Conflit Ours-Pastoralisme : une cohabitation est-elle possible ?

Publié par Virginie Girard, le 8 avril 2021   1.4k

2020. Article écrit par Mathieu FOUGNIE, Étudiant M2BEE.

Le massif des Pyrénées procure des cadres idéaux pour la pratique du pastoralisme. Néanmoins, avec la présence et l’augmentation du nombre d’individus d’Ours brun (Ursus arctos) ces dernières années, les confrontations avec les troupeaux deviennent de plus en plus fréquentes. La mise en place de moyens de protection supplémentaires pourrait cependant permettre une cohabitation entre cette espèce patrimoniale et les éleveurs.

L’Ours brun, un prédateur opportuniste des massifs montagneux

Comme sa présence dans les Pyrénées l’indique, l’Ours brun est une espèce montagnarde, se développant dans les forêts et prairies d’altitude. C’est un animal très redouté par de nombreux utilisateurs de la montagne (éleveurs, randonneurs). Cependant, lors de sa période de prédation la plus intense (printemps et fin d’été), l’Ours brun ne se nourrit qu’à 20% d’animaux, dont essentiellement de la faune sauvage. En effet, ce grand prédateur présente un régime principalement herbivore, composés de fruits, racines, champignons et herbacées, qui lui procure de grands apports énergétiques. C’est pourquoi, l’Ours brun est un animal omnivore et opportuniste [1]. Sa niche écologique, ou milieu de vie, s’étant des forêts de basse altitude jusqu’aux prairies pâturées de haute montagne, à l’écart des habitations. L’Ours brun peut ainsi facilement se déplacer de vallée en vallée. Néanmoins, même s’il possède un vaste territoire, il semblerait que les individus aient des habitudes et des préférences spatiales. Une étude du CNRS de Toulouse a pu mettre en évidence ces comportements grâce à l’installation de pièges photos, montrant des apparitions régulières sur les mêmes sites [2].

L’Ours brun est un animal omnivore et opportuniste. Crédit : Alexas Fotos, Pixabay


Le début du 21ème siècle, symbole de la renaissance d’un grand prédateur

Présent au sein de la chaîne Pyrénéenne depuis des centaines de milliers d’années, l’Ours brun a cependant vu son milieu de vie diminuer, et ses populations chuter rapidement avec le développement progressif de l’urbanisation, multipliant ainsi les pressions anthropiques. Cette période d’oppression lui a valu d’être au bord de l’extinction au début des années 90 [3]. C’est ainsi qu’un Plan de Restauration est mis en place en 1993 avec la réintroduction de plusieurs ours au fil des années. Aujourd’hui, malgré la perte de tous les ours de souches pyrénéennes, le massif compte une cinquantaine d’individus. De plus, cette espèce est protégée par la Directive Européenne Habitat, mesure visant à promouvoir la protection et la gestion des espaces naturels à valeur patrimoniales. Le but de ce plan est d’intégrer l’Ours brun et de le considérer comme une pièce du puzzle que forme l’écosystème montagnard, afin de parvenir à un équilibre entre e développement des activités et la conservation de l’espèce.

Les montagnes pyrénéennes, lieu propice au développement du pastoralisme

L’exode rural ou le déplacement vers les villes des populations vivant à la campagne, a été un véritable tournant pour le pastoralisme où ce dernier a connu une forte chute de son activité. Néanmoins, de par ses conditions topographiques et la présence de nombreux pâturages, les Pyrénées sont un lieu propice à l’élevage extensif. Cette activité a été renforcée par l’apparition de groupe pastoraux à la suite de la loi Pastorale de 1972, définissant un cadre légal d’utilisation de l’espace [2]. Aujourd’hui, on y trouve majoritairement des troupeaux de moutons, mais aussi de vaches et de chèvres. Afin d’être pérenniser, l’implantation de ces activités pastorales nécessite la prise en compte des contraintes associées à cet environnement. Ainsi, elles doivent considérer les dimensions biologique et écologique du milieu.

Les Pyrénées, lieu propice au pastoralisme. Image recadrée. Crédit : Eneko Bidegain, flickr


Prairies pâturées d’altitudes: lieu de rencontre entre grands prédateurs et bétails

Suite aux réintroductions de l’Ours brun dans les Pyrénées, l’espèce s’est développée. Malgré son régime alimentaire principalement végétarien, la présence de troupeaux au sein de son habitat favorise les rencontres et les attaques se multiplient [4]. Une situation similaire que rencontre les éleveurs alpins avec la présence du Loup (Canis lupus lupus). De plus, l’Ours brun s’adapte rapidement à son environnement et semble être de moins en moins craintif à la présence humaine. De ce fait, les pertes animales au sein des troupeaux rendent la relation entre l’ours et les éleveurs très compliquée voir conflictuelle. C’est pourquoi, malgré la protection nationale de l’espèce, il n’est plus rare d’entendre qu’un ours a été abattu. Avec un régime conflictuel comme celui, la cohabitation paraît à première vue très difficile. Mais peut-on réellement en vouloir à un animal qui tente tout simplement de survivre ?

Favorable ou contre la présence de l’Ours : des avis très partagés

Le retour de l’Ours brun au sein des écosystèmes pyrénéens représente une aubaine pour l’activité du tourisme car il attire de plus en plus de visiteurs, envieux de découvrir l’endroit où ce grand prédateur est réapparu. Néanmoins, afin de pouvoir prétendre à une cohabitation, les avis de l’ensemble des acteurs locaux doivent être pris en compte. En effet, ce sujet suscite des interrogations sur notre rapport à la Nature. D’après une étude, menée par des chercheurs de l’Université de Montpellier, en collaboration avec l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage [3], il existe une importante hétérogénéité spatiale des avis au sujet de l’ours. Des tendances d’avis favorables s’observent plutôt chez les jeunes et chez les personnes possédant un minimum de connaissances scientifiques sur l’écologie de l’ours. Cela pourrait s’expliquer par les mouvements écologistes grandissants et la prise en compte de plus en plus importante de l’environnement dans notre société ces dernières années. En revanche, les acteurs ayant subi des dégâts ou étant soumis à des conflits avec l’ours présentent une tendance défavorable vis-à-vis de l’espèce. Ainsi, repenser les relations humain-nature c’est peut-être aussi repenser les interactions entre science et société. En effet, les conséquences issues de cette relation ne sont que le fruit d’une superposition de processus biologiques, écologiques et sociétaux, autant pour l’espèce humaine que pour l’espèce d’Ursidé.

Les mesures d’aides à la protection des troupeaux et des bergers à l’épreuve

Dans le but de faire évoluer les mentalités suite à la menace du prédateur vis-à-vis des éleveurs et des troupeaux pyrénéens, et ainsi d’écarter la solution qui serait d’éliminer les ours, la présence de bergers, la mise en place de parcs de nuit pour les troupeaux et l’ajout de chiens de garde sont fortement encouragés. Néanmoins, chacune de ces solutions présentes des limites face à la complexité de la chose [2]. En effet, un berger réalise à la fois un travail de direction des troupeaux, un travail de protection avec la gestion des chiens et la mise en parc des bêtes, et un travail d’information auprès des éleveurs et gestionnaires. Au regard d’une dimension humaine, auquel vient s’ajouter un manque d’effectif au sein de la communauté bergère, ces nombreuses tâches portent atteinte aux capacités physiques et mentales du berger, fatigué et stressé. Les parcs de nuit sont donc créés comme mesures supplémentaires, pour faciliter le travail du chien et du berger. En contrepartie, l’entassement du bétail impacte les conditions sanitaires des bêtes, avec l’apparition de maladie telle que le piétin. De plus, le regroupement des bêtes favorise la prédation. Enfin, comme nombre de randonneurs le constate chaque été, de plus en plus de chiens sont monopolisés afin de réaliser un travail de protection et d’alerte. Mais cette mesure peut s’avérer inefficace dans le cas où le chien serait mal dressé, ou si des conflits de hiérarchie s’observeraient au sein de la meute. Ainsi, un poids supplémentaire s’ajouterait alors sur les épaules du berger.

Les parcs de nuit facilitent le travail du berger. Crédit : Thierry Carré, flickr
Les chiens réalisent un travail de protection. Crédit : François Magne, flickr


Alpes Italiennes : une réintroduction et une situation comparable aux Pyrénées

Les populations italiennes d’Ours brun ont connu une évolution semblable aux populations pyrénéennes. Après une baisse conséquente des effectifs, des réintroductions à partir de 1999 ont permis à l’espèce de se maintenir [5]. Comme c’est le cas dans les montagnes françaises, lorsque des individus s’éloignent trop de leur territoire, ils ne connaissent rarement une autre fin que l’abattage. Néanmoins, l’effectif d’Ours brun dans les Alpes Italiennes s’accroît peu à peu et l’espoir perdure parmi les gestionnaires et les conservateurs de la faune sauvage, même si la population minimale viable n’est pas encore atteinte. Cette situation, comparable à celle des Pyrénées, est la preuve que la cohabitation entre l’Ours brun et l’Humain est la finalité recherchée, mais une finalité qui demande du temps.


Références

  • [1] Gastineau A., Robert A., Sarrazin F., Mihoub JB. & Quenette PY. 2019. Spatiotemporal depredation hotspots of brown bears, Ursus arctos, on livestock in the Pyrenees, France. Biological Conservation. 238-108210. https://doi.org/10.1016/j.bioc...
  • [2] Pivot, A., Rohrbacher, A., Ferrer, L., & Vimal, R. 2019. Ours et Pastoralisme. Rapport bibliographique, Dissonances, GEODE, 42p.
  • [3] Piédallu B., Quenette PY., Lescureux N., Mounet C., Borelli-Massines M., DUbaary E., Camarra JJ. & Gimenez O. Tenir compte de la dimension humaine dans la gestion des conflits homme-grands carnivores : la cas de l'ours brun dans les Pyrénées. Faune Sauvage. Connaissances & Gestion des espèces. 319/2° semestre 2018. p24-29.
  • [4] Wilson. 2014. What future for Bears in Western Europe? ECOS 35(1)
  • [5] Tosi G, Chirichella R., Zibordi F., Mustoni A., Giovannini R., Groff C., Zanin M. & Apollonio M.  2015. Brown bear reintroduction in the Southern Alps: To what extent areexpectations being met? Journal for Nature Conservation 26 (9)-19 http://dx.doi.org/10.1016/j.jn...