions préparés se retrouvent partout et deviennent très rapidement « les premières photos des aurores bleues martiennes prises par la NASA ». Certains en font même des films …
Une interprétation par les co-auteurs de l'article scientifique, montrant à quoi les aurores martiennes bleues doivent ressembler, vues par le rover de la NASA Curiosity, à proximité des anomalies magnétiques de Mars. En réalité, ce bleu se mêle de vert, et au dessus se trouve une couche rouge !
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>> Crédits : la photo de Une est un photomontage par NASA / JPL-Caltech / MSSS et Cyril Simon Wedlund (Aalto Univ.) / David Bernard (IPAG - CNRS - IUT Montpellier), les photos de la Planeterrella ont été réalisées par l'IPAG, la deuxième photo avec Curiosity (en fin d'article) est un photomontage par NASA / JPL-Caltech / MSSS et David Bernard (IPAG - CNRS - IUT Montpellier)