Définissons le virtuel (petit billet d’humeur)
Publié par Xavier Hiron, le 1 juillet 2021 1.1k
Eléphant d’Afrique n°13, fichier numérique retravaillé et saturé
© Xavier Hiron, 2019
Le terme virtuel présente souvent, à nos yeux, une définition à la fois vague et imprécise, du fait qu’il fait référence à une notion qui ne possède pas en soi de consistance. En effet, Wikipédia définit cette représentation en tant que « ce qui n’est seulement qu’en puissance ». En d’autres termes, il s’agit d’exprimer une réalité autre, qui n’est donc pas la réalité en elle-même. C’est-à-dire une réalité qui n’est ni concrète ni palpable. Cette constatation contient l’ambiguïté existentielle que porte en elle cette évocation d’un monde marginal.
Cependant, sa présence ni sa matérialité ne peuvent être niées. Elles nous environnent même au quotidien, ayant prit de l’ampleur avec l’essor des outils du numérique. Ceci n’est pas sans poser des questions de positionnement : comment doit-on aborder, voire différencier ces deux approches diamétralement opposées du réel ? Ou, au contraire, doit-on accepter de les amalgamer sans distinction, pour les faire se confondre dans une seule et même entité ? Et quels sont les enjeux individuels et sociétaux qui se cachent derrière ces deux approches de nos existences ?
Le meilleur exemple que l’on puisse donner de cette ambiguïté latente concerne, justement, le domaine du numérique. Si les contenus qui passent par nos réseaux de fibres, notamment, ne sont pas en soi palpables, les supports qu’ils utilisent forment un parc matériel sans commune mesure avec les outils que l’homme a pu s’inventer par le passé. Cela génère d’ailleurs une consommation d’énergie d’une teneur jamais égalée jusqu'à présent. Pire, derrière chaque contenu que l’on pense être virtuel se cache, la plupart du temps, un opérateur en chair et en os. Ou quand bien même il s’agirait d’un opérateur de type robotisé, il y a toutes les chances pour qu’il ait été pensé et programmé par des humains. Ne désignerait-on pas, finalement et dans ce cas précis, par le terme de virtuel le fait que nos supports de communication ont progressivement changé, dans le prolongement de notre constante évolution technologique ?
C’est ce que nous allons examiner de plus près, dans le but de mieux comprendre notre fonctionnement intellectuel et émotionnel, afin d’en déterminer quel est le bon positionnement que l’homme peut attendre de ce domaine émanant de sa propre pensée.
Pour tenter de cerner cette notion, il convient de commencer par faire un parallèle entre ce que l’homme perçoit directement de son environnement sensible et ce que sa pensée est capable de projeter intellectuellement, volontairement ou non. Ainsi, lorsque l’homme rêve en dehors de toute attache rationnelle (la première activité naturelle de son subconscient), il se crée en lui-même une virtualité dont il n’est pas totalement maître, bien qu’il en soit indubitablement la source. Toute la notion de virtuel semble ici se rattacher à cette distance incontrôlée (et incontrôlable) entre produire soi-même une réalité surnuméraire et se l’accaparer en tant que vérité induite. J’entends par vérité induite que celle-ci affecte, en fin de compte, la perception même de notre environnement initial. Dans les faits, cette pseudo réalité joue le rôle de moteur puissant de nos émotions, de nos désirs et de nos projections vers l’avenir.
Ce qu’il est intéressant de noter ici est que l’évocation ci-dessus nous ramène à la première définition scolastique (la philosophie théologique du Moyen-âge) de la notion de virtuel, laquelle joignait à la perception d’un monde virtuel « possible » celle d’un monde virtuel « puissant ». Aussi, si le domaine du virtuel est pour l’homme attractif, il lui est en même temps potentiellement dangereux. On en revient alors à la notion d’ambivalence que porte en soi le virtuel.
Il s’agit donc, pour l’homme, d’être en capacité de capter utilement les produits du rêve dont il s’inonde. Ceci nous rapproche de la définition plus récente, mais issue de l’étymologie latine du mot virtuel, qui est : ce qui, sans être réel, en possède la force et les qualités. D’où l’image parfois évoquée d’un reflet renvoyé dans un miroir. Avec cette définition, nous nous déplaçons progressivement vers le domaine d’une tentative de valorisation positive de notre perception initialement incontrôlée.
Le premier exemple de ce processus au cours de l’histoire humaine nous est donné par l’art pariétal. C’est en effet sur les parois des abris rocheux que sont nées les premières projections d’un monde virtuel issu du réel. Les animaux représentés de la main de l’homme sont des clones du réel dont la fonction, ritualisée à l’époque, n’avait d’autre but que de se les approprier intellectuellement et émotionnellement, tout en tentant d’initier un acte magique censé favoriser le retour des troupeaux de gibiers, soumis à la loi des cycles saisonniers (phénomène que l’homme, à l’époque, ne savait pas maîtriser).
Ce faisant, l’homme a inventé l’une de ses spécificités, qui consiste en ce que l’art se conçoit avant tout comme un outil de médiation, et donc de connaissance. Toutes les données sont présentes d’entrée : il faut, pour opérer cette médiation entre l’homme et son environnement (la nature, incluant ses propres congénères), un support (parois, toile, marbre, livre, etc.), des médiums (en quoi consistent les moyens matériels mis en œuvre, mais aussi le médiateur du message) et un récepteur (ou public). Ainsi peuvent se mettre en scène les messages plus ou moins profonds ou conscients que véhicule l’art.
Cette démarche n’a fait que croître et embellir avec le temps, passant par des moyens de plus en plus sophistiqués de gérer les productions humaines de représentations (car par définition, toute représentation est virtuelle : elle se pose en tant que paravent entre la réalité matérielle et une réalité imaginée). Il en est jusqu'à l’art abstrait, qui n’est pas tant le fruit d’une rupture de nature, comme on a pu le penser initialement, que celle d’une rupture d’échelle dans nos perceptions. En témoignent certaines images numériques ou de synthèse récentes qui se rapprochent parfois étonnamment, dans l’esprit, des tentatives des pionniers de ce courant artistique. Le positivisme, ici, consisterait à dire que cette réalité représentée se pare avant tout d’une fonction d’idéalisation du réel, dans le but de le modifier ou d’en infléchir sa perception, dans le sens du beau ou du bon. Ceci fonde, dans le même temps, une autre notion humainement délicate à manier, en quoi consiste la morale…
Bref, on l’aura compris, le virtuel est ambivalent. Lorsqu'on lit un livre, un roman notamment, nous sommes emportés dans la durée dans une parenthèse qui est clairement en marge du monde réel, mais qui décuple notre sentiment de ressentir intérieurement ce réel issu des choses concrètes qui nous entourent. Il y a donc synergie entre ces deux réels qui sont, d’un côté, issu de notre environnement naturel, et de l’autre, de l’idée que nous nous en produisons.
Mais c’est peut-être là que le bas blesse : nous vivons désormais dans un monde qui crée autour de nous une surabondance de productions virtuelles. D'un côté, nous constatons que la virtualisation permet l’augmentation continue de l’efficacité de la gestion, de l’organisation et de la présentation de masses de données ou d'informations. Mais aussi, que ces productions virtuelles ont, par ailleurs et depuis bien longtemps, quitté le seul domaine de la production artistique pour s’emparer principalement du domaine de la communication, du traitement et de l’analyse de l’information, voire de la production purement commerciale. Ce processus n’est pas nouveau : les livres, les films en faisaient déjà partie… La réalité virtuelle d'aujourd’hui ne fait que prolonger ce désir de nous immerger dans une expérience sensorielle la plus complète possible et déplacée dans un monde artificiel, grâce aux moyens sans commune mesure que nous offre l’informatique.
Cependant, aujourd'hui, nous pouvons constater que cette surabondance de supports de communication virtuelle en vient à influer sur nos comportements relationnels. Les jeux vidéo, pour ne citer qu’eux, vampirisent nos capacités à nous émerveiller du monde qui nous contient. La qualité relationnelle entre les individus, notamment au sein d’une cellule familiale élargie (anciennement le clan), a tendance à s’émietter, du fait d’un trop-plein d’offres. Notre capacité d’attention et d’écoute au quotidien, comme celle de s’appliquer à construire nos réponses de manière rationnelle, formalisée et circonstanciée, en deviennent affectées. La distanciation physique qui née de cette virtualisation omniprésente décuple les effets de ce phénomène d’ensemble, ce que les artistes ont été les premiers à dénoncer (notamment Enki Bilal, pourtant grand investigateur du domaine de la science-fiction : "Le numérique est en train de détruire les relations humaines.").
Il n’y aurait donc pas lieu de s’inquiéter du virtuel en soi, mais seulement de ses conséquences. En d’autres termes, les inventions humaines sont toujours belles à la base ; ce n’est que le temps et les circonstances – c’est-à-dire l’homme lui-même – qui, si l’on n’y prend garde, en les faisant dévier de leurs objectifs premiers, les pervertissent. La notion de monde virtuel n’échappe pas aux dangers que provoque ce genre de glissement.
Xavier Hiron
Puis tu ressuscitais dans le couloir des mondes
Une dernière fois. La vie triste te poursuivait.
Te pourchassaient aussi nombre de farfadets
Et les monstres de ton passé. Les couloirs s'étiraient
Fluides, à perte de vue. Ou bien sombres et informes
Comme la bouche noire d'un olifant.
Déesse des lieux sans nom ou reine inexpliquée
De territoires inachevés : sans cesse tu fuyais.
Une jambe souple, l'autre raide et le muscle saillant.
Tes mollets aguerris tentaient une dernière passe d'armes.
Mais ta feinte te trahissait.
Un molosse gluant, la mine renfrognée
Continuait d'approcher. Son bruit de cliquetis
De pièces déglinguées sous le tunnel s’amplifiait.
Dans le ciel, une chaleur augmentait. Et cette odeur de fiel !
Il se penchait vers toi : là, tout près - un furoncle ! -.
Tu voyais sa figure, sa sueur qui glissait. Et là
Tu sentais son haleine qui vers toi s'appliquait.
Il étendait le bras... Alors tu renaissais
Toi qui avais été perdue de par le monde…
Et glorieuse tu te levais : saine et sauve !
Tu te levais, l’esprit doré et ta face était illuminée.
Jusqu'à déambuler hors de mon cauchemar
Dans mon cachot gelé.
695- Le cauchemar du condamné (24)