Covid, Big Data et opportunisme ?

Publié par Yannick Chatelain, le 6 décembre 2020   1.9k

Tout est mis en place pour toujours plus de traçage des citoyens ou leur comptage. C’est le Big Data contraint qui s’installe dans la vie quotidienne.

Par Yannick Chatelain

L’état d’urgence sanitaire sous lequel a été placé la France permet à l’exécutif de prendre des décisions lors de conseils de défense, des décisions contraignant la population, et ce pour notre bien collectif.

Notre vie est désormais rythmée par des décrets qui tombent en cadence. Ces derniers servent la mise en place d’un contrôle social inédit, jugé nécessaire, allant jusqu’à encadrer et limiter le droit d’aller et venir, en passant par des préconisations surréalistes d’acteur-gestionnaire de cette crise sur ce qui relève de l’intime et de la vie privée au sens le plus strict.

Ainsi à Noël tenez-vous le pour dit : « on coupe la bûche en deux et papy et mamie mangent dans la cuisine » voilà ce qu’a préconisé – sans rire – le professeur Salomon. Des mesures, des recommandations qui n’interrogent pas seulement les béotiens en matière de santé publique que je suis. Le très sérieux journal Die Welt, sidéré par certaines mesures coercitives prises par l’exécutif français ayant lui-même dans ses colonnes rebaptisé notre pays l’Absurdistan.

C’est dans cette configuration que s’inscrit le retour triomphant du Biopouvoir. Ce dernier qui vise un contrôle de la vie à savoir,  la vie des corps et celle de la population, se fait de plus en plus oppressant et s’exerce sur une démocratie qui semble anesthésiée par la peur, cette pression étant accompagnée d’une récupération de datas sans précédent.

La mise en place du traçage généralisé : Big Data et TousAntiCovid

Si le comptage de personnes n’est pas nouveau pour de nombreuses infrastructures, le voilà devenu systématique. Qu’en sera-t-il demain pour l’application « TousAntiCovid » et ses datas santé ? Si elle est louable au regard de sa finalité, la nouvelle application interroge toujours en matière de confidentialité et d’efficience. Elle offre, entre autres, aux utilisateurs la possibilité de compléter leurs allers et venues en ligne, un atout ayant indéniablement boosté son téléchargement.

Quant à émettre l’hypothèse que le maintien de cette autorisation ait eu pour but de favoriser son adoption, c’est une hypothèse ! Toujours est-il qu’elle n’a pour autant pas décollé comme escompté, et ce malgré l’appui légitime de nombreuses institutions, mais par des pratiques commerciales pour le moins étonnantes et cautionnées par la CNIL : « Un restaurant KFC offre ainsi depuis le début du mois de novembre une promotion de 15 % sur les commandes des utilisateurs de l’app de traçage des contacts TousAntiCovid. »

Après tout, si pour récupérer de la data santé la fin justifie les moyens alors oui, pourquoi pas ?

Toutefois, pour l’instant, « il ne sera pas non plus obligatoire pour les clients de télécharger « TousAntiCovid » même si le téléchargement est encouragé. » Ce qui laisse supposer que l’idée a été évoquée. Sur ce sujet très délicat une question reste en suspens par-delà l’opinion que nous avons de la collecte de données sensibles : si cette application est un atout maître du dispositif global pour endiguer la pandémie, pourquoi dès lors ne pas l’avoir rendue obligatoire ?

Concernant l’application peut-être est-il utile de rappeler deux choses à son sujet :

Si 9,2 millions de personnes ont téléchargé l’application de traçage de contacts, cette application ne fonctionne que sous condition : si elle est supposée prévenir ses utilisateurs en cas de cas contact, encore faut-il que la personne diagnostiquée se déclare positive dans l’application.

Or, comme le souligne Le Figaro :

En flashant un QR Code qui apparaît sur le diagnostic du laboratoire. C’est là que les choses se compliquent : le QR Code n’est pas toujours fourni.

Par ailleurs, comme le pointe Baptiste Robert connu en tant qu’hacker éthique sous le nom de Elliot Alderson :

Le fonctionnement reste le même, toutes les critiques sur ses capacités n’ont pas été écoutées. Utiliser le bluetooth a déjà montré ses faiblesses, cette technologie n’est pas adaptée au traçage sur de la distance.

La poinçonneuse d’Habitat

Qu’à cela ne tienne. Tout est mis en place pour toujours plus de traçage des citoyens,  leur comptage etc.

Comme cela est prévu par le nouveau protocole sanitaire, il existe deux impératifs :

  • le respect d’une jauge d’occupation de 8 m2 par personne ;
  • l’obligation de compter le nombre de clients pour les surfaces supérieures à 400 m2.

Des impératifs conduisant à des situations surréalistes dans l’attente d’une automatisation. Une grande enseigne de meubles enjoint ainsi le visiteur à prendre un panier ; c’est sa façon de compter les clients. Une personne dédiée se charge de la distribution à l’entrée, du nettoyage à la sortie.

Nous pouvons supposer qu’in fine, une solution technologique mettra fin à cette profession inédite née dans l’urgence du désarroi, entrainant toujours plus de collecte de data…  si tant est, mais je n’ose l’imaginer, que la solution technologique ne soit déjà en place, et que la distribution de paniers ne soit qu’un acte opportun pour inciter le visiteur à l’achat.

Pour conclure

Ce qui est en droit d’inquiéter, c’est le recours récurrent au techno-solutionisme pour résoudre la crise. Après les collectes de data au restaurant ou dans les bars (avant leur fermeture), voici venue la jauge du nombre de personnes. C’est le Big Data contraint qui s’installe dans la vie quotidienne, sans nécessairement véritablement savoir ce qu’il en adviendra.

Si les autorités mettent en avant des technologies censées, à l’instar de « TousAntiCovid », se baser sur le volontariat et garantir l’anonymat de nos data, ces systèmes mis en place dans l’urgence présentent le risque de demeurer en l’état post-crise, au cas où… voire déployés.

Alors si, comme le déclarait Eric Schmidt : Seuls les criminels se soucient de protéger leurs données personnelles, alors la période est propice : choisissez votre camp !



Yannick Chatelain, Docteur en Administration des Affaires, est professeur associé à Grenoble École de Management, et chercheur associé à la Chaire DOS « Digital, Organization and Society ». Ses travaux portent sur les usages d’Internet, le contrôle social, la contre-organisation sociétale et la liberté d’expression.

La version originale de cet article  a été publiée sur Contrepoints