Décès du Professeur François Anceau

Publié par Alain Guyot, le 1 avril 2020   3.8k

Le professeur François Anceau s’est éteint à 80 ans. Professeur à l'ENSIMAG, dont lui-même est sorti en 1967 major sur une promotion de 21 élèves (Prix de la Houille Blanche). Il était déjà ingénieur de l’Ecole Breguet, où il avait été admis sans le bac.  Quand il présidait des jurys de baccalauréat (le baccalauréat est le premier grade universitaire), François Anceau effarait les professeurs de lycée en montrant qu'on pouvait devenir Professeur des Universités sans ce diplôme. En 1970 il a commencé par coder, en Fortran, le compilateur et l’interpréteur du langage Cassandre : un langage de description de machines informatiques, comme le sont les ordinateurs. Cassandre fut industrialisé par la Sligos (absorbé par Atos en 1997), et utilisé entre autres par Philips pour concevoir des processeurs.

La thèse d'état de François Anceau, soutenue en décembre 1974, était assez abstraite, sans être uniquement théorique: il fallait sans doute cela pour être reconnu par l'Académie: "Contribution à l'étude des systèmes hiérarchisés de ressources dans l'architecture des machines informatiques".  L'idée de voir tout système comme une hiérarchie de machines imbriquées, chacune munie d'un langage interprétant le langage de la machine supérieure, a toujours structuré sa réflexion et son enseignement.  A propos des théories, François Anceau disait, « l'important n'est pas les théorèmes, mais la définition des objets sur lesquels ils portent, là est la source des idées nouvelles ».

Des idées nouvelles, il y en a eu. Entre 1970 et 1980, trois ordinateurs très spécialisés ont été conçus, fabriqués et développés par son équipe à Grenoble.

Puis, vers 1975 sont venus des États-Unis les microprocesseurs. Le concept était tellement vigoureux qu’il s’est répandu brusquement. François Anceau a donc créé des cours sur les microprocesseurs, leurs usage et architecture interne.

Mais ce n’était pas suffisant, il fallait aussi promouvoir cette nouvelle culture dans l’industrie.

Avec ses collègues professeurs de Paris, de Saint-Étienne et de l’INRIA, il crée l’ "École d'été du Forez" à Chalmazel en 1976. L' École d'été du Forez tournera pendant 15 ans. « Son sens de la formule, les paraboles qu'il savait trouver pour expliquer les choses les plus complexes, faisait de lui un vulgarisateur sans égal. »

Dans les années 1979–1980 les grandes universités américaines couvaient une révolution : l'enseignement de la conception de circuits intégrés numériques. Un an et demi après les Américains, le "master" de microélectronique a démarré à Grenoble en 1981. Dans ce contexte, les étudiants et élèves ingénieurs ont conçus, fabriqués et testés (hum ?) leur circuit intégré.

Un important savoir-faire a été extrait simplement de l’observation directe de puces de microprocesseurs avec un microscope, projet de nombreux étudiants ou thésards. En effet un circuit intégré est plat, comme une feuille de papier, et on pouvait identifier rien qu’en l'observant : voilà le compteur ordinal, il a 16 bits, ici c’est le registre instruction, là le banc des registres généraux, voilà le cache des instructions, voilà la mémoire associative de traduction dynamique des adresses virtuelles, tiens, il y a une solution originale pour la propagation de la retenue dans l’additionneur virgule flottante. Les photos très agrandies de ces microprocesseurs vintage sont actuellement conservées à ACONIT.  Mais le succès le plus durable fut la création en 1981, avec Alain Guyot, du service CMP pour la fabrication de circuits intégrés d'enseignement et de recherche. Ce service est devenu en 30 ans, sous l’impulsion de son directeur Bernard Courtois, un très important courtier mondial pour la fabrication de prototypes et de petites séries de circuits intégrés. « François était un visionnaire, il a influencé pour des générations la microélectronique en France. »

Philippe Jorrand, fondateur du Laboratoire Leibniz, souligne « François était un collègue atypique, original, imaginatif, toujours capable de regarder une question sous un angle inattendu, avec une fidélité inébranlable à la raison. Une personnalité qui ne passait pas inaperçue. On peut dire, sans exagérer, qu’il a fondé une école grenobloise dans le domaine de l’architecture et des circuits ». De 1984 à 1996 François Anceau  est directeur chez Bull aux Clayes sous Bois. Christian Joly ancien Directeur Général des Etudes de Bull souligne: « François Anceau a été un contributeur de premier ordre dans l'aventure Bull, et j'ose même ajouter dans l'aventure informatique Française. Cependant l'intégration de la riche et passionnée personnalité de François dans nos structures d'études n'a pas toujours été facile. » François Anceau a permis aux équipes de conception de Bull de dialoguer d'égal à égal avec les experts d'Intel ou d'AMD. Cette compétence est encore reconnue à ce jour dans la réalisation des supercalculateurs.

De 1990 à 2002, François Anceau est recruté "chargé de cours à temps partiel" à l’École Polytechnique. Citons le Professeur Yvan Bonnassieux : « C’était un enseignant hors pair et un chercheur prolifique et inventif à l’École polytechnique. Par son appétence pour la pédagogie, il a été le formateur, le mentor, de générations d’ingénieurs polytechniciens qui sont maintenant des piliers de l’industrie européenne et mondiale de la micro-électronique » 

En parallèle,  François devient  en  1998 professeur  titulaire de la  chaire "Techniques Fondamentales de l'Informatique" (TFI) à l’École des Arts et Métiers

Au CNAM/Musée des Arts et Métiers, François Anceau  co-organise de 2013 à 2019, avec Isabelle Astic et Pierre Mounier-Khun le séminaire d' Histoire de l'Informatique. Isabelle Astic  témoigne « Son approche était l'histoire technique, "internaliste" de ce domaine dont il possédait une connaissance érudite, de praticien comme de théoricien. Il aimait partager son vaste savoir et n'avait pas son pareil pour expliquer de manière simple et évidente les constructions les plus complexes, usant de pertinentes métaphores. » 

François Anceau a été élu administrateur de la FEB en 2017. L’association "Fédération des Equipes Bull" (FEB), s'est chargée depuis 1986 de la sauvegarde du patrimoine historique de toutes les sociétés composant le groupe Bull depuis les années 40.

Dan Humblot, président de la FEB, atteste « François apportait, avec sa simplicité habituelle teintée d'une grande modestie, ses connaissances extraordinaires sur toute l'histoire des technologies de l'informatique. Il était intarissable ». François Anceau rêvait d'un immense ouvrage sur l'Architecture des Systèmes DPS7000/GCOS7, montrant au monde entier le génie créatif des équipes de « Recherche et Développement » de Bull. Hélas, le destin en a décidé autrement.