Couvre-chefs : diversité culturelle en danger ?

Publié par Ludovic Maggioni, le 30 avril 2012   4.4k

Ludovic nous fait visiter l'exposition "Voyage dans ma tête", au Musée dauphinois. L'occasion de se questionner autour de la notion de culture.

« Voyage dans ma tête » est une exposition proposée par le Musée dauphinois jusqu’au 17 juillet. Elle présente une collection de coiffes ethniques réunies par Antoine de Galbert, un nom familier pour certains grenoblois. Cet homme au regard aiguisé sur l’art contemporain a été galeriste rue Voltaire. Aujourd’hui, il vit à Paris et a créé La Maison rouge, un lieu qui accueille de nombreux artistes contemporains (1).

Au regard de son parcours, la collection de coiffes d’Antoine de Galbert provoque de nombreux questionnements. Est-elle une collection esthétique, ethnographique, un artefact de la petite ou de la grande histoire de ces peuples ? Pourquoi n’y a-t-il pas de coiffe européenne dans cette collection ? L’exposition souligne-t-elle un certain appauvrissement culturel comme l’exprime le Musée dauphinois ?

Une collection esthétique

Précisons que cette collection n’est pas présentée ici dans son intégralité. Seulement un tiers des 500 pièces est exposé, toutes provenant de pays occidentaux. Et oui, ceux qui imaginent Antoine de Galbert visitant les pays du monde entier à la recherche de ces trésors se trompent. Il les a cherchés oui, mais chez des antiquaires ou dans des brocantes… A Paris, Bruxelles… Il n’est pas ici affaire de pièces ethnographiques mais bien d’une collection réunie pour des raisons esthétiques, ce qui n’ôte rien à sa valeur, bien au contraire.

Dans l’exposition, une interview de cet amateur de couvre-chefs propose une réflexion sur la notion de collection. Pour lui, le collectionneur est un obsédé qui frôle la maladie. C’est quelqu’un qui achète au-delà de la capacité d’accrochage offerte par son intérieur. Il n’est pas possible de vivre avec une collection. A terme, le plaisir se transforme en gestion de stock. Certaines pièces peuvent l’enrichir et d’autres être vendues pour en acquérir de nouvelles. La collection est quelque chose de vivant ; c’est la trace du regard d’un homme sur un groupe d’objets. Pour la petite histoire, Antoine a débuté sa collection à Grenoble avec des amis amateurs d’art primitif et une première coiffe ornée de plumes.

Regard ethnographique porté par le Musée dauphinois

Cette exposition est née de la rencontre du collectionneur et d’Olivier Cogne, directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère. Pour le Musée dauphinois, il n’était pas question de présenter ces objets uniquement d’un point de vue esthétique. Le regard de « l’ethnographe » était convié. Dès l’entrée de l’exposition le ton est d’ailleurs donné : « Ces 160 couvre-chefs témoignent de pratiques, d’usages et de rituels sociaux, religieux, ethniques » qui sont documentés. De nombreuses images, des films mettent en scène leurs fonctionnalités dans les diverses sociétés du monde. Pour la majeure partie, ces coiffes étaient ou sont toujours utilisées lors de rites de passage : maturité sexuelle, mariage, décès… Seules dans une vitrine, elles ne signifient rien, elles sont mortes mais lors de ces évènements elles « dansent », font du bruit …

Coiffe du peuple gunantuna (tolaï) en forme de raie

Pour faire écho à la réflexion de Christain Boltanski (1), elles offrent un double regard : celui de la petite histoire des personnes qui les ont portées et fabriquées selon des techniques traditionnelles, avec des matériaux souvent issus de la nature. Mais également celui de la « grande histoire », car elles témoignent de la diversité culturelle des sociétés du monde. Sociétés en perpétuelle évolution, qui peuvent intégrer dans leurs traditions des signes culturels d’autres cultures comme le montre le chapeau de danse océanien en forme de raie. Il a l’allure générale des casquettes utilisées par les membres de la marine allemande dans les années 1860, venus installer des comptoirs et des sociétés. Evolution de culture qui peut également se traduire par l’appauvrissement voir la disparition de ses traditions, et parfois tout simplement l’extinction de la société elle-même.

Une sélection de coiffes qui décoiffent !

- Celle qui se déplie

 

Cette coiffe d’Afrique centrale nommée Coiffe Bamiléké est conçue avec des plumes de perroquet ou de coq. Elle est portée par le roi et les notables lors de rites funéraires ou de danses rituelles. Pour la conserver, il suffit de la replier comme un parapluie !

 

- Celle qui est investie de certains pouvoirs

 

Venant du Benin, ce chapeau de féticheur du peuple fon investi de pouvoirs est utilisé lors de rites animistes. Il permet de rentrer en relation avec un ensemble de divinités très proches des hommes.

 

- Celle qui produit des sons

 

 

C’est en Asie qu’est utilisée cette coiffe Fen Gang ou coiffe phénix, par des actrices jouant des rôles impériaux ou lors de mariages. L’originalité est dans la musique quelle produit quand elle bouge.

 

 

 

- Celle qui a des dents

 

Venant des iles marquises en Papouasie cette coiffe est composée de perles et de 1000 à 1500 dents de marsouin, un petit cétacé proche des baleines et des dauphins !

 

 

- Celle qui est noire ou rouge

 

Plus proche de notre culture, ce chapeau de jeune fille est issu de la Forêt noire en Allemagne. Si les pompons qui la composent sont noirs, la fille est mariée, sinon elle ne l’est pas.

 

Pour conclure des coiffes européennes et quelles coiffes !

Un clin d’œil a été envisagé pour construire la conclusion de l’exposition : les coiffes européennes d’hier et d’aujourd’hui. Pour ce faire Antoine de Galbert et l’équipe du Musée dauphinois ont fait une sélection entre la propre collection du musée et celle du Musée d’ethnographie de Genève. Une dizaine de coiffes ont été extraites et montrent des similitudes frappantes avec leurs homologues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie…

Pour finir la visite, un mur noir se dresse face au visiteur. Dessus, des coiffes contemporaines, des casquettes, bonnets issus de la grande distribution, une citation de Claude Lévi-Strauss : « L’humanité s’installe dans la monoculture. Elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave » complétée par une réflexion du musée : « Les couvre-chefs portés aujourd’hui, imaginés par des designers occidentaux et manufacturés dans des pays à faible coût de main-d’œuvre, témoignent de la réduction de la diversité culturelle. »

Une fin d’exposition qui envoie un message sombre, sévère, qui interroge : la monoculture se traduit-elle par le port uniforme de casquettes et autres bonnets du quotidien ? N’y a-t-il pas de nouvelle forme de diversification des cultures ? Des sociétés en perpétuel changement ne sont-elles pas vouées à toujours inventer de nouvelles pratiques culturelles ? Où se situe dans nos sociétés contemporaines la diversité culturelle ? La perte n’est-elle pas le passage obligé d’une évolution ? Rendez-vous dans 200 ans avec un futur collectionneur de casquettes…

Note

  1. Pour ne citer que lui, Christian Boltanski y a présenté du 14 septembre au 5 octobre 2008, son exposition, « Les archives du cœur ». Il s’agissait en partie de créer une collection de battements de cœur avec les visiteurs. Battements symboliques d’une petite histoire, celle de chacun, et non d’une histoire écrite dans les livres, la grande histoire !

>> Illustrations : Etienne Pottier pour le Musée dauphinois et Ludovic Maggioni

>> Pour aller plus loin : sélection de croquis des coiffes exposées au Musée dauphinois