#DefiDeJanvier

Publié par Philippe Arvers, le 17 janvier 2024   360

Alcool et Dry January : Relever le « Défi de Janvier » est toujours bénéfique, même en cas d’échec

Philippe Arvers, Université Grenoble Alpes (UGA)

La nouvelle édition du Dry January, rebaptisée en français « Défi de Janvier », suit son cours dans notre pays, porté par les associations et les addictologues, en dépit du manque de soutien des pouvoirs publics.

Et la peur d’échouer ne constitue pas non plus une excuse valable, car même les personnes qui ne parviennent pas à respecter le contrat d’abstinence pendant un mois entier tirent des bénéfices de cette expérience. Explications.

Comment est né le Dry January ?

Lancé en 2012 au Royaume-Uni par l’association caritative Alcohol Concern, la campagne Dry January avait un triple objectif : initier un nouveau rapport à l’alcool, encourager ceux qui s’interrogent sur leur consommation d’alcool et enfin, donner l’envie d’un changement de comportement après un mois sans alcool positif et ludique.

Elle a remporté outre-Manche un succès grandissant, comptant plus de deux millions de participants trois ans après sa création, en 2015.

Soyons clair : ce challenge n’est pas une cure de « désintoxification », pas plus qu’il ne s’adresse aux alcoolodépendants. Au contraire, il se destine plutôt à ceux qui, sans réaliser les effets que cela peut avoir sur leur santé, boivent « un peu trop », « un peu trop souvent ». Autrement dit, qui se situent au-dessus des seuils recommandés par Santé publique France.

Le Dry january permet aux médecins d’évoquer avec leurs patients la question de l’alcool, parfois difficile à aborder de façon non invasive. C’est notamment l’occasion d’évaluer avec eux leur niveau de consommation, et de le réduire. Un objectif d’autant plus important que l’alcool est lié à plus de 60 pathologies médicales, incluant des cancers, le diabète, la dépression, et l’hypertension artérielle.

On sait depuis longtemps que s’abstenir temporairement d’ingérer de l’alcool peut avoir des effets bénéfiques sur la physiologie, et contribuer à améliorer le bien-être. Mais les facteurs influençant la réussite ou l’échec de l’observance d’une telle période d’abstinence demeuraient mal compris, tout comme la façon dont un éventuel succès pouvait affecter la consommation d’alcool ultérieure.

Pour mieux les cerner, le psychologue de la santé Richard de Visser et ses collaborateurs de l’université du Sussex ont mis sur pieds deux études, en 2015 et en 2019.

Qu’apporte le Dry January ?

En 2015, Richard de Visser et ses collègues ont sélectionné 1687 personnes inscrites sur le site DryJanuary.org.uk et les ont incluses dans une étude prévue pour durer 6 mois. Ils leur ont demandé de remplir un questionnaire (AUDIT) afin de déterminer quels participants envisageaient de faire le Dry January (s’abstenir de boire de l’alcool pendant un mois), s’ils avaient prévu de le faire seul ou avec d’autres personnes, etc.

Ils devaient également évaluer, grâce à une échelle (l’échelle de Likert), leur efficacité à refuser de boire de l’alcool en tenant compte de trois paramètres : la pression sociale (« quand mes amis boivent »), le soulagement émotionnel (« quand je me sens inquiet »), la prise en compte d’une occasion précise (« quand je suis devant la TV »).

Au bout d’un mois, cette échelle d’autoefficacité à refuser de boire était complétée à nouveau, ainsi qu’au bout de 6 mois. À ce moment, il était également à nouveau demandé aux participants de compléter le questionnaire AUDIT.

Au total, sur l’ensemble des 1 684 personnes (479 hommes et 1 205 femmes) incluses dans l’étude, 857 (249 hommes et 608 femmes) ont répondu à l’ensemble des questions posées, soit 64,1 % des sujets retenus. Forts de ces résultats, les chercheurs ont pu déterminer qui avait suivi le DryJanuary, et durant combien de temps (exprimé en jours/semaines/mois).

Les résultats indiquent que 549 personnes ont relevé, et tenu, le défi du DryJanuary_ (pas d’alcool pendant un mois), ce qui représente 64 % de l’échantillon. Chez ces participants, les chercheurs ont constaté plusieurs choses :

  • une augmentation de l’autoefficacité du refus de boire (dans les 3 domaines),
  • une diminution de la fréquence de consommation hebdomadaire d’alcool (1 jour de moins « sans alcool » par semaine),
  • une diminution de la fréquence des ivresses au cours du mois précédent (divisée par 2),
  • une diminution du nombre moyen d’unités d’alcool consommées par jour (passant de 3,8 à 3,1).

Mais que s’est-il passé pour les personnes qui ne sont pas parvenues à remplir le contrat du Dry January ? Autrement dit, pour celles qui se sont inscrites, mais ne se sont pas abstenues de boire de l’alcool un mois durant ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’exercice semble malgré tout avoir présenté des bénéfices. En effet, pour ces 308 participants qui n’ont pas réussi à relever le défi (36 % de l’échantillon), on constate néanmoins :

  • une augmentation de l’autoefficacité du refus de boire (dans 2 domaines, « pression sociale » et « soulagement émotionnel »),
  • une diminution de la fréquence de consommation hebdomadaire d’alcool (moins de 1 jour de moins « sans alcool » par semaine),
  • une diminution de la fréquence des ivresses au cours du mois précédent (passant de 3,8 à 2,1),
  • une diminution du nombre moyen d’unités d’alcool consommées par jour (passant de 4,2 à 3,7).

De plus, en questionnant l’ensemble des personnes qui ont suivi le DryJanuary, on apprend que 88 % ont économisé de l’argent, 82 % réfléchissent davantage à leur consommation d’alcool, 80 % pensent qu’ils contrôlent mieux leur consommation, 76 % ont mieux compris quand et pourquoi ils boivent, 71 % ont réalisé qu’elles n’ont pas besoin d’un verre pour s’amuser, 71 % dorment mieux, 70 % ont amélioré leur état de santé général, 67 % ont plus d’énergie, 58 % ont perdu du poids, 57 % ont amélioré leur concentration, et 54 % ont constaté avoir une meilleure peau.

Soulignons cependant que ces travaux présentaient une limite : l’étude de 2015 était dépourvue de groupe contrôle, puisqu’elle ne portait que sur des personnes inscrites sur le site Internet DryJanuary. Pour y remédier, les auteurs ont mis en place une nouvelle étude prospective en ligne, à l’aide de questionnaires, en janvier, février et août 2019.

Des résultats confirmés

Lors de cette nouvelle étude, les chercheurs ont comparé la situation de 1 192 participants au Dry January avec celle de 1549 adultes consommateurs d’alcool, mais ne participant pas au DryJanuary. Ces derniers ont été recrutés selon la méthode des quotas (appariement sur le sexe, l’âge et la région géographique).

Leur bien-être physique a été évalué, tout comme leur bien-être psychologique. Les chercheurs ont à nouveau évalué l’autoefficacité du refus de boire, et ont demandé aux participants de remplir un questionnaire destiné à évaluer leur consommation d’alcool.

Les personnes inscrites au Dry January, ainsi que celles qui ont essayé de s’abstenir de boire sans y être inscrites, ont été regroupées au sein d’un groupe portant l’étiquette « ont essayé le Dry January ». Le second groupe était constitué par celles qui n’étaient pas inscrit au Dry January et n’ont pas essayé de s’abstenir de boire.

Premier constat : les 1667 personnes du groupe « ont essayé le Dry January » (soit 60,8 % des participants) avaient des profils différents des 1074 personnes appartenant au groupe « n’ont pas essayé le Dry January ». Elles étaient en effet plus jeunes (45,4 ans vs 49,8 ans), possédaient un niveau socio-économique plus élevé, et étaient plus souvent de sexe féminin (75,3 % de femmes vs 50,9 %). Par ailleurs, au moment de leur inclusion dans l’étude, ces participants avaient un meilleur bien-être physique, se sentaient plus concernées par l’effet de l’alcool sur leur santé et par le contrôle de leur consommation.

En revanche, leur bien-être psychologique était plus faible que celui des membres du second groupe, et un plus grand nombre d’entre eux était considéré comme des buveurs « à risque » (score AUDIT-C plus élevé, de 8,5 vs 5,5). Parmi ces participants, 62,4 % ont réussi à ne pas boire pendant 1 mois. Leur bien-être physique et psychologique a augmenté, tout comme leur autoefficacité du refus de boire.

Six mois plus tard, ces 3 paramètres étaient restés stables et élevés. Conséquence : leur consommation d’alcool a diminué. De plus, ces personnes ont été plus nombreuses à s’engager dans une activité physique (48,7 % vs 23,8 %) et à manger de manière plus saine (52,3 % vs 28,2 %).

Des enseignements à tirer pour la France

Notre pays reste parmi les pays les plus consommateurs d’alcool au monde, se situant au 6e rang des 34 pays de l’OCDE.

La consommation annuelle d’alcool pur, par habitant de 15 ans et plus, est de 11,7 litres, et près du quart des 18-75 ans (23,6 %) dépassaient les repères de consommation en 2017. Si les chiffres de 2021 s’avéraient un peu meilleurs, la proportion des 18-75 ans concernée était alors encore de 22 %.

Ce n’est pas anodin, puisqu’on estime qu’en France, chaque année, ce sont pas moins de 41 000 décès (30 000 hommes et 11 000 femmes) qui peuvent être directement attribuables à l’alcool.

Dans des travaux publiés en 2020, des chercheurs ont identifié que les troubles de l’usage de l’alcool étaient associés à divers facteurs tels que la normalisation de l’alcool (le vin surtout) comme mode de socialisation, la fonction sociale de l’alcool, la difficulté de l’accès aux soins, l’absence du médecin généraliste dans la démarche d’accès aux soins, les co-addictions, et des questions liées au soutien familial.

On comprend bien en quoi le Dry January, qui s’inscrit dans une démarche de « dénormalisation » de la consommation d’alcool (du vin, en particulier), peut jouer un rôle pour améliorer la situation. Par ailleurs, le fait de suivre cet évènement à plusieurs, avec son conjoint, ses amis, constitue aussi un atout potentiel.

En 2019, les autorités sanitaires françaises ont donc décidé de mettre en place à leur tour le Dry January, via la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et Santé publique France. Malheureusement, la tentative initiale des autorités sanitaires semble avoir fait long feu, pour plusieurs raisons.

La crise du Covid-19 a laissé des traces

À l’occasion du Dry January 2022, la ligue contre le cancer a commandé une enquête à l’institut de sondage BVA, effectuée auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 français sélectionnés selon la méthode des quotas.

Les résultats ont révélé 31 % des Français des personnes interrogées dépassaient les seuils limites de consommation d’alcool recommandés par Santé publique France (rappelons qu’ils étaient 23,6 % en 2017 et 22 % en 2021). Les jeunes (18-24 ans) semblent particulièrement exposés : 78 % d’entre eux déclaraient boire de l’alcool, et 45 % en consommaient au-delà des recommandations.

L’impact de la crise sanitaire sur les comportements est flagrant : 17 % des participants à l’étude estimaient boire davantage depuis le début de la pandémie, un taux qui grimpe à 30 % parmi les personnes ayant une consommation à risque et à 28 % parmi les jeunes de 18 à 24 ans.

L’expression « Défi de janvier », traduction française du Dry January, semble bien trouvée, car il semble difficile de ne pas consommer d’alcool pendant 30 jours pour 29 % des Français et pour 59 % des gros buveurs. Mais paradoxalement, une large majorité des personnes interrogées reconnaissent les bénéfices d’une pause dans leur consommation d’alcool pendant 1 mois, que ce soit sur leur poids (89 %), leur énergie (88 %), leur concentration (85 %), leurs finances (84 %) ou leur sommeil (82 %).

Malheureusement, les pouvoirs publics ne semblent pas encore décidés à tirer parti de ces constats pour faire décoller le Dry January à la française.

Une absence de soutien des pouvoirs publics

Le 14 décembre 2023, le quotidien Le Parisien publiait une lettre adressée à Aurélien Rousseau, ministre de la Santé à cette époque, par 48 addictologues. Ces spécialistes demandaient formellement au gouvernement d’apporter son soutien au Dry January. Selon eux, les bénéfices de cet événement « sont attestés dans les pays qui pratiquent des campagnes similaires depuis de nombreuses années ».

Ce courrier, écrit par le collège universitaire national des enseignants d’addictologie (CUNEA), soulignait aussi que « la confiance envers le gouvernement pour mener une politique cohérente et résolue » contre l’alcoolisme « est sérieusement altérée ».

La réponse du ministre avait été sans appel. Interrogé sur BFM-TV à propos du Dry January, il avait déclaré : « je vais essayer de profiter de ce mouvement collectif pour ne pas consommer d’alcool […] mais à titre personnel je suis toujours très méfiant ou prudent quand on dit « Le gouvernement lance une campagne pour savoir comment vivre pendant un mois ».

Si de toute évidence l’édition 2024 du Dry January ne bénéficiera pas d’un soutien plus important de la part du gouvernement que les précédentes, cette opération a été saluée par un collectif de membres de la Société française de santé publique. Cette organisation a elle aussi, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, appelé l’État à mettre en place une politique cohérente et déterminée afin de changer l’image que les Français se font de l’alcool.

Attention aux contrefaçons

Selon un sondage IFOP effectué fin 2022, un Français sur trois serait prêt à relever le défi du Dry January. En faites-vous partie ? Si tel est le cas, méfiez-vous des contrefaçons telles que le #DampJanuary (« janvier humide »).

Proposée par le lobby vino-viticole, il s’agit d’une version « allégée » du Dry january proposant de simplement « réduire » sa consommation d’alcool, dévoyant les objectifs initiaux de l’opération Dry January. En 2020 déjà, le #JanvierSobre appuyait une campagne centrée sur la modération, et non pas sur l’abstinence, avait introduit de la confusion dans les messages. Là encore, elle avait reçu le soutien du lobby alcoolier, qui y voyait un moyen de promouvoir son propre discours, décorrélé des réalités scientifiques. En effet, rappelons-le pour conclure : les effets néfastes de l’alcool existent dès le premier verre !

Les recommandations de Santé publique France sont donc à suivre toute l’année, et pas seulement durant un mois…


Pour aller plus loin :

La nouvelle édition du #DéfiDeJanvier est lancée, et 2 applications permettent à celles et ceux qui désirent faire une pause avec l’alcool d’être accompagnés :

- l’application Try Dry de #DryJanuaryFrance ;

- l’application MyDéfiDeJanvier, qui propose un rendez-vous quotidien pour renforcer sa motivation et augmenter ses chances d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixé.

Enfin, un projet de recherche intitulé « Janover » est mené par le Centre Hospitalier du Vinatier (Lyon), avec le soutien de l’Institut national du cancer (INCA_16467). Cette étude va permettre de connaître le profil des participants au Dry January, d’identifier les facteurs de « réussite » du défi, et d’évaluer son impact sur la consommation d’alcool et le bien-être.

Philippe Arvers, Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.