De la culture scientifique pour les étudiants ?
Publié par Joel Chevrier, le 16 septembre 2013 3k
Joël Chevrier revient sur l'importance d’aborder à l'Université les questions essentielles qui traversent notre société et notamment celles liées aux sciences et techniques.
Récemment, des universités, dont l'Université Joseph Fourier à Grenoble, ont élu des Vice Présidents en charge de la culture scientifique et technique [ndlr : c'est le cas de l'auteur de ces lignes]. Dans une période où plans de rénovation, regroupements et fusions ont marqué la présence du monde universitaire dans les médias, difficile de se retenir : "Quelle idée ? Rien de plus urgent à faire ?".
Les sciences et techniques en société
Dans une interview à Libération en janvier 2013, Dominique Pestre soulignait : "Au fond, le problème que rencontrent nos sociétés est : comment vivons-nous avec les techniques et les savoirs scientifiques ?". Cette remarque donne probablement une des raisons fondamentales de cette évolution. L'objectif premier de l'université est de permettre à chaque étudiant d'acquérir la formation professionnelle la meilleure et la plus adaptée. Mais, car en fait c'est loin d'être évident, elle doit aussi lui permettre d'aborder des questions essentielles qui traversent notre société et qui, comme jamais, relèvent de la mise en oeuvre jusque dans notre quotidien de la science et de la technologie. Si vous n'êtes pas convaincu de cette présence de la science et de la technologie dans votre vie de tous les jours, mettez la main dans votre poche. Celle où se trouve votre smartphone (1).
Avant de considérer la place de la culture scientifique et technique à l'université aujourd'hui, soulignons la place première et centrale de la formation. A l'université, auprès des étudiants, vivre avec les techniques et les savoirs scientifiques, c'est d'abord les enseigner. Nous cherchons à donner la maîtrise des connaissances les plus solides et à former pour que chacun aborde au mieux son avenir professionnel. C'est notre mission première vis-à-vis des étudiants en particulier aujourd'hui dans une économie mondialisée. Mais vis-à-vis de l'ensemble de la société aussi. Quoique soit décidé de l'avenir du programme nucléaire français, une chose est sûre : nous devrons être capables de former, très longtemps et au meilleur niveau, les ingénieurs et les techniciens qui prendront en charge son futur. Le nucléaire est un exemple évident d'une réalité au coeur de l'industrie française du futur quelle qu'elle soit : pas de femmes et d'hommes bien formés en science et en technologie, pas d'industrie en France.
Accompagner les étudiants
Mais tenir cette exigence n'est possible que si elle a un sens vivant pour chacun. Un étudiant sur un campus universitaire n'est pas une personne "hors société" formée en dehors de tout pendant 3, 5 ou 8 ans, qui retrouvera la vie normale ensuite. Il vit depuis sa naissance dans cette société qui évolue à une vitesse toujours plus grande en intégrant massivement des innovations mises à la disposition de chacun par les entreprises, pour des prix d'ailleurs sans lien évident avec les performances issues de la technologie. Les universités organisent dans les IUT, les Licences, les Master et les Ecoles Doctorales, les formations qui permettront à ces étudiants de rejoindre ces entreprises. On attend cela d'elles en priorité et en particulier les familles des étudiants qui préparent leur avenir.
Mais pour accompagner les étudiants durant leurs études, il paraît aujourd'hui nécessaire de faire plus. Acquérir des connaissances en science et en technologie portées par divers champs universitaires est aussi acquérir une formation de l'esprit. Dans cette optique, faire de grandes universités accueillant tout ce petit monde et portant cet idéal humaniste est vraiment une bonne idée !
Un monde en mutation
Oui, enfin, c'est beau comme du Mozart ! Encore faut-il voir ce que l'ont appelle une formation de l'esprit. Vaste débat mais c'est celui devant nous. Considérons des questions incontournables aujourd'hui en lien avec la science et la technologie. Il s'agit essentiellement du monde numérique, du réchauffement climatique, du développement durable, des matières premières, des énergies et de la transition énergétique, de la santé, de la pharmacie, de l'agroalimentaire, du vivant donc et de la place des religions vue ici dans leur relation à la laïcité et à la science. Pour chacune de ces questions, des discussions ont lieu sur la place publique. Elles sont souvent dures et c'est normal tant il s'agit de choix de société qui nous engagent tous. Dans chaque cas, les savoirs scientifique et techniques sont déterminants, mais pas décisifs.
Que vient faire ici l'université auprès des étudiants ? Est-ce sa place ? Encore un beau débat. D'abord deux évidences. L'enseignement ne donne pas de position rationnelle que l'on pourrait faire naturellement sienne sur chacune de ces questions. Un choix politique n'est pas un résultat scientifique. De plus, et c'est tous les jours plus vrai tant les savoirs se diversifient, aucun universitaire ne peut se prévaloir d'un savoir si étendu qu'il lui permette de se présenter dans son rôle d'enseignant devant des étudiants sur l'ensemble de ces sujets.
Et alors... Quoi de neuf ? Dans les Pensées sur l'interprétation de la nature (1753), Diderot, dont on fête le tricentenaire de la naissance, écrit à un jeune : "Comme je me suis moins proposé de t'instruire que de t'exercer, il m'importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettes, pourvu qu'elles emploient toute ton attention".
Du rôle des Learning Centers
Ainsi, un rôle de l'université auprès des étudiants est-il certainement de proposer, et donc d'organiser pour et avec eux des manifestations et des échanges sur ces questions si importantes pour notre avenir. On les attend, on les espère, vifs mais aussi et peut-être surtout ouverts, exigeants et basés sur la raison dans des lieux de culture scientifique et technique. Par exemple, sur certains campus, les Bibliothèques Universitaires de Sciences se transforment aujourd'hui en "Learning Center". Ces coeurs de campus peuvent devenir des lieux au centre de la vie intellectuelle universitaire. A Grenoble, ce Learning Center naissant qu'est la "BU de Sciences" en pleine transformation, vient d'absorber les Ateliers de l'Information (2) et la formation à l'Esprit Critique [ndlr : avec le collectif Cortecs], qui voient accourir les étudiants. Mais, bien sûr, ce n'est qu'un début, continuons... le débat.
>> Notes :
- A ce sujet, lire le précédent article de Joël Chevrier sur notre site : "L’iPhone : "pocket lab" pour les étudiants en physique"
- Lire l'article de Jean-Michel Mermet "Suivez les Ateliers de l’information à la BU Sciences de Grenoble"
>> Illustrations : Where There Be Dragons, Tulane Public Relations, Université de Montréal, East Georgia State College (Flickr, licence cc)